(Montréal) Déjà ébranlée par le ralentissement économique provoqué par la crise sanitaire, l’industrie canadienne de l’aluminium n’est peut-être pas au bout de ses peines puisque le spectre de nouveaux tarifs imposés par l’administration Trump pointe à l’horizon.

Un droit de douane de 10 % à la frontière canado-américaine pourrait même être annoncé dès vendredi par Washington, selon des sources citées par l’agence américaine Bloomberg, sauf si Ottawa accepte de réduire considérablement ses exportations. Il s’appliquerait le 1er juillet, lorsque l’Accord Canada – États-Unis – Mexique (ACEUM) entrera en vigueur.

« J’ai l’impression que l’on rejoue dans le même film, s’est inquiété mardi le président de l’Association de l’aluminium du Canada (AAC), Jean Simard, au cours d’un entretien téléphonique. Je pense que le Canada doit être très ferme et refuser tout compromis. »

Mardi, le bureau du représentant américain du Commerce n’avait pas répondu à une demande d’information de La Presse canadienne envoyée par courriel. En conférence de presse à Ottawa, le président du Conseil du Trésor, Jean-Yves Duclos, s’est limité à rappeler que la menace protectionniste était « toujours là » et que son gouvernement comptait défendre l’industrie – un signal qui avait déjà été lancé par le bureau de la vice-première ministre Chrystia Freeland.

« On ne se le cachera pas, la menace protectionniste est toujours là et probablement encore plus grave dans le contexte de l’insécurité économique et sanitaire que vivent plusieurs pays à travers le monde », a dit M. Duclos.

En mai 2018, Washington avait décrété des tarifs de 25 % sur les importations d’acier et de 10 % sur les importations d’aluminium en faisant valoir qu’elles représentaient une menace à la sécurité nationale des États-Unis et en évoquant la section 232 de la loi américaine sur le commerce. Ils avaient été levés un an plus tard.

Au moment où l’on renégociait l’accord de libre-échange avec Ottawa et Mexico, le gouvernement Trudeau avait répliqué en taxant plus de 70 produits américains comme le bourbon et le ketchup. M. Duclos n’a pas voulu dire s’il était possible de se tourner de nouveau vers cette stratégie.

Une minorité

Cette fois-ci, c’est en alléguant une baisse des prix provoquée par une augmentation des importations canadiennes que deux joueurs – Aluminum Co. et Magnitude 7 – représentés par l’American Primary Aluminium Association (APAA) ont demandé un tarif de 10 %. Ces deux entreprises représentent moins de 5 % des emplois de l’industrie américaine.

« Ces deux entreprises qui prétendent parler pour l’ensemble de l’industrie disent à l’administration Trump “si vous voulez que l’on reste en vie, il faut remettre des tarifs parce que cela aura un impact sur la montée des prix”, a déploré M. Simard. Il faut se questionner sur les raisons derrière cette stratégie. »

Depuis le 1er septembre, le Canada a mis en place un système visant à surveiller les importations du métal gris afin de limiter les risques de transbordement en provenance d’autres pays comme la Chine. Mais à quelques mois du scrutin présidentiel au sud de la frontière, le président de l’AAC s’inquiète que l’administration Trump ne contourne les règles, ce qui serait « très dangereux » pour le Canada.

Ironiquement, l’association représentant les principaux producteurs comme Alcoa et Rio Tinto au sud de la frontière s’est opposée à cette démarche. Dans un communiqué diffusé le 9 juin dernier, elle reprochait à l’APAA d’avoir effectué « plusieurs déclarations inexactes » en qualifiant la stratégie de cette dernière de « grande distraction canadienne de l’aluminium ».

Pour M. Simard, Aluminum Co. et Magnitude 7 souhaitent seulement faire grimper les prix, ce qui leur permettrait de réaliser un profit en négociant le métal gris sur les marchés.

L’AAC, qui représente les producteurs Alcoa, Aluminerie Alouette et Rio Tinto exploitant neuf alumineries au pays dont huit au Québec, affirme que de nouveaux tarifs viendraient accentuer la crise que traverse l’industrie alors que le marché est en érosion, notamment en raison d’une chute de la demande des constructeurs automobiles, depuis la pandémie de COVID-19 en mars. Plus tôt cette année, les blocus ferroviaires avaient également perturbé les activités du secteur.

Ces facteurs ont forcé les entreprises à délaisser certains produits à valeur ajoutée, comme les billettes, afin de se tourner vers les lingots, qui peuvent être achetés pour être stockés puis vendus à nouveau lorsque les prix sont plus intéressants.

Faisable ?

Geneviève Dufour, professeure titulaire à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke, s’est demandé comment Washington pourrait justifier de nouveaux tarifs alors qu’un accord était intervenu il y a à peine plus d’un an, ce qui devrait clore le dossier.

« Encore une fois (l’administration Trump) joue le chaud et le froid et s’avère complètement imprévisible, a-t-elle fait remarquer. Et s’il y a une chose que les règles du commerce international tentent d’éliminer, c’est bien l’imprévisibilité. »

Un nouveau tarif ramènerait la relation commerciale canado-américaine « des mois derrière », selon Mme Dufour, qui a rappelé que les relations avaient souvent été tendues entre les deux pays alors que l’on renégociait l’Accord de libre-échange nord-américain.

Selon l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), la valeur des exportations québécoises d’aluminium et alliages sous forme brute s’établit à 6,04 milliards. Dans la province, la production primaire représente 10 000 emplois directs.