Alors que tout indique que le Canada se dirige vers la pire récession de son histoire, la Banque du Canada est encore intervenue d’urgence vendredi pour baisser son taux directeur et annoncer de nouvelles interventions pour calmer les marchés financiers. 

La banque centrale a retranché 50 points de base à son taux directeur, qui revient à 0,25 %, soit le niveau le plus bas qu’il avait atteint après la crise financière de 2008. Pour la première fois de son histoire, la Banque du Canada se lance aussi dans ce qu’il est convenu d’appeler de l’assouplissement quantitatif (QE en anglais), avec le rachat massif d’obligations du Canada sur le marché secondaire à raison d’un minimum de 5 milliards de dollars par semaine, et ce, aussi longtemps que ce sera nécessaire.

Ces mesures extraordinaires prises par la banque centrale s’ajoutent aux dépenses sans précédent du gouvernement fédéral pour tenter d’éviter l’effondrement de l’économie.

« On ne reproche jamais aux pompiers d’avoir utilisé trop d’eau », a lancé le gouverneur Stephen Poloz, qui n’avait sans doute pas prévu que la fin de son mandat serait aussi mouvementée. Le départ de M. Poloz, prévu pour le 1er juin, ne sera pas reporté, selon ce qu’il a déjà indiqué.

La crise a des conséquences sérieuses sur l’économie canadienne, a expliqué le gouverneur en conférence de presse. Le Canada fait partie des pays qui seront frappés de deux côtés à la fois, par la pandémie de la COVID-19 et par la chute du prix du pétrole, a-t-il expliqué pour justifier les mesures d’exception prises par la banque centrale.

Pas de taux négatif

À 0,25 %, le taux directeur de la Banque du Canada est maintenant à son plus bas niveau effectif, a indiqué Stephen Poloz. Théoriquement, il pourrait descendre plus bas, a-t-il convenu, mais ce n’est pas une option envisagée par la banque centrale.

Selon lui, l’expérience des taux négatifs ailleurs dans le monde indique que lorsque les taux sont très bas, les descendre davantage n’a plus aucun effet.

La banque centrale est intervenue d’urgence hier parce qu’elle n’avait pas le choix, selon Benoit Durocher, économiste de Desjardins. Les marchés savaient que le taux baisserait éventuellement, puisque la Banque du Canada avait encore une marge de manœuvre, et la paralysie commençait à s’installer malgré les interventions précédentes.

La banque centrale a d’ailleurs indiqué que les marchés du papier commercial commençaient à « geler », ce qui explique l’annonce d’un nouveau programme de rachat de titres émis par les entreprises, les municipalités et les provinces.

Mais l’arme la plus puissante dégainée hier par la banque centrale est le rachat d’obligations fédérales à raison d’au moins 5 milliards par semaine pendant une période qui pourrait être très longue, soit jusqu’à ce que la reprise économique soit bien engagée.

Cette injection importante d’argent dans le marché est peut-être de l’assouplissement quantitatif, a précisé M. Poloz, mais ce n’est pas de la création d’argent à proprement parler parce que cet argent servira à faire fonctionner les marchés pendant la crise et ne vise pas à stimuler l’économie, puisqu’il ne sera pas dépensé.

Ce qu’il fallait faire

En recourant à ces mesures encore jamais utilisées, la Banque du Canada a fait ce qu’il fallait faire, selon les économistes de la Banque Nationale. « La politique monétaire n’est peut-être pas l’outil parfait pour combattre le virus, mais la Banque du Canada s’acquitte clairement de son rôle en accompagnant l’important effort budgétaire déployé par les gouvernements fédéral et provinciaux », estiment Warren Lovely, Taylor Schleich et Jocelyn Paquet, dans une analyse des nouvelles mesures annoncées vendredi.

L’économiste Josh Nye, de la Banque Royale, souligne que la gravité de la crise force la Banque du Canada à se joindre au club des banques centrales qui doivent recourir au rachat massif d’actifs (assouplissement quantitatif). « Il ne faut pas exclure qu’il faudra peut-être faire plus », a-t-il dit.

Si la situation s’aggrave, la Banque du Canada pourra toujours augmenter ses rachats d’actifs ou annoncer des mesures illimitées d’assouplissement quantitatif, comme l’a fait la Réserve fédérale américaine, avance Sébastien Lavoie, économiste en chef de la Banque Laurentienne. « La bonne nouvelle, c’est que la Banque du Canada a beaucoup d’autres outils à sa disposition », a-t-il dit.

Le dollar canadien a légèrement augmenté à 71,14 cents US. La valeur du dollar fluctue surtout en fonction du prix du pétrole actuellement, selon le gouverneur de la Banque du Canada.

Le Canada en récession

L’arrêt des activités non essentielles et la chute brutale du prix du pétrole ont eu raison de la croissance économique du Canada. Le pays est probablement déjà en récession, estime Krishen Rangasamy, économiste de la Banque Nationale, qui a revu ses prévisions à la baisse. Le premier trimestre s’achèvera sur « une forte baisse du produit intérieur brut, suivie d’une baisse encore plus forte de plus de 30 % au deuxième trimestre », prévoit maintenant la banque.

Pour l’ensemble de 2020, la contraction devrait être de 4,8 %, ce qui serait la pire dégringolade de l’économie depuis 1961.

La croissance devrait revenir dans la deuxième moitié de l’année. Si c’est le cas, les dommages pourraient être limités, selon la firme de crédit DBRS, qui estime que l’économie canadienne subira un « impact négatif sévère ». DBRS a maintenu la cote du Canada inchangée, à AAA stable, malgré le déficit fédéral, qui devrait exploser cette année.

Le directeur parlementaire du budget a estimé que le déficit d’Ottawa bondira de 89 milliards, à 112 milliards. Certains économistes, dont ceux de la Banque Royale, le voient même atteindre 200 milliards.

Pire que 2009 dans le monde

L’économie mondiale s’enfoncera dans une récession pire qu’en 2009, a prédit vendredi la directrice générale du Fonds monétaire international, Kristalina Gueorguieva.

Pour qu’une reprise soit possible en 2021, il faudra des mesures « adéquates et coordonnées », a-t-elle dit.

La patronne du FMI a souligné les besoins de financement des pays émergents, qui seraient de l’ordre de 2500 milliards.

De son côté, le secrétaire général de l’OCDE, Ángel Gurría, réclame un « Plan Marshall » pour lutter contre la pandémie et souligne que la facture sera lourde pour certains pays et certains secteurs d’activités.

Au niveau mondial, le Japon et l’Allemagne seront les plus touchés, prévoit l’OCDE, tandis que les économies du Canada et des États-Unis seraient moyennement touchées et que la Chine et l’Inde souffriraient un peu moins.