(Francfort) Un lifting plus qu’une révolution : la Banque centrale européenne a dévoilé jeudi sa nouvelle stratégie, avec une cible d’inflation plus claire, permettant une politique monétaire plus flexible, et un engagement à intégrer les préoccupations climatiques dans ses arbitrages.

Ces décisions sont le fruit d’une vaste revue, la première depuis 2003, décidée fin 2019 par la présidente de la BCE Christine Lagarde.

Les annonces étaient initialement attendues en septembre, mais les banquiers centraux de la zone euro sont tombés d’accord plus vite que prévu.

Concrètement, l’objectif d’un niveau d’inflation « inférieur, mais proche de 2 % », servant d’étalon depuis 18 ans, est remplacé par « une cible d’inflation de 2 % à moyen terme ».  

Ce choix offre davantage de flexibilité et fait disparaître l’idée implicite d’un plafond au-delà duquel la banque durcit sa politique monétaire pour agir sur les prix.

D’autant que la BCE est prête à tolérer des dépassements temporaires : l’objectif « peut impliquer une période transitoire pendant laquelle l’inflation est modérément supérieure à la cible », explique-t-elle.

Ayant largement consulté aussi bien des experts que des organisations de la société civile et même le grand public, les responsables monétaires se sont également entendus pour « intégrer davantage les considérations relatives au changement climatique ».

À l’avenir, la banque tiendra compte de la crédibilité environnementale des entreprises pour déterminer si un actif peut être considéré comme une garantie ou être acheté par l’institution de Francfort.  

La BCE procèdera également à des « tests de résistance climatique » afin d’évaluer l’exposition de l’Eurosystème à ces risques.

Des changements climatiques radicaux pourraient avoir une incidence sur l’emploi, la production ou même la stabilité financière, estime l’institution, qui juge que les critères environnementaux s’inscrivent donc parfaitement dans le cadre de son mandat consistant à assurer la stabilité des prix.

« La BCE devra être jugée non pas sur ses paroles, mais sur ses actes », a réagi l’ONG Greenpeace tout en saluant « l’engagement clair » de la banque.  

« Ce ne sont pas que des mots », a assuré Mme Lagarde lors d’une conférence de presse. « Il s’agit d’un engagement de l’ensemble du conseil des gouverneurs avec des délais, des résultats et la poursuite d’objectifs ».

Moins radicale que la Fed

Une autre modification a été approuvée : celle de l’intégration du coût des logements pour les propriétaires occupants dans le calcul de l’inflation. Ce coût résulte du prix d’achat du logement, qui a beaucoup progressé ces dernières années. Or, aujourd’hui, seuls les loyers sont pris en compte dans l’indice.

La stratégie jusqu’à présent en vigueur à la BCE avait été définie il y a près de vingt ans, à un moment où la lutte contre la hausse excessive des prix était sa principale préoccupation.

Or, cela fait huit ans que la BCE, malgré le déploiement d’un arsenal pléthorique de mesures, rate sa cible d’un niveau d’inflation proche de 2 % censé favoriser l’investissement et l’emploi.

À travers sa politique expansive, lancée sous la houlette de Mario Draghi dès 2012, la BCE s’est attirée de nombreuses critiques, particulièrement en Allemagne, où l’on reproche à cette politique de l’argent pas cher de pénaliser les épargnants et de gonfler le prix des actifs financiers.

En indiquant qu’elle pourra tolérer une inflation supérieure à 2 %, sans pour autant durcir sa politique monétaire, l’institution de Francfort inscrit dans la durée sa politique non conventionnelle de rachats massifs de dette sur les marchés, pour maintenir des taux d’intérêt favorables à la consommation des ménages et des entreprises.

Cet arsenal de mesures accommodantes a encore été renforcé depuis le début de la pandémie.

Les « faucons », frileux sur l’emploi de telles mesures exceptionnelles, ont ici fait une concession aux « colombes », favorables à une politique expansionniste si nécessaire.

« La BCE donne à sa stratégie une orientation » colombe « dans les circonstances actuelles de taux d’intérêt nominaux et réels ultra-bas », commente Holger Schmieding de la banque Berenberg.

Pour autant, la BCE a opté pour une approche plus restreinte que la banque centrale américaine. La Fed, l’été dernier, a mis en place une notion de cible d’inflation moyenne qui permet d’outrepasser l’objectif aussi longtemps que nécessaire pour compenser les périodes où les prix peinaient à décoller.

« Nous ne pratiquons pas la cible d’inflation moyenne, comme la Fed », a martelé Mme Lagarde.