Les choses évoluent extrêmement rapidement, et il est bien difficile de tenir à jour l’impact économique des décisions des autorités.

Lundi, le premier ministre François Legault a demandé à toutes les entreprises du Québec de fermer boutique pendant trois semaines, sauf celles qui offrent des services essentiels. Les scénarios économiques de la semaine dernière doivent donc être entièrement révisés.

Malgré tout, j’ai pu faire certaines estimations – forcément imparfaites – grâce aux bases de données détaillées de Statistique Canada. En gros, si les entreprises respectent la consigne, c’est environ 40 % de l’économie du Québec et 44 % des emplois qui seront mis à l’arrêt pendant trois semaines.

L’impact à court terme est colossal, mais selon les meilleurs experts de la COVID-19, la reprise des activités sera d’autant plus rapide que les mesures des autorités sont rapidement étendues et respectées.

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Environ 40 % de l’économie du Québec et 44 % des emplois seront mis à l’arrêt pendant trois semaines, calcule notre chroniqueur.

Pour mesurer l’impact des exigences du gouvernement, j’ai utilisé deux tableaux de Statistique Canada, l’un sur le produit intérieur brut (PIB) par industrie au Québec et l’autre sur les emplois (1). L’agence recense le poids de plus de 300 industries dans l’économie, et j’ai donc retenu les seules industries qui sont considérées comme essentielles par le gouvernement.

Parmi ces industries essentielles, mentionnons l’agroalimentaire, l’énergie, les télécommunications, les institutions financières, certains commerces (alimentation, pharmacies, stations-service), les services de livraison, l’administration publique et, enfin, les médias.

En 2019, ces industries essentielles contribuaient pour environ 226 milliards de dollars à l’économie du Québec. 

Comme le PIB du Québec dans son ensemble est de 377 milliards, c’est dire que 60 % des entreprises sont considérées comme essentielles et 40 %, comme non essentielles. 

Les données de PIB sont mesurées avec des dollars de 2012.

Pour l’emploi, ce sont 1,7 million de personnes qui travaillent pour des secteurs jugés non essentiels, ce qui représente 44 % des 3,8 millions d’emplois totaux au Québec.

Bref, pour combattre la propagation du virus, le gouvernement Legault demande qu’environ 40 à 44 % de l’économie soit temporairement arrêtée, selon mon estimation rapide et approximative.

Évidemment, de nombreuses entreprises ne respecteront pas la consigne, soit parce qu’elles peuvent continuer une partie du boulot par télétravail, soit parce qu’elles défient les autorités. De plus, une grande partie des emplois – et donc du PIB – relève du secteur public, comme l’enseignement, où les employés sont encore payés, et ils continuent donc de contribuer, en principe, à l’économie.

Cet ordre de grandeur rejoint néanmoins celui estimé par l’Institut IFO au sujet de l’Allemagne, dont les mesures de confinement s’apparentent aux nôtres. Essentiellement, l’Institut calcule que 40 % de l’économie allemande sera sur pause pendant deux mois (60 % continuera de rouler).

Cette part de 60 % grimpera à 80 % au cours du troisième mois, puis à 100 % au quatrième mois, selon son scénario le plus optimiste. Le plus pessimiste prolonge l’inactivité d’un mois. En somme, la fourchette de réduction du PIB pour l’ensemble de l’année se chiffrerait entre 7,2 % et 20 %.

De leur côté, les firmes Goldman Sachs, d’une part, et Morgan Stanley, d’autre part, estiment que l’économie américaine sera dégonflée au deuxième trimestre de 24 % et de 30 % respectivement, donc pour trois mois, contre 40 % dans le pire des scénarios d’IFO pour l’Allemagne.

Exagéré ?

Maintenant, la réaction des autorités est-elle disproportionnée par rapport aux impacts du nouveau coronavirus ? Le gouvernement surestime-t-il les effets du virus ? Absolument pas, si l’on se fie au portrait le plus complet sur la question, publié par l’expert Tomas Pueyo à l’aide de chercheurs.

> Lisez l’article de Pueyo

L’ingénieur a comparé les impacts du virus selon que les autorités restent les bras croisés, qu’elles entreprennent des mesures d’atténuation importantes ou misent plutôt carrément