Les remèdes pour juguler une crise peuvent éventuellement en créer une autre. C’est vrai dans plusieurs domaines, notamment en économie.

Et si les gouvernements ne dosent pas bien leurs interventions, leurs mesures budgétaires de relance post-pandémie vont leur donner des maux de tête, dans quelques années.

Ce message, des économistes le répètent un peu partout, mais les décideurs semblent faire la sourde oreille. Par aveuglement ou par calcul politique, les mesures visant la construction, entre autres, demeurent au sommet de la liste, bien que ce secteur frise la surchauffe.

Les indices se multiplient. L’été dernier, les centres de rénovation étaient à court de poteaux de clôture en bois traité, du jamais-vu. Et mercredi, ma collègue Marie-Eve Fournier rapportait que le prix des matériaux de construction avait explosé depuis un an. Le prix des 2 x 4 a été multiplié par trois, et celui des panneaux OSB, par quatre.

Ce dynamisme était déjà présent avant la pandémie, en 2019, quand le Québec a enregistré une activité record sur les chantiers, avec 177 millions d’heures travaillées. La Caisse de dépôt et placement avait d’ailleurs justifié une partie de l’augmentation des coûts du Réseau express métropolitain par la pénurie de main-d’œuvre.

En 2020, l’activité a ralenti, mais c’est parce que le gouvernement a exigé la fermeture de plusieurs chantiers pendant le premier confinement. Quiconque a cherché à embaucher des rénovateurs après cette période a été à même de constater la rareté de la main-d’œuvre.

« La reprise est très forte dans le secteur résidentiel. Elle est solide dans le non-résidentiel, mais plus graduelle », m’explique Mélanie Malenfant, porte-parole de la Commission de la construction du Québec (CCQ).

Ce phénomène, comme le boom du prix des maisons, s’explique notamment par la chute des taux d’intérêt de la Banque du Canada. Cette baisse a eu pour effet de diminuer le coût des versements mensuels nécessaires pour devenir propriétaire ou pour rénover.

L’automne dernier, pourtant, les deux gouvernements, fédéral et provincial, ont continué de voir la construction comme un pilier de la relance. Il est question de « revamper » nos installations publiques ou de doter le Canada d’infrastructures vertes.

En soi, l’idée est judicieuse. La relance post-pandémie doit être conjuguée avec la lutte contre le réchauffement climatique. Et en temps normal, l’investissement public dans la construction est un excellent remède, car il entraîne de plus grandes retombées locales et ne provoque pas de dépenses récurrentes, essentiellement.

Mais à moins de cas particuliers, ce n’est pas une bonne idée d’engraisser massivement la construction, cette fois. Il faut y aller avec parcimonie.

Une surchauffe dans le non-résidentiel rendrait les projets plus coûteux et pourrait en diminuer la qualité. Et ce sont les contribuables qui finiront par en payer la facture, avec des hausses d’impôts ou des réductions de dépenses.

L’explosion du prix des maisons et des logements, encouragée par les bas taux de la Banque du Canada, risque d’accentuer la crise du logement, notamment dans la région de Montréal. À l’exclusion du centre-ville désert de Montréal, où les nouveaux condos pullulent, la situation est problématique.

Quand une bonne occasion se présente, les locataires font la file, disposés à payer davantage que ne le permettent leurs revenus, faute de solution de rechange. Éventuellement, cette part accrue du budget affecté au logement obligera certains ménages à s’endetter ou à faire des coupes dans d’autres postes, comme l’alimentation. Et les gouvernements devront gérer le problème.

Certes, la ministre fédérale des Finances, Chrystia Freeland, a lancé un programme de financement de logements locatifs, l’automne dernier. Et elle envisage des mesures de relance dans des secteurs moins traditionnels, comme un système universel de garderies. Ce système a l’avantage d’augmenter le taux de participation des femmes sur le marché du travail, comme on l’a vu au Québec, et procure plus d’emplois à des éducatrices qu’à des éducateurs, dans un contexte où la pandémie a davantage touché les femmes.

Mais n’est pas éducatrice qui veut. Les centres de la petite enfance (CPE) vivent, eux aussi, de graves pénuries de main-d’œuvre.

Ces derniers temps, les économistes ont commencé à réviser à la hausse leurs prévisions de croissance pour 2021. Mercredi, le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, a d’ailleurs estimé que le produit intérieur brut (PIB) devrait croître au premier trimestre de 2021, plutôt que de décliner, comme il l’envisageait en janvier. « L’activité sur le marché du logement a été beaucoup plus vigoureuse qu’attendu », a-t-il expliqué.

La Banque du Canada maintient son taux directeur à 0,25 %, bien que certains craignent qu’à moyen terme, les bas taux d’intérêt et l’injection d’argent dans l’économie par la Banque (assouplissement quantitatif) fassent grimper l’inflation et aient notamment des répercussions sur les rentes des retraités, peu indexées.

Chrystia Freeland a répété qu’il valait mieux en faire trop que pas assez. Mais devant la vigueur de la reprise et les taux d’épargne records des ménages, des voix s’élèvent pour lui suggérer de mettre la pédale douce dans son budget d’avril sur son plan de relance de 70 à 100 milliards sur trois ans. Ce fut le cas du Globe & Mail, mardi, qui croit que le plan nécessaire pourrait demander considérablement moins que 100 milliards.

Quand le vaccin sera répandu d’ici quelques mois, les consommateurs avides de sortir – notamment les jeunes – recommenceront à remplir bars, restos et autres commerces, ce qui créera des emplois dans les secteurs durement touchés. Il serait sage que les autorités suivent attentivement la reprise et son impact avant d’injecter massivement des fonds, notamment dans la construction.