La pénurie de main-d’œuvre, exacerbée par la pandémie, suscite la plus grande inquiétude. Assez pour que trois organisations sortent publiquement, mardi, sans nécessairement s’être concertées.

Bardés de sondages dessinant le portrait d’une situation préoccupante, la Banque de développement du Canada (BDC), le Conseil du patronat du Québec (CPQ) et Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ) lancent tous comme message que les entreprises et les gouvernements doivent trouver des solutions rapidement pour ne pas freiner la relance de l’économie québécoise.

La Presse a recensé ce qu’il est ressorti de discussions et études dévoilées mardi et mercredi.

64 %

C’est le pourcentage de PME au Canada qui disent que la pénurie de main-d’œuvre ralentit leur croissance. Environ 44 % ont retardé la livraison de leurs commandes ou n’ont pu remplir leurs engagements. « La pénurie est inquiétante, car elle ralentit la croissance économique », lance Pierre Cléroux, vice-président, recherche et économiste en chef de la BDC. « Il faut prendre ça très au sérieux. Ce n’est pas un problème temporaire. Il faut comprendre que c’est un enjeu qui va être avec nous longtemps. »

« Plus de 98 % des entreprises du secteur manufacturier que nous avons sondées recherchent de la main-d’œuvre à tous les niveaux, ajoute Véronique Proulx, PDG de MEQ. Un quart ont besoin de pourvoir 20 % ou plus de postes. L’impact économique pour le secteur manufacturier est de l’ordre de 18 milliards en pertes depuis deux ans. Les entreprises ne sont pas capables de répondre à la demande, d’honorer leurs contrats. Elles choisissent de baisser leur production. »

La pénurie de main-d’œuvre existait avant la pandémie

Elle n’est donc pas forcément attribuable à la Prestation canadienne d’urgence (PCU) et à la Prestation canadienne de la relance économique (PCRE). « Le problème fondamental est le vieillissement de la population, explique Pierre Cléroux. Les baby-boomers prennent leur retraite, et moins de jeunes entrent sur le marché du travail. Depuis 10 ans, l’augmentation de l’emploi a été de 10 % et l’augmentation de la population active, de seulement 1 %. L’immigration a par ailleurs baissé de moitié à cause de la pandémie et des restrictions. »

Et la situation est plus préoccupante au Québec, car le vieillissement de la population y est plus accéléré. « En 2000, le Québec comptait 12 % de gens de 65 ans et plus, note Pierre Cléroux. En 2020, 20 %. La situation est plus grave aussi en zone rurale, car beaucoup de jeunes quittent les petites villes. »

Les solutions à envisager

La robotisation et l’automatisation, des retraites passé 65 ans, l’embauche de gens issus de l’immigration, les primes à l’embauche, la rémunération globale sont des solutions qu’il faut appliquer de façon pérenne pour attirer et retenir les salariés, selon la BDC et des intervenants de Solutions Mieux-être LifeWorks, Mercer, Normandin Beaudry et PCI rémunération-conseil qui ont pris la parole lors d’un colloque, mardi, organisé par le CPQ. « La rémunération, ce n’est pas que des chiffres, note Guylaine Béliveau, directrice, service conseil rémunération, de LifeWorks. Si vous voulez recruter, il faut être transparents sur le plan salarial et positionner dans vos valeurs la diversité et l’inclusion. Il faut avoir des salaires compétitifs, être flexible, avoir des valeurs alignées sur celles des employés à recruter. »

« La robotisation, ça se fait dans tous les secteurs, ajoute Pierre Cléroux. La technologie, comme des caisses libre-service ou des assistants virtuels, peut remplacer les travailleurs. Mais ce n’est pas la solution la plus utilisée. Seulement 10 % des PME regardent cette solution. »

« Il y a plus de bonis à la signature, de l’ordre de 5000 $ à 10 000 $ pour les non-exécutifs et de 20 000 $ à 30 000 $ pour les postes exécutifs », détaille Jean-François Thibault, conseiller principal et responsable de la division Carrière, Est du Canada, de Mercer. « Dans les trois quarts des cas, c’est lié à un objectif de rétention. Les primes de référencement sont aussi de plus en plus populaires. »

De 2,9 % à 3,1 %

Pourcentages des hausses salariales prévues en 2022 au Québec, selon diverses études, en excluant les gels salariaux. Les hausses devraient être plus senties dans les milieux de la technologie, de la construction, du commerce de gros, des sciences de la vie, des secteurs minier et métallurgique. « Je serais surprise qu’il y ait plus de 10 % des organisations qui gèlent leurs salaires avec la pénurie de main-d’œuvre », note Guylaine Béliveau.

« Il y a tout de même des industries qui ne sont pas reparties pleinement, poursuit Marc Chartrand, associé de PCI. Je pense au milieu culturel, à l’hôtellerie et aux compagnies aériennes. »

Parallèlement, le taux de chômage va diminuer. « La prévision est de 5,1 % en 2022, selon Statistique Canada, dit Marc Chartrand. Le taux ne fait que baisser présentement. On prévoit 4,6 % en 2023. Ça s’explique notamment par le vieillissement de la population, aigu au Québec. »

MEQ interpelle le gouvernement

Le nombre de postes vacants dans le milieu manufacturier s’élève à plus de 25 000 au Québec. MEQ demande au gouvernement de pourvoir 10 000 postes d’ici un an. « On veut des actions concrètes du gouvernement, qu’il priorise le secteur manufacturier », a imploré Véronique Proulx en conférence de presse mardi. « Ça prend un indicateur de rendement avec des objectifs clairs. »

MEQ propose ainsi des mesures pour pallier la pénurie de main-d’œuvre, notamment d’augmenter les seuils d’immigration économique permanente, d’accélérer l’arrivée de travailleurs étrangers temporaires « en faisant passer le délai de traitement des dossiers à neuf mois », de mener par région des missions de recrutement international dans les pays francophones et d’outiller de meilleures façons les entreprises qui font de la formation interne.