Explosion des mises en chantier. Acquisitions en série – et parfois sous le radar – par des fonds torontois, des fortunes familiales québécoises et de nouveaux groupes montréalais. Hausse effrénée des prix. Alors que l’habitation a pris une place centrale dans les campagnes électorales municipales, La Presse dresse un portrait inédit de la frénésie qui s’est emparée du marché immobilier locatif de la province.

L’immeuble de la rue Saint-Marc se fond dans le paysage du centre-ville de Montréal. Avec son parement de briques blanches et ses balcons grillagés un peu défraîchis, la tour de 15 étages ressemble à des centaines d’autres de la métropole.

Le bâtiment de 134 logements a été racheté en 2018 par un holding torontois, après des décennies passées entre les mains d’une même famille montréalaise. Prix de vente : 34,8 millions de dollars.

L’acheteur – un consortium constitué des sociétés Greybrook et Marlin Spring – a acquis 10 autres immeubles à Montréal et à Québec dans le cadre de cette transaction de 117,5 millions, pour un total de 667 logements. Toutes des propriétés qui présentaient un bon potentiel de « revalorisation ».

Au moment de l’acquisition en 2018, Ben Bakst, chef de la direction chez Marlin Spring Investments, a souligné que les loyers moyens étaient « inférieurs » aux taux actuels du marché. L’objectif de son groupe était clair : rénover pour ensuite « accroître considérablement le revenu net d’exploitation de ces immeubles ». Il a refusé d’accorder une entrevue à La Presse dans le cadre de cette enquête.

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L’immeuble de 134 logements a été retapé et renommé Marco Appartements.

La tour située au 1225, rue Saint-Marc a depuis été retapée en bonne partie et renommée Marco Appartements. Hall et ascenseurs rafraîchis, sécurité améliorée, cuisines et salle de bains modernisées dans une soixantaine d’appartements : les travaux se poursuivent sur une base continue. Des logements de trois pièces et demie y sont offerts à partir de 1250 $ ; des quatre et demie, à partir de 1800 $. Davantage que ce que payaient les anciens locataires.

Un « potentiel inexploité »

Le duo formé par Greybrook et Marlin Spring figure parmi les acheteurs les plus actifs depuis cinq ans dans le marché du multirésidentiel au Québec, selon une compilation de données exclusive réalisée par La Presse.

Dans le haut du classement se trouve la jeune société montréalaise Banvest, qui a acheté environ 3000 logements pendant cette période. Suivent la firme suédoise Akelius (2600), InterRent (1800) et la fiducie familiale de François Bélanger (1500). Un groupe axé sur le logement abordable, Gérer son quartier, figure aussi dans ce palmarès avec 728 appartements acquis depuis cinq ans.

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Des immeubles du boulevard L’Acadie, dans le quartier montréalais de Parc-Extension, acquis par Banvest

Ces acteurs côtoient des investisseurs déjà présents depuis de nombreuses années à Montréal, comme par exemple le fonds d’investissement CAPREIT. Sans compter les constructeurs de logements neufs, qui ont érigé 52 605 appartements locatifs entre 2015 et 2020 dans le Grand Montréal – une frénésie jamais vue depuis au moins trois décennies.

« Il y a beaucoup de potentiel inexploité dans cette ville », résume Martin Banoon, président des Immeubles Banvest inc., filiale de Banvest Development. Son groupe multiplie les acquisitions sans faire trop de bruit, reconnaît-il. « Vous ne trouverez pas grand-chose sur notre société, nous essayons vraiment de rester sous le radar. »

Forte concurrence

Si les acheteurs de maisons unifamiliales et de condos se battent ces jours-ci pour mettre la main sur les rares propriétés à vendre, la même intensité s’observe dans le segment des grands immeubles de logements. La concurrence est forte, et la surenchère, parfois déroutante.

« Je trouve que les prix qu’ils demandent depuis deux ans ne sont pas réalistes », dit Joe Caprera, dont l’entreprise possède quelque 1800 appartements dans le Grand Montréal.

