Imaginez que nous puissions décortiquer les raisons précises de la réussite de chaque élève. Selon son quartier, son genre, son origine ethnique, son école, le revenu de ses parents, leur niveau d’éducation et tout le reste.

Pas en général. Pas en théorie. Pas pour un échantillon. Mais de façon spécifique, pour tous, tout au long du parcours scolaire primaire et secondaire.

Et qu’on pourrait, en plus, juger de l’importance relative de chacun des éléments de réussite, question de mieux cibler nos investissements publics, de réduire le décrochage et de hausser le niveau de succès de nos élèves. Ne serait-ce pas magnifique ?

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Le Québec n’est pas la seule province où il y a un grand vide de micro-données. Mais ce néant est surprenant sachant l’importance que la plupart des experts de l’éducation accordent à ces données, indique notre chroniqueur.

Eh bien, figurez-vous que ce rêve est tout à fait possible. Non seulement est-ce possible, mais il se fait dans la vraie vie en Colombie-Britannique depuis plus de 10 ans.

Ce n’est malheureusement pas le cas ailleurs au Canada, et surtout pas au Québec, où l’éducation primaire-secondaire et la petite enfance sont les enfants pauvres des données, quand on les compare au domaine de la fiscalité ou de la santé, par exemple.

Ce dur constat, il vient des chercheuses Catherine Haeck et Marie Connolly, deux économistes de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) qui font de l’éducation leur domaine principal de recherche économique. Leur plaidoyer se retrouve cette semaine dans le recueil annuel de recherches Le Québec économique, dont le thème central cette année est la transformation numérique.

En Colombie-Britannique, les politiciens ont décidé de mettre les enfants au cœur de leurs priorités et, pour ce faire, ils se sont donné des outils pour pouvoir évaluer leur parcours de vie durant le primaire et le secondaire.

Les chercheuses Catherine Haeck et Marie Connolly

PHOTO NINON PEDNAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Catherine Haeck

PHOTO TIRÉE DU SITE DE L’UQAM

Marie Connolly

Le Québec n’est pas la seule province où il y a un grand vide de micro-données. Ce néant est surprenant sachant l’importance que la plupart des experts de l’éducation accordent à ces données.

D’ailleurs, il y a cinq ans, le ministre fédéral des Finances d’alors, Bill Morneau, affirmait dans son discours budgétaire qu’« il est impossible de mettre en œuvre des politiques efficaces sans prendre appui sur des données rigoureuses. Si nous souhaitons sortir les enfants de la pauvreté, nous devons d’abord en comprendre la cause ».

Les chercheuses dénoncent notamment le manque de micro-données venant des ministères de l’Éducation, notamment celui du Québec.

Oui, mais n’enfreint-on pas ainsi le droit de garder privés les renseignements personnels ? Pas du tout. Chaque enfant de la Colombie-Britannique se voit attribuer un identifiant unique et anonymisé dès son entrée dans le système scolaire, ce qui permet de le suivre durant tout son parcours de façon confidentielle. Les données sont contrôlées par l’État dans un labo hypersécurisé, et non par le secteur privé, qui pourrait avoir des intérêts.

En plus des exemples mentionnés ci-dessus, les chercheurs ont aussi accès aux résultats aux examens en Colombie-Britannique, aux notes par matière en 4e, 7e, 10e et 12e année, au type d’école (publique ou indépendante) et à bien d’autres renseignements.

Ces données peuvent être couplées à bien d’autres données administratives et, éventuellement, aux données sur la santé des enfants provenant du système de santé.

Pas en général, dois-je répéter. Pas en moyenne. Mais pour chacun des enfants, un aspect crucial pour l’analyse. Et de façon anonyme.

Le Nouveau-Brunswick a récemment embarqué dans la danse, rendant accessibles ses micro-données en éducation. Les données sont gratuites, contrairement au Québec, où l’accès, quand c’est possible, est laborieux et fort coûteux.

Oh, il y a bien au Québec certaines données pertinentes accessibles aux chercheurs. Mais bien souvent, il est impossible d’en faire une comparaison pancanadienne, ce qui est essentiel pour juger de nos retards et de nos avancées.

Selon Catherine Haeck et Marie Connolly, il est urgent de réformer la Loi sur l’accès à l’information ainsi que les lois constitutives des ministères, des organismes et de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ).

« Le Québec est la seule province qui exige des chercheurs de passer par deux paliers d’approbation pour accéder à des données : il faut premièrement une autorisation de la part de la Commission d’accès à l’information, et deuxièmement, une autre de la part du ministère concerné et détenteur des données. Même l’ISQ doit se plier à cet exercice, ce dont est dispensé Statistique Canada », écrivent-elles.

Les chercheuses constatent que la Commission d’accès à l’information n’est pas outillée pour traiter les demandes utilisant des méthodologies statistiques complexes impliquant plusieurs sources de données.

« Le processus d’accès est un labyrinthe de formulaires et de démarches qui semble sans fin lorsque les sources de données sont multiples », disent-elles.

On peut trouver toutes sortes de bonnes raisons de s’opposer au processus ou de le retarder. Invoquer l’invasion de Big Brother. Mandater des commissions d’étude. Faire des rapports destinés aux tablettes.

Mais si l’éducation est vraiment importante, comme le clame le gouvernement Legault, il faut cesser de stagner pendant que d’autres avancent. Avec la COVID-19, Québec a été audacieux et vif pour de multiples domaines autrefois immobiles. Y a-t-il une volonté politique pour faire de même en éducation, notamment avec les données ?