(Hong Kong) À Hong Kong, les employés de l’usine de sauces Koon Chun s’échinent à recouvrir des centaines de milliers de bouteilles d’une nouvelle étiquette « Made in China » : cette marque hongkongaise populaire est victime des tensions sino-américaines.

Fondée il y a près d’un siècle, l’entreprise familiale a survécu à une guerre mondiale, à de nombreuses crises économiques et à la lente disparition de l’industrie manufacturière hongkongaise au profit de la main-d’œuvre bien moins chère de la Chine continentale.

Ce fabricant de sauces demeure l’une des marques du centre financier qui perdure. Elle produit notamment les sauces de soja ou d’huître qui figurent en bonne place dans les restaurants chinois et les cuisines du monde entier.

Mais à compter de novembre, pour pouvoir être vendues aux États-Unis, les marchandises importées de Hong Kong devront porter le label « fabriqué en Chine ».  

Cette mesure a été imposée par Washington en réponse à la nouvelle loi draconienne sur la sécurité nationale imposée par Pékin dans le territoire semi-autonome.

Cette nouvelle réglementation a été annoncée en août par les douanes américaines, soit deux jours avant le départ d’une cargaison de 1300 boîtes de sauces Koon Chun pour Atlanta.

Du jour au lendemain, les employés ont été contraints de coller de nouvelles étiquettes sur toute la cargaison ainsi que sur les autres marchandises destinées à partir pour les États-Unis cet été.  

« C’était mission impossible », a affirmé à l’AFP, Daniel Chan, depuis l’usine fondée en 1928 par son grand-père.

L’adoption de la loi sur la sécurité nationale est considérée comme une réponse de la Chine aux mois de manifestations en faveur de la démocratie qui avaient ébranlé Hong Kong en 2019.

Parer au plus pressé

Mais aussi bien Pékin que les autorités locales avaient affirmé que cette nouvelle législation n’aurait aucune conséquence sur les entreprises.  

Cependant, la révocation, en juillet, à titre de représailles du statut commercial préférentiel accordé à Hong Kong par Washington est lourde de conséquences.  

Les répercussions économiques ne se sont pas fait attendre dans l’ex-colonie britannique, déjà en récession.  

Les produits « Made in Hong Kong » ont été les premiers à en faire les frais.  

M. Chan, qui a étudié à Harvard aux États-Unis, s’attendait à ce que le paysage politique change à Hong Kong, mais ne pensait pas que ce serait aussi rapide.

« J’imaginais quelque chose de plus proche de 2047, date officielle de la fin du principe “Un pays, deux systèmes” », affirme M. Chan, faisant référence à l’accord de rétrocession qui garantissait pendant 50 ans aux Hongkongais des libertés inconnues dans le reste de la Chine.

Ces dernières semaines, les 90 employés de l’usine ont été contraints de s’adapter au changement.

Après avoir paré au plus pressé en estampillant les produits d’un « fabriqué en Chine », l’entreprise fait fabriquer de nouvelles étiquettes sur lesquelles la mention « Made in Hong Kong » qui apparaissait en gros caractères sera remplacée par des plus petites « Made in China ».

Beaucoup de temps a été consacré à réorganiser le stockage des marchandises, les expéditions étant retardées.

« C’est très triste »

Les entreprises ont cependant obtenu un sursis après que le ministre hongkongais du Commerce, Edward Yau, a annoncé la décision de Washington de reporter à novembre la nouvelle réglementation sur les étiquettes.  

« Cela nous permet de gagner un peu de temps », souligné M. Chan.  

Mais, selon lui, ce n’est qu’« une solution à court terme à ce fiasco politique ».

Le ministre hongkongais a menacé de poursuivre les États-Unis devant l’Organisation du commerce international.

Il a également affirmé que les expéditions de produits hongkongais vers les États-Unis ne représentaient que 3,7 milliards de dollars hongkongais (400 millions de dollars américains) en 2019, soit moins de 0,1 % des exportations brutes de la ville.

Mais M. Chan ne voit pas les choses ainsi, environ la moitié de ses marchandises étant destinées aux États-Unis, où la marque est particulièrement appréciée par l’importante diaspora chinoise.  

« Nous sommes la seule entreprise qui n’est basée qu’à Hong Kong et qui continue à faire ce genre de production à grande échelle et à l’expédier aux États-Unis », estime-t-il.

Quand il pense à l’avenir, M. Chan redoute que d’autres marchés internationaux ne fassent comme les États-Unis.  

« Dans 20 ans, dans 30 ans, les gens n’auront plus que du “Made in China” et oublieront Hong Kong », déplore-t-il, avant d’ajouter « c’est très triste ».