L’inflation annuelle au Canada a atteint en août un rythme de 4,1 %, un niveau que l’on n’a pas vu depuis 18 ans. Les Canadiens doivent-ils s’inquiéter de l’érosion de leur pouvoir d’achat ?

« Le niveau actuel de l’inflation est préoccupant, répond tout de go Benoit P. Durocher, économiste chez Desjardins. Bien qu’il existe des facteurs temporaires qui expliquent la hausse des prix comme l’essence, plus de la moitié des composantes du panier de produits affiche une inflation supérieure à 3 %. C’est préoccupant. »

Pour le commun des mortels, que signifie une inflation plus élevée que prévu ?

Pour 2021, on s’aligne pour une inflation moyenne de 3 %. Pour monsieur et madame Tout-le-Monde, s’ils n’ont pas une augmentation de salaire qui équivaut à la hausse des prix, ils vont subir une baisse de leur pouvoir d’achat dans l’année.

Benoit P. Durocher, économiste principal chez Desjardins

Le sujet de l’inflation s’est d’ailleurs invité dans la campagne électorale fédérale, le chef du Parti conservateur, Erin O’Toole, accusant le premier ministre sortant Justin Trudeau d’avoir rendu la vie des Canadiens moins abordable. Plus tôt dans la campagne, M. Trudeau avait laissé savoir qu’il ne s’intéressait pas à la politique monétaire.

Transitoire ou persistante ?

C’est à la Banque du Canada que revient le mandat de gérer l’inflation au pays au moyen de sa politique monétaire. Elle cible un taux d’inflation compris dans une fourchette de 1 à 3 %, le point médian étant 2 %.

En août, les principales composantes ayant contribué à la hausse des prix sont le transport aérien, l’hébergement des voyageurs, les autres dépenses pour le logement en propriété, le coût de remplacement par le propriétaire, ainsi que l’achat de véhicules de tourisme.

Desjardins anticipe maintenant que l’inflation atteindra d’ici deux à trois mois un plafond et que l’indice des prix se mettra à ralentir par la suite avec la disparition de facteurs temporaires.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Les prix de l’essence ont augmenté en 2021, mais ils étaient anormalement bas en 2020 avec les interdictions de voyager.

Parmi les facteurs temporaires, il y a ce que les économistes décrivent par l’expression « effet de base ». Il s’agit de l’inflation qui est amplifiée par le simple fait que la période de référence coïncide avec une période anormale. C’est le cas de l’essence. Quand on compare le prix d’août 2021 à celui d’août 2020, l’inflation s’en trouve gonflée par le fait que l’essence se vendait à un prix anormalement bas en août 2020 avec les interdictions de voyager.

Cependant, souligne M. Durocher, il n’y a pas de certitude. « Les risques sont à la hausse, reconnaît-il. On pourrait se faire surprendre par la résilience de l’inflation au cours des prochains mois. » Il montre du doigt la persistance dans le temps des déséquilibres dans l’offre et la demande pour bon nombre de produits.

On pense ici à la pénurie de semi-conducteurs qui oblige les grands manufacturiers automobiles comme Toyota à limiter volontairement leur production automobile.

Ce risque est bien réel selon Martin Coiteux, économiste de la Caisse de dépôt et placement, qui a pris la parole lundi à la Conférence de Montréal.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Martin Coiteux, économiste de la Caisse de dépôt

« Ces pressions inflationnistes pourraient bien se poursuivre pour une bonne partie de 2022, ces goulots d’étranglement que l’on voit dans les chaînes d’approvisionnement pourraient bien perdurer jusqu’en 2023 dans certains secteurs », avait-il indiqué dans un atelier où il était l’un des deux panélistes invités. Il a lancé à la blague le concept de « persistance temporaire » pour parler de l’inflation de nos jours.

Cette boutade est une réaction au discours dominant des autorités monétaires, qui ne cessent de répéter que l’inflation est transitoire ou temporaire, étant causée par les effets de la pandémie sur l’offre et la demande.

Inquiétudes chez certains économistes

Le discours rassurant de la Banque du Canada et de la Réserve fédérale, aux États-Unis, est partagé par les économistes des grandes banques canadiennes si on se fie à leur analyse publiée mercredi.

C’est le cas de la CIBC. « L’indicateur spécial de la Banque du Canada, celui qui filtre les mouvements de prix qui pourraient être causés par des facteurs spécifiques, est resté à seulement 1,8 %, écrit l’économiste Royce Mendes. Cet indice montre qu’une grande partie de l’inflation actuelle est causée par des facteurs inhabituels qui ne seront probablement pas durables. La Banque du Canada porte une très grande attention à cet indicateur et celui-ci réconfortera la Banque dans son opinion qu’une grande partie de l’inflation récente est transitoire. »

Le ton se veut aussi rassurant chez RBC. « [En faisant abstraction de l’effet de base sur l’inflation], les prix globaux ont augmenté de 2,3 % [en rythme annualisé] par rapport à février 2021 avant la pandémie », souligne de son côté l’économiste Claire Fan.

À l’autre bout du spectre, les spécialistes de BMO et de la Financière Banque Nationale paraissent davantage inquiets de la tournure des évènements.

« Les pressions salariales croissantes, les prix élevés des maisons et les coûts énergétiques suggèrent tous que l’inflation n’est pas sur le point de se remettre rapidement à baisser à mesure que les facteurs temporaires s’estompent », a écrit Douglas Porter, de BMO, dans sa note publiée mercredi.

« À quel niveau l’inflation va décélérer et se stabiliser ? se demande à voix haute Matthieu Arseneau, de FBN, dans un entretien avec La Presse. On loge dans le camp de ceux qui croient que l’on verra de l’inflation plus élevée au Canada que ce qu’on a vu dans la dernière décennie. On va se retrouver plus près de 2,5 à 3 % que de 2 %.

« Il ne faut pas oublier que les travailleurs la ressentent, cette inflation. S’ils demandent d’être compensés par des salaires plus élevés, ultimement, les entreprises devront augmenter leurs prix. On se retrouvera alors dans une spirale. Nous pensons que c’est là qu’on s’en va. »

Ce qui rassure les économistes

  • La hausse du prix de l’essence par rapport à la même période l’an dernier, gros contributeur à l’inflation en août, devrait fléchir dans les prochains mois.
  • Les indices de prix qui excluent les éléments temporaires se situent sous la limite supérieure de la fourchette cible de 3 % de la Banque du Canada.
  • Le marché résidentiel au pays, autre sérieux contributeur à l’inflation, montre certains signes de ralentissement.
  • Des produits comme le bois d’œuvre, qui avaient connu au printemps des ruptures dans la chaîne d’approvisionnement, reviennent avec le retour à la normale à des niveaux de prix raisonnables.

Ce qui inquiète les économistes

  • L’inflation dépasse les attentes pour la quatrième fois en cinq mois.
  • Plus de la moitié des composantes du panier de biens connaissent une inflation supérieure à 3 %.
  • L’inflation, même mesurée en fonction d’indices excluant des effets temporaires comme les ruptures dans les chaînes d’approvisionnement, est à 2,6 %, un taux vu pour la dernière fois en 2008. Le taux annualisé des trois derniers mois est encore plus élevé.
  • La pénurie de main-d’œuvre crée des pressions inflationnistes sur les salaires qui ne semblent pas près de s’estomper.
  • La transition écologique ne se fera pas sans coût.
  • L’évolution de la géopolitique amène à penser que la Chine et les pays émergents seront moins en mesure d’exporter au Canada et aux États-Unis des effets déflationnistes dans le prix des biens comme ils l’ont fait au cours des 10 à 15 dernières années.