Le Canada s’est longtemps enorgueilli d’avoir la meilleure cote de crédit qui soit. Et pour cause : ce bulletin financier parfait, aux yeux des agences mondiales de crédit, n’est réservé qu’à un groupe très restreint de pays en excellente santé financière.

La décote de l’agence Fitch, mercredi dernier, porte donc un dur coup à l’orgueil canadien. En constatant l’explosion du déficit fédéral et conséquemment de sa dette, l’agence a réduit à AA+ la cote de la dette à long terme du Canada, cote qui était de AAA.

Pour les néophytes, il faut savoir que les cotes de crédit des pays ne fluctuent pas comme des actions en Bourse. Les agences prennent généralement beaucoup de temps avant de modifier une cote de crédit, ce qui reflète, faut-il dire, les nombreuses années que prennent habituellement des changements fondamentaux aux paramètres financiers d’un pays. Habituellement, ai-je dit, puisque la crise de la COVID-19 a tout changé.

Dans le cas du Canada, Fitch maintenait la cote parfaite de AAA depuis 16 ans.

Le Canada était entré dans le club sélect après les années de surplus budgétaires importants dans les années 1990 et 2000, sous l’ère du ministre fédéral des Finances Paul Martin. Le Canada était descendu à AA en 1994 avant de passer à AA+ en 2001 – comme aujourd’hui –, puis à AAA en 2004.

Peu de pays trônent encore dans le club sélect des AAA. De fait, seulement 9 des 197 pays ont encore la note parfaite de AAA de Fitch, dont les États-Unis, l’Allemagne, la Norvège et la Suède. L’Australie a encore son AAA, mais ce pays pétrolier risque de le perdre, comme ce fut le cas du Canada, puisque Fitch y a accolé une perspective négative.

Notez tout de même que la France (AA), le Royaume-Uni (AA-) et le Japon (A) sont encore en bas du Canada, aux yeux de Fitch. Et oubliez l’Italie (BBB), la Russie (BBB) ou le Mexique (BBB-), qui ne se comparent pas.

Il est assez facile de comprendre pourquoi le Canada descend d’un cran. Le déficit fédéral devrait atteindre quelque 256 milliards de dollars cette année, prévoit le directeur parlementaire du budget, Yves Giroux. Ce déficit est environ 10 fois plus élevé que le déficit prévu avant la COVID-19.

L’évaluation de Fitch englobe l’ensemble des gouvernements du Canada (fédéral, provincial et municipal). Et pour comparer avec les autres pays, elle mesure la dette en proportion de la taille de l’économie (le produit intérieur brut ou PIB).

L’agence estime ainsi que la dette du Canada passera de 88,3 % du PIB en 2019 à 115,1 % du PIB en 2020, un bond extraordinaire de près de 27 points !

Fitch prévoit que le confinement généralisé des derniers mois, combiné à la demande anémique pour le pétrole – qui fait souffrir l’Ouest – fera reculer le PIB canadien de 7,1 % en 2020, suivi d’un rebond de 3,9 % en 2021. Elle accole néanmoins une perspective stable à la cote de crédit canadienne, signe que le ratio dette/PIB se stabilisera à moyen terme, avec la reprise graduelle de l’économie.

« La force structurelle du Canada soutient sa cote de crédit. Cette force comprend son économie avancée, bien diversifiée et à hauts revenus, de même que la stabilité politique et des politiques macroéconomiques solides, qui ont permis une croissance stable et une faible inflation », explique Fitch pour étayer sa décision d’abaisser la cote de crédit.

Consultez l’argumentaire de Fitch (en anglais)

D’autres suivront le Canada

Ce que change cet abaissement de la cote pour le Canada ? À l’heure actuelle, pas grand-chose. Normalement, une cote moindre se répercute sur les taux d’intérêt relatifs exigés par les prêteurs par rapport aux autres emprunteurs. Mais actuellement, la presque totalité des grands pays voient leur situation financière se dégrader, explique Sébastien Lavoie, économiste en chef de la Banque Laurentienne.

D’ailleurs, croit-il, certains autres dans le club des neuf pays encore cotés AAA par Fitch pourraient aussi se voir décotés, même les États-Unis. Précisons que le pays de l’oncle Sam ne figure plus dans le club des AAA de l’agence Standard & Poors (S&P) depuis 2013 (AA+).

Le Canada, de son côté, garde encore sa cote équivalant à AAA chez les autres agences, telles S&P et Moody’s, mais ce n’est qu’une question de temps avant qu’elles ne suivent l’exemple de Fitch, croit M. Lavoie. « Ce sera au cours de l’été ou plus tard à l’automne. C’est ce qui s’est passé en 1994 », dit-il.

Le Québec dans tout ça ? La province garde actuellement une cote de AA- de Fitch, deux crans sous celle du Canada. Nos finances publiques ont connu des variations moins fortes que celles du gouvernement fédéral, ce qui aide.

Néanmoins, la cote du Québec est enviable et sa situation financière est jugée saine dans le contexte où la province fait partie de l’ensemble fédéral. Si la cote du Canada continue de descendre, il n’est pas impossible que celles des provinces en subissent les contrecoups.