(Ottawa ) Le gouvernement Trudeau entend utiliser tous les outils à sa disposition — politiques, diplomatiques et judiciaires — pour empêcher la fermeture de la canalisation 5 d’Enbridge, comme menace de le faire la gouverneure de l’État du Michigan, Gretchen Whitmer, dès mercredi.

Ottawa pourrait avoir recours à un outil judiciaire dès mardi, selon des informations obtenues par La Presse. Le ministre des Ressources naturelles, Seamus O’Regan, a évoqué jeudi dernier, durant le débat d’urgence qui a eu lieu à la Chambre des communes sur la fermeture de cet oléoduc, la possibilité d’intervenir en déposant un mémoire d’amicus curiae.

Ce dossier a été porté devant les tribunaux par Enbridge, qui conteste le pouvoir constitutionnel de l’État du Michigan de fermer ce lien énergétique transfrontalier qui traverse les Grands Lacs sous le détroit de Mackinac. La date limite pour le dépôt d’un tel mémoire est le 11 mai.

« Nous ne laisserons aucune solution de côté et nous ne ménagerons aucun effort pour défendre la sécurité énergétique du Canada. Nous travaillons au niveau politique. Nous travaillons au niveau diplomatique. Nous travaillons également au niveau juridique et nous serons prêts à agir de façon stratégique précisément au moment opportun afin de défendre les travailleurs du secteur de l’énergie et les consommateurs canadiens », a affirmé le ministre O’Regan lundi.

Dans un courriel transmis à La Presse, lundi, Enbridge a fait savoir qu’elle poursuivrait les activités de la canalisation 5 même si la gouverneure Whitmer met sa menace à exécution.

Nous n’arrêterons pas d’exploiter le pipeline à moins qu’un tribunal ou un organisme de réglementation ne nous ordonne de le faire, ce que nous considérons comme hautement improbable. La ligne 5 fonctionne de manière sûre, fiable et conforme à la loi.

 Tracie Kenyon, porte-parole d’Enbridge

« Cette affaire est actuellement devant la Cour fédérale des États-Unis. L’État du Michigan et Enbridge ont rencontré le médiateur nommé par le tribunal et ont prévu des réunions supplémentaires. Sur ordonnance du tribunal, la médiation est confidentielle », a-t-elle ajouté.

Des conséquences importantes

La fermeture de cette canalisation aurait des conséquences importantes. L’oléoduc achemine 540 000 barils de pétrole chaque jour. Et les options de rechange sont coûteuses. Il faudrait transporter tout ce pétrole par train, par camion ou par bateau. « Il faudrait 800 wagons et 2000 camions par jour seulement au Canada. Aux États-Unis, jusqu’à 15 000 camions supplémentaires pourraient être requis chaque jour. Ce serait décidément un mode de transport moins sécuritaire, qui augmenterait les émissions », selon M. O’Regan.

Pour s’assurer que les efforts soient couronnés de succès, M. O’Regan adopte d’ailleurs la même stratégie qui a bien servi le gouvernement Trudeau durant les difficiles négociations visant à moderniser l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) avec l’ancienne administration Trump.

Il privilégie donc l’approche « Équipe Canada » en mobilisant les provinces qui pourraient être touchées par cette fermeture, comme l’Alberta, la Saskatchewan, l’Ontario et le Québec. Au cours des derniers jours, M. O’Regan s’est d’ailleurs entretenu avec ses homologues de ces quatre provinces afin de les informer de chacune des mesures qu’entreprend le gouvernement fédéral pour éviter la fermeture.

Les partis politiques, les syndicats et les entreprises sont aussi mis à contribution, tout comme le réseau diplomatique canadien aux États-Unis, notamment le consulat du Canada à Detroit et l’ambassade du Canada à Washington.

Une promesse phare

Mme Whitmer a fait de la fermeture de cette ligne construite en 1953 une promesse phare de sa campagne électorale en 2018. Soutenue par les groupes environnementaux, elle affirme qu’Enbridge n’a pas pris les mesures qui s’imposent pour protéger les Grands Lacs, exposant ainsi la population du Michigan à un risque inacceptable de déversement de pétrole.

Enbridge affirme au contraire que l’oléoduc est très sécuritaire malgré son âge, comme l’ont statué les autorités réglementaires fédérales, que les travaux d’entretien y sont effectués régulièrement et qu’il fait l’objet d’une surveillance constante pour détecter toute fuite.

En outre, l’entreprise canadienne planche depuis trois ans sur le projet de construction d’un nouveau tunnel sous le lit du lac pour y insérer de nouvelles conduites du pipeline. Elle attend les permis requis pour entreprendre la construction. Le projet est évalué à 500 millions de dollars américains — une facture qu’acquittera entièrement Enbridge.

Dans une déclaration au quotidien The Globe and Mail, la semaine dernière, le porte-parole de la gouverneure du Michigan, Bobby Leddy, a affirmé qu’Enbridge doit cesser d’exploiter la ligne 5 au plus tard le 12 mai.

« À partir de cette date, l’utilisation de la portion de la ligne 5 dans le détroit de Mackinac par Enbridge serait illégale », a affirmé M. Leddy.