Le Québec ne serait probablement pas frappé aussi durement que l’Ontario par la proposition de crédit d’impôt sur les véhicules zéro émission du président Biden, mais au nom de la « pérennité de la filière batterie » québécoise, il est impératif de résister, croit le ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon.

« Absolument, on est très préoccupés », laisse tomber le ministre en entrevue.

Cette disposition du projet de loi mammouth de 1750 milliards US en inquiète plus d’un. Le gouvernement fédéral craint qu’elle ne devienne un « enjeu dominant » de la relation canado-américaine, comme l’a signalé la vice-première ministre Chrystia Freeland, et le secteur automobile est alarmé.

Selon le président du syndicat Unifor, Jerry Dias, son entrée en vigueur anéantirait près de 100 000 emplois directs et près de 1 million d’emplois indirects au pays – des chiffres que La Presse n’est pas en mesure de valider. Mais chose certaine, ce serait en Ontario que l’on écoperait le plus.

« L’Ontario a beaucoup à perdre, peut-être même plus que nous, parce qu’il y a des usines d’assemblage de voiture », remarque le ministre Pierre Fitzgibbon. Cela ne signifie toutefois pas que le Québec, lui, n’a rien à perdre, car la « filière batterie est l’une des filières les plus stratégiques qu’on a actuellement », insiste-t-il à l’autre bout du fil.

On parle d’investissements massifs dans le futur. On n’est pas dans les batteries en ce moment, donc on ne parle pas de pertes d’emploi, mais on parle de pertes d’emplois potentielles. Pour moi, c’est aussi important.

Pierre Fitzgibbon

D’où l’importance, croit-il, d’avoir une « cohésion canadienne » pour infléchir la position de l’administration Biden.

« Ça se fait déjà, mais je pense qu’on peut l’accentuer », indique M. Fitzgibbon.

Un plan illogique

À l’instar du fédéral, il juge cette proposition illogique étant donné la manière dont fonctionne la chaîne d’approvisionnement – des pièces peuvent franchir les frontières à plusieurs reprises avant de se retrouver dans une chaîne d’assemblage.

Cela comprend les « cellules », qui entrent dans la composition des batteries pour les véhicules verts, et qui sont elles-mêmes faites à partir de « minéraux critiques » comme le nickel, le lithium ou le graphite.

Convaincre [le constructeur automobile] Ford de construire une usine au Québec, je pense que ce n’est pas réaliste. Par contre, si on regarde la chaîne d’approvisionnement pour une batterie, on part des minéraux. […] Il y a une logique à ce que la chaîne soit intégrée et qu’au lieu d’envoyer du lithium en poudre aux États-Unis, on envoie une cellule.

Pierre Fitzgibbon

Il avait d’ailleurs déjà commencé à tenter de leur ouvrir la voie au sud de la frontière.

« J’ai fait des démarches auprès de plusieurs constructeurs de voitures aux États-Unis en disant que les cellules faites au Québec seraient près de nos matériaux, près de la conversion », relate-t-il.

Du côté de l’Ontario, à quelques mois des élections de juin, le Parti libéral a promis de ressusciter les subventions pour véhicules électriques que le gouvernement de Doug Ford avait fait passer à la trappe. S’ils sont élus, les libéraux ontariens offriront jusqu’à 8000 $ en mesure incitative aux consommateurs.

L’impact chez Lion Électrique

Le constructeur de véhicules lourds zéro émission Lion Électrique a placé ses pions de façon telle qu’il échapperait au pire – pour ainsi dire – face à l’approche protectionniste que préconise la Maison-Blanche. C’est qu’une usine d’assemblage ouvrira ses portes au sud de la frontière, dans l’Illinois, en 2022.

« Il faudra regarder les détails du projet de loi, relève Patrick Gervais, vice-président au marketing et communications de l’entreprise. Mais nous, ce qu’on prône, c’est de construire les véhicules là où ils sont vendus, tant au Canada qu’aux États-Unis. »

Autrement, cela entre en contradiction avec l’objectif de décarbonation, note-t-il.

« Le transport est le plus grand émetteur de gaz à effet de serre. Si on se met à transporter des pièces d’un peu partout à travers le monde, même si on construit des véhicules zéro émission, on ne règle pas tant notre problème », argue-t-il.

Si le président Biden est aussi inflexible dans son Build Back Better Act, c’est en bonne partie pour contrer la montée en puissance de la Chine. Le projet de loi, qui prévoit un crédit d’impôt pouvant atteindre 12 500 $ pour l’achat de véhicules électriques, a été adopté la semaine dernière par la Chambre des représentants.

Il est maintenant rendu au Sénat, d’où il pourrait ressortir avec des modifications.