M. Caprera donne l’exemple d’un immeuble de 170 logements « aux loyers très bas » qui était récemment offert à 43 millions de dollars dans l’Ouest-de-l’Île. Il a offert le plein prix dans l’espoir de l’acquérir. Le vendeur l’a rappelé en lui demandant finalement… 47 millions. « Je suis en train de réfléchir. »

L’organisme Gérer son quartier doit aussi se battre avec des investisseurs aux poches profondes. Le groupe, dont la mission est de garder les logements les plus abordables possible, s’est fait coiffer au fil d’arrivée pour un complexe de 400 appartements affiché à 68 millions.

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Une série d’immeubles locatifs du quartier Hochelaga-Maisonneuve, acquis par l’organisme Gérer son quartier, dont la mission est de garder les logements les plus abordables possible.

« Le vendeur a reçu quatre offres, dont une offre avec un prix similaire au nôtre, raconte la directrice générale Edith Cyr. Le vendeur a accepté l’offre d’une compagnie ontarienne car leur offre était sans conditions avec un délai d’acquisition plus rapide que le nôtre. »

Des acheteurs plus « aguerris »

L’intérêt pour les immeubles multirésidentiels ne date pas d’hier à Montréal. Ce qui a changé au cours des dernières années, c’est surtout la structure de propriété, de plus en plus dominée par de grands investisseurs qui ont accès à des montagnes de capitaux.

« Il y a 15 ou 20 ans, entre 90 % et 95 % des immeubles multirésidentiels appartenaient à des familles, souvent du vieil argent qui est à Montréal depuis longtemps, explique Benoit Poulin, premier vice-président de la firme de courtage commerciale CBRE. Cette portion a continué de diminuer, on est rendus autour de 70 %. »

Les acheteurs qui sont en mesure de prendre de grosses bouchées sont relativement peu nombreux et de plus en plus « aguerris », souligne M. Poulin, expert de l’industrie depuis 25 ans.

Tout le monde veut acheter du multirésidentiel, mais à la fin de la journée, quand vient le temps de signer une offre d’achat avec tous les zéros qui viennent avec, il n’y en a pas beaucoup.

Benoit Poulin, premier vice-président, CBRE

Un autre changement notable des dernières années, c’est que les acheteurs d’immeubles locatifs s’intéressent de plus en plus aux immeubles situés hors du centre-ville de Montréal, souligne Charles-André Latour, directeur principal, recherche, évaluation et services-conseils, au Groupe Altus.

« Maintenant, l’institutionnel établi à Toronto s’intéresse à des produits situés à Laval, à Brossard, même, récemment, à Sherbrooke », dit-il.

Le fonds immobilier torontois Centurion a justement annoncé il y a 10 jours son intention d’acheter une participation dans 30 immeubles du groupe en difficulté Trigone, totalisant 3678 appartements répartis dans les banlieues montréalaises. Cette transaction, si elle se concrétise, serait la plus importante jamais réalisée dans le marché du multirésidentiel au Québec.

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Un immeuble du Groupe Trigone, lequel espère réaliser une mégatransaction de plusieurs centaines de millions de dollars.

Les mises en chantier explosent

Alors que l’intérêt des investisseurs pour les immeubles locatifs existants atteint des niveaux jamais vus au Québec, la construction neuve a aussi grimpé en flèche au cours des dernières années. Des données inédites fournies à La Presse par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) permettent de constater que les mises en chantier ont été multipliées par trois au cours des cinq dernières années, et presque par cinq depuis dix ans.

En 2010, on avait construit à peine 1925 appartements locatifs « traditionnels » dans la région métropolitaine de Montréal. Ce nombre a grimpé à 4484 en 2015, puis à 14 664 l’an dernier (ces chiffres n’incluent pas les résidences pour personnes âgées). Ces tours locatives qui ressemblent souvent à des condos, comme celles de Trigone, ont poussé aux quatre coins de la métropole, de Griffintown à Brossard en passant par Laval et l’Ouest-de-l’Île.

Ces immeubles très récents, où les loyers sont en général assez élevés, permettent moins de possibilités d’optimisation – et de hausses de loyers – pour les acquéreurs, note Charles-André Latour. Ce qui ne réduit en rien l’intérêt des investisseurs, malgré un coût d’acquisition plus élevé.

« Les immeubles neufs, oui, il y a moins de croissance [des loyers], mais ce sont des actifs qui nécessitent beaucoup moins d’entretien, explique-t-il. Sur un horizon de détention de 10 ans, les rendements restent très intéressants. »

1,7 milliard en transactions

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En 2020, 612 transactions immobilières ont été enregistrées dans le segment du multirésidentiel à Montréal, pour un total de 1,7 milliard de dollars, selon la firme CBRE.

Le marché du multirésidentiel de la région métropolitaine de Montréal se porte bien, confirme un rapport de la firme Coldwell Banker Canada inc. (CBRE). En 2020, 612 transactions immobilières ont été enregistrées, pour un total de 1,7 milliard de dollars. Crise sanitaire et récession économique obligent, c’est 29 % de moins que les 2,4 milliards de dollars atteints en 2019. Pour les experts, le volume toujours élevé de transactions – assez impressionnant étant donné le contexte pandémique – s’explique entre autres par les taux d’occupation et les taux de recouvrement des loyers qui sont restés assez stables malgré la crise, ainsi que par les taux d’intérêt historiquement bas.

Jusqu’à 588 000 $ par logement

Le prix moyen payé pour chaque appartement varie grandement selon le type d’immeuble. CBRE a comptabilisé huit transactions pour des bâtiments locatifs de catégorie A l’an dernier, souvent assez récents. Le prix de vente moyen pour chaque logement a oscillé entre 290 000 $ et 525 000 $ (334 000 $ en moyenne), soit un prix de 335 $ à 560 $ le pied carré, note-t-on. Une transaction est sortie du lot : la vente de la prestigieuse tour Le Cartier, au centre-ville de Montréal, avec un prix moyen de 588 000 $ par appartement. Les tours d’habitation de catégorie B dotées d’une structure en béton, nécessitant des travaux d’amélioration, se sont vendues en moyenne 136 500 $ par « porte », tandis que les immeubles plus petits avec une structure en bois ont vu le prix moyen de leurs appartements osciller entre 63 000 $ et 157 000 $. CBRE s’attend à ce que l’intérêt des investisseurs demeure élevé envers le marché montréalais au sortir de la pandémie.

Qui sont les grands acteurs ?

Obtenir un portrait clair de l’investissement immobilier relève de la course à obstacles. Beaucoup d’investisseurs procèdent à leurs acquisitions par l’entremise de sociétés à numéro, qui sont souvent elles-mêmes détenues par d’autres sociétés à numéro. Nous avons obtenu le soutien d’une firme spécialisée du domaine pour tenter d’y voir plus clair. Nos recherches ont permis d’identifier plusieurs investisseurs importants et parfois peu connus du grand public, qui ont multiplié les acquisitions depuis cinq ans. Parmi ceux-ci, on compte :

Les Immeubles Banvest inc.

Les Immeubles Banvest inc. est une filiale de Banvest Development. Immatriculée en 2018, cette société immobilière est établie à Montréal. Banvest a acquis 3000 logements, dont près de 2300 à Montréal et à Longueuil. « Nous croyons beaucoup à l’avenir de Montréal et à sa croissance économique. C’est pourquoi nous ne possédons des logements qu’au Québec », explique Martin Banoon, président de l’entreprise. Relativement nouvelle, Banvest Development continue de croître. Elle a acheté environ 500 logements à Trois-Rivières en 2021. « Tant que les acquisitions seront viables d’un point de vue financier, nous continuerons d’acheter, quel que soit le nombre », affirme M. Banoon.

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Une série d’immeubles de Parc-Extension acquis par Banvest

Akelius Montréal Ltd.

Filiale d’un géant suédois, Akelius Montréal Ltd. a acquis près de 2700 logements au Québec depuis 2016, particulièrement à Montréal et à Saint-Lambert. Cet investisseur à long terme dans l’immobilier résidentiel s’intéresse au Québec, car sa stabilité politique et financière présente des risques limités. La société possède maintenant plus de 4000 portes dans l’île de Montréal et sur la Rive-Sud. « Nous sélectionnons méticuleusement nos propriétés. La plupart des propriétés acquises avant la COVID-19 avaient un fort potentiel d’amélioration. Depuis l’année dernière, notre stratégie d’acquisition a changé. Nos trois dernières acquisitions sont des constructions neuves ou des propriétés entièrement rénovées », explique par courriel Julio Viana, vice-président, gestion d’actifs, d’Akelius.

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Un immeuble du chemin Rockland acquis par la suédoise Akelius

InterRent International Properties

InterRent International Properties inc. est située à Ottawa. Associée au Groupe CLV, cette entreprise ontarienne opère aussi sous le nom Interrent Real Estate Investment Trust (REIT). Au cours des cinq dernières années, InterRent a acheté plus de 1750 logements au Québec, particulièrement dans l’île de Montréal, à Côte-Saint-Luc et à Westmount, ainsi qu’à Gatineau. La Presse a tenté de joindre les représentants du Groupe CLV, mais ceux-ci ont refusé de nous accorder une entrevue dans le cadre de cette enquête.

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Un immeuble du chemin de la Côte-Saint-Luc acquis par InterRent

Gestion immobilière François Bélanger

La Société immobilière Bélanger est une entreprise immatriculée en 2009 à Québec. Depuis 2016, l’entreprise a acheté environ 1500 logements dans la capitale québécoise, sous les noms Gestion immobilière François Bélanger inc., Carrefour des Érables 2.0 S. E. C. et Corporation CDE Longueuil inc. « Les fondamentaux du marché locatif sont bons : le taux de chômage est bas, la clientèle est respectueuse des logements. Québec est une ville qui est résiliente, c’est un marché stable », fait valoir Sébastien Dion, directeur des acquisitions de la Société immobilière Bélanger. Selon lui, le marché locatif va continuer de répondre de plus en plus aux besoins des locataires qui cherchent de meilleurs milieux de vie. « Les gens veulent avoir de beaux logements rénovés et de bonne qualité », affirme-t-il.

IMAGE TIRÉE DU SITE DE LA SOCIÉTÉ IMMOBILIÈRE BÉLANGER

Une image d’un projet de la Société immobilière Bélanger, à Québec

Quantum Immobilier inc.

Quantum Immobilier inc. est une filiale du Groupe Odyssée, une entreprise établie à Sherbrooke. Deux de ses actionnaires principaux, Mohammad et Abdul Hakim Hussainzada, sont aussi propriétaires d’une vingtaine de Tim Hortons à Montréal. Depuis 2016, Quantum Immobilier a acquis près de 800 logements à Sherbrooke et à Deux-Montagnes. « Je suis dans l’immobilier depuis 2005, donc pour moi, [acheter des logements] n’est pas nouveau. Ce qui est nouveau, c’est de le faire à gros volume », indique Guillaume Fontaine, président du Groupe Odyssée. « Le risque d’investir dans le marché immobilier québécois est très modéré parce que je le connais bien et parce qu’on a des règles légales et financières très sécuritaires. »

Le spectre des « rénovictions » plane

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Des manifestants dénoncent ce qu’ils qualifient de « rénoviction » devant un immeuble du Plateau Mont-Royal, en avril 2021.

La frénésie actuelle autour de l’immobilier locatif coïncide avec une crise qui fait de plus en plus de bruit : celle des « rénovictions ». Dans les dernières années, et surtout depuis quelques mois, de plus en plus de locataires sont montés au créneau pour dénoncer des expulsions faites sous le prétexte de rénovations majeures.

Le géant suédois Akelius a notamment fait la manchette en 2019 après des déclarations de la rapporteuse spéciale de l’ONU sur le logement, Leilani Farha. Elle accusait le groupe de contourner la réglementation sur les augmentations de loyer en pratiquant des rénovictions abusives, entre autres à Montréal et à Toronto. (Akelius nie ces pratiques.)

Mme Farha, une Canadienne qui a occupé ses fonctions à l’ONU de 2014 à 2020, a dénoncé en entrevue à La Presse la « financiarisation » du marché locatif, de plus en plus dominé par de grands investisseurs, qui contribue selon elle à une flambée des prix. Des critiques partagées par plusieurs experts et regroupements sociaux que nous avons consultés.

Il reste que la situation actuelle du logement est loin d’être noire ou blanche. L’entretien de nombreux immeubles a été négligé pendant des décennies au Québec, si bien qu’ils se trouvent aujourd’hui dans un état de délabrement parfois avancé et nécessitent d’importants travaux.

Là où le bât blesse, c’est que les règles du Tribunal administratif du logement permettent seulement aux propriétaires de récupérer une portion minime de leurs coûts de rénovation par l’entremise de hausses de loyer, souligne Martin Messier, président de l’Association des propriétaires du Québec (APQ).

Pour la rénovation d’une cuisine et d’une salle de bains de 50 000 $ dans un appartement, par exemple, le proprio pourra seulement augmenter le loyer de 2,3 %. Il lui faudrait donc, en théorie, 43 ans pour rentabiliser ces rénovations, dit M. Messier. Des règles qui ont contribué au déficit d’entretien de nombreux immeubles, ajoute-t-il.

PHOTO FOURNIE PAR L’ASSOCIATION DES PROPRIÉTAIRES DU QUÉBEC

Martin Messier, président de l’Association des propriétaires du Québec

On ne peut pas s’empêcher de constater que le problème, c’est le taux de fixation des loyers. Quand on voit qu’il faut amortir une transaction sur 40 ans pour les réparations, ça n’a aucun sens.

Martin Messier, président de l’Association des propriétaires du Québec

Le président de l’APQ se dit opposé aux « ententes sous pression » imposées dans le cadre de rénovictions. Il privilégie les ententes de résiliation « gagnant-gagnant-gagnant », qui permettront au locataire d’obtenir une bonne compensation financière pour quitter son logis, et au propriétaire de fixer un loyer plus élevé à la suite de ses rénovations.

M. Messier estime que les façons de calculer les hausses de loyer ne fonctionnent tout simplement plus dans la province – et pénalisent tant les propriétaires que les locataires à faible revenu. « Le système est en train de craquer de partout. »

Il prône un réinvestissement massif de l’État dans le logement social, ainsi que des programmes plus généreux de supplément au loyer, qui permettraient aux locataires moins nantis de demeurer dans leur appartement.

Bien faire les choses ?

Plusieurs investisseurs identifiés par La Presse affirment bien faire les choses lorsque vient le temps de procéder à des rénovations majeures. Ces groupes soutiennent ne jamais expulser de locataires, mais disent plutôt rénover les logements au fur et à mesure qu’ils se libèrent – pour ensuite en augmenter les loyers au prix courant. Des programmes de « revalorisation des actifs », fait-on valoir.

Le groupe Cogir, qui gère les immeubles du duo torontois Greybrook et Marlin Spring, explique procéder en deux étapes lorsque vient le temps de rénover un immeuble vieillissant. La firme commence par moderniser les aires communes – hall, gym, ascenseurs – et retape ensuite les logements graduellement.

« Ça donne l’option de vivre dans un logement quasiment neuf, très moderne, mais beaucoup moins cher qu’un condo neuf », dit Brigitte Pouliot, porte-parole de Cogir, qui gère entre autres le Marco Appartements. Depuis 2018, 64 des 134 logements de cet immeuble ont été rénovés.

Mme Pouliot affirme que Cogir – qui gère 14 000 logements – n’a jamais forcé la main à un locataire dans le cadre d’une rénoviction. « Ça va complètement à l’encontre de notre philosophie d’entreprise. Rénover l’appartement au moment où une personne part et vider un immeuble pour le rénover, c’est deux choses. »

Charles-André Latour, directeur principal au Groupe Altus, qui analyse de façon serrée le marché de l’investissement immobilier, estime que les rénovictions constituent une « exception ». Le taux de « roulement » élevé dans les grosses tours d’habitation permet à bien des propriétaires de procéder à des travaux sans avoir à expulser qui que ce soit, note-t-il.

« Si on parle d’un projet d’une centaine d’unités, chaque année, il y a 25 % des unités qui deviennent libres, donc c’est le temps de les rénover et de les louer plus cher », explique-t-il.

Une ville en essor

Si la faiblesse historique des coûts d’emprunt – autour de 2 % – et la grande disponibilité des capitaux expliquent une partie de la flambée actuelle de l’investissement dans le marché locatif, le renouveau de Montréal et de la province y est aussi pour beaucoup, estime le courtier Benoit Poulin, de CBRE.

Alors que le Québec et sa métropole stagnaient dans la morosité économique dans les années 1990, le portrait est fort différent aujourd’hui. « Ce n’est plus la même ville qu’il y a 15 ou 20 ans, c’est rendu une ville beaucoup plus internationale, extrêmement attrayante », dit M. Poulin.

Une évolution, qu’on le veuille ou non, qui a capté l’intérêt des investisseurs immobiliers.

Avec la collaboration de Thomas de Lorimier, La Presse