(Halifax) L’abordabilité du logement est une priorité pour les électeurs canadiens et les trois principaux partis promettent dans leur programme électoral de faciliter l’achat d’une maison par les familles.

La boîte à outils politique pourrait comporter une option pour atténuer la surchauffe des marchés : l’imposition des gains en capital lors de la vente d’une résidence principale.

Politiquement, ce n’est pas une proposition facile à vendre. En fait, l’idée est si impopulaire auprès des électeurs que lorsqu’un économiste bancaire a suggéré dans un document de recherche, plus tôt cette année, que l’exemption pour les résidences principales de l’impôt sur les gains en capital soit réexaminée, il a par la suite dû préciser que l’idée était lancée comme un « exercice théorique ».

Le gouvernement canadien a introduit pour la première fois un impôt sur les gains en capital en 1972, mais a exonéré les résidences principales dans le but d’encourager l’accession à la propriété. Un demi-siècle plus tard, les guerres d’enchères, les offres à l’aveugle et les horaires de visites doublés – des éléments jadis conscrits aux grandes villes – sont devenus omniprésents dans les zones rurales et les banlieues du pays.

Le programme de campagne du Parti libéral indique que le gouvernement créerait une taxe « anti-flip immobilier » qui exigerait que la plupart des propriétés soient conservées pendant un an pour freiner la spéculation, ce qui, selon ses critiques, est essentiellement un impôt sur les gains en capital.

Malgré tout, dans un contexte d’aggravation de la crise du logement, certains disent qu’il est temps de reconsidérer le concept.

« Les décideurs devraient tout mettre sur la table, y compris […] l’exemption pour les résidences principales de l’impôt sur les gains en capital », a estimé l’économiste Robert Hogue, de la Banque Royale, dans un rapport de recherche publié en mars. Il a ajouté plus tard que cette proposition ne se voulait pas une recommandation politique, mais qu’il s’agissait « davantage d’un exercice théorique que d’un exercice politiquement viable ».

« De nombreux Canadiens ayant bâti leur patrimoine (et leurs plans de retraite) en tenant compte de la pleine valeur de leur maison, l’impact de toute modification devrait être soigneusement équilibré entre le marché du logement et la sécurité financière des Canadiens, et ne s’appliquer que sur une base prospective », a estimé M. Hogue dans sa note révisée.

Les politiciens semblent d’accord. Aucun des plans proposés par les principaux partis du Canada ne propose de lever l’exonération des gains en capital pour les résidences principales, à l’exception de la taxe anti-flip immobilier proposée par le Parti libéral.

S’ils agissent ainsi, c’est parce que le contraire serait un « suicide politique », a souligné Tim Cestnick, expert en fiscalité et en finances personnelles et chef de la direction de la firme Our Family Office.

« De nombreux Canadiens considèrent leur maison comme leur régime de retraite », a-t-il expliqué. « Si le gouvernement changeait simplement les règles et commençait à imposer les gains, cela pourrait mettre beaucoup de gens dans une situation de retraite très difficile. »

Le chef conservateur Erin O’Toole a indiqué lors du débat des chefs de jeudi que « les Canadiens craignaient de voir (le chef libéral Justin Trudeau) taxer la vente de leur résidence principale ».

En pratique, la taxe proposée dans la plateforme libérale s’appliquerait à très peu de personnes, puisque la plupart des Canadiens achètent une maison avec l’intention d’y vivre plutôt que pour gagner de l’argent à court terme, a observé Paul Taylor, président et chef de la direction de Professionnels hypothécaires du Canada.

Selon lui, cette promesse signifie : « si vous êtes en train d’acheter une maison, de la rénover et de la vendre, le gouvernement vous créditera tous les investissements dans la propriété que vous avez réalisés […], mais si vous êtes propriétaire de la maison depuis moins de 12 mois, toute appréciation au-delà de votre investissement sera un revenu imposable à 100 % ».

« Je pense qu’il s’adresse tout particulièrement à ceux qui utilisent le rendement de l’immobilier comme revenu sans déclarer d’impôt sur celui-ci », a-t-il affirmé, notant qu’il existait de nombreuses « voies de sortie » intégrées pour les personnes confrontées à des changements de vie qui pourraient exiger de vendre une maison peu de temps après l’avoir achetée.

« Cela semble assez ciblé dans la description initiale, mais le diable pourrait bien être dans les détails. »

Doutes quant à l’efficacité

M. Taylor estime qu’il n’est pas étonnant de voir des critiques caractériser la proposition libérale comme étant très près d’une taxe sur les gains en capital sur les résidences principales, cependant, « parce que c’est techniquement ce qu’ils font ».

Il s’interroge en outre sur l’efficacité de la promesse. Par exemple, il se demande comment l’Agence du revenu du Canada (ARC) déterminerait la différence entre quelqu’un qui vend pour des raisons légitimes et ceux qui se vendent strictement pour faire un coup d’argent.

Dans la mesure où cela dissuaderait les amateurs de flips, M. Taylor ne croit pas que cela aurait nécessairement l’impact espéré par les libéraux sur les prix des logements.

« Il y a des gens qui achètent des maisons délabrées, investissent pour les rendre à nouveau habitables, puis les revendent, ce qui, en fait, fait grossir le parc de logements, qui, nous le reconnaissons tous, souffre actuellement de contraintes d’approvisionnement considérables. »

En effet, de nombreux experts affirment que l’offre limitée de logements — le nombre de nouvelles inscriptions sur le marché chaque mois — est le plus gros contributeur à l’embellie du marché.

« Le problème, c’est que nous n’avons pas construit suffisamment de maisons », a estimé le vice-président principal et économiste en chef de la Banque Scotia, Jean-François Perrault. « Le nombre de Canadiens a augmenté, mais le nombre de foyers n’augmente pas assez rapidement pour suivre la cadence. »

M. Cestnick est d’accord.

« En fait, je ne pense pas que (la proposition libérale) aiderait même beaucoup le marché du logement. L’impact serait très minime », a-t-il affirmé, désignant également le côté de l’offre comme le point de pression le plus important.

« Cela ne modifie pas non plus le déséquilibre fondamental du marché du logement. »

M. Perrault a ajouté : « vous n’allez pas apporter de changements significatifs et durables du côté de l’abordabilité à moins que nous n’ayons simplement un meilleur équilibre entre le nombre de maisons à vendre et le nombre de Canadiens qui en ont besoin. »

Selon lui, la solution consiste plutôt à atténuer les obstacles à l’érection de nouvelles constructions pour toutes les formes de logement – logements abordables, locations et maisons unifamiliales, a-t-il précisé.

« Une chose est sûre : il n’y a pas de solution miracle », a souligné M. Hogue dans son rapport de mars. « Toutes les options du côté de la demande ont des effets secondaires et fonctionnent, au mieux, pendant une durée limitée. »

Avec l’aide de Joan Bryden à Ottawa