Il n’y a pas que les agriculteurs qui espèrent une bonne pluie. Des navires porte-conteneurs qui empruntent le fleuve Saint-Laurent sont moins garnis parce que le niveau d’eau est plus bas, ce qui a incité des transporteurs maritimes à imposer de nouveaux frais à leurs clients – déjà aux prises avec une flambée du prix des conteneurs.

Les précipitations ont été moins abondantes au printemps et la fonte des neiges a été rapide. Ainsi, la « période d’étiage », le moment de l’année où le niveau d’un cours d’eau se rapproche de son point le plus bas, est arrivée plus rapidement qu’à l’habitude, explique le capitaine du port de Montréal et directeur des opérations maritimes, Jean-François Belzile.

« Ce n’est pas nécessairement bon signe, a-t-il dit au cours d’une entrevue avec La Presse. Normalement, juillet et août ne sont pas des mois vraiment pluvieux. C’est certain qu’il n’y aura pas d’apport significatif des bassins versants parce que la fonte des neiges est terminée. »

Dans le fleuve, entre Montréal et Québec, la colonne d’eau disponible est idéalement maintenue à 11,3 m et plus. Un niveau d’eau qui se rapproche de ce seuil contraint entre autres les transporteurs maritimes à s’adapter, notamment en acheminant moins de marchandises avec chaque navire. Vendredi, la moyenne avait été mesurée à 11,6 m.

Les sociétés maritimes appliquent occasionnellement une surcharge lorsque le niveau de l’eau est bas, étant donné qu’il y a moins de conteneurs sur chaque navire. Mais cette fois-ci, elle est imposée dans un contexte où la rareté des conteneurs maritimes fait exploser les coûts alors que la chaîne logistique maritime continue d’être perturbée en raison de la pandémie de COVID-19.

« Nouvelle tuile »

Après avoir annoncé leurs couleurs plus tôt ce mois-ci, trois grands acteurs du transport maritime, Hapag-Lloyd, Mediterranean Shipping et CMA CGM, ont introduit des tarifs supplémentaires au cours de la semaine. Ils oscillent entre 150 $ US pour un conteneur « équivalent vingt pieds » (EVP) et 300 $ US pour un 40 pieds. Dans la plupart des cas, il s’agit de frais pour la marchandise acheminée vers le port de Montréal. Ces frais varient aussi en fonction des trajets empruntés par les navires. Ces frais sont en vigueur jusqu’à « nouvel ordre » et pourraient grimper si la situation devait se dégrader davantage.

C’est comme s’il n’y avait pas de break. Quand on pense que la situation va se stabiliser, il y a quelque chose qui arrive. Nous anticipons d’autres hausses pour les conteneurs dans les prochaines semaines. Nos clients sont découragés.

Johanne Ferlatte, responsable des soumissions chez le courtier en douane et transitaire international BGL

Si ces frais supplémentaires sont fréquents dans l’industrie, celle-ci convient qu’ils sont imposés à un bien mauvais moment pour bon nombre des clients desservis par l’entreprise établie à Montréal.

Le son de cloche était similaire chez Miralis, un fabricant d’armoires de cuisine et de salle de bains établi à Saint-Anaclet-de-Lessard, dans le Bas-Saint-Laurent, et qui mise grandement sur le port de Montréal pour s’approvisionner auprès de ses principaux fournisseurs qui se trouvent en Europe. Sans avoir tous les détails en main à propos des nouveaux frais, Valérie Brière, directrice de la marque et des communications, a néanmoins souligné que l’adversité allait grimper d’un cran.

« Chaque petite chose qui s’ajoute à cela [les coûts liés à la rareté des conteneurs] est une nouvelle tuile, a-t-elle dit, au bout du fil. Cela ne nous aide pas. Nous sommes obligés d’augmenter nos prix auprès de nos clients, mais on ne veut pas exagérer non plus. »

Dans la situation actuelle, les transporteurs maritimes risquent d’exiger ces frais supplémentaires en raison du bas niveau de l’eau dans le Saint-Laurent pour un certain temps.

Le 4 juin dernier, le Conseil international du lac Ontario et du fleuve Saint-Laurent soulignait que les 12 derniers mois avaient été les « plus secs dans la région du lac Ontario [qui se déverse dans le Saint-Laurent] depuis 1966 ».

Les niveaux sont particulièrement bas cette année. Chaque baisse de 10 cm du niveau de l’eau nous oblige à retirer 3000 tonnes métriques d’un navire. Cette année, la baisse a été observée plus tôt qu’à l’habitude dans le Saint-Laurent.

Wolfgang Schoch, directeur des activités chez Hapag-Lloyd au Canada, en entrevue avec La Presse

Les sociétés maritimes doivent se conformer aux prévisions acheminées par la Garde côtière canadienne. Si le niveau de l’eau est inférieur à ce qui était prévu lorsqu’un navire arrive sur le Saint-Laurent, une demande peut être acheminée au Conseil international du lac Ontario et du fleuve Saint-Laurent afin d’obtenir un ajustement « de débit » grâce à des ouvrages régulateurs, selon M. Belizle, qui a qualifié cette mesure d’« exceptionnelle ».

En dépit de la situation actuelle, la directrice des communications du port de Montréal, Mélanie Nadeau, a tempéré les effets sur la productivité.

« Il y avait beaucoup de conteneurs accumulés sur les quais, a-t-elle dit. Nous étions sous la barre des deux jours du temps de traitement pour les conteneurs. »

Les volumes ne seraient pas touchés, a ajouté Mme Nadeau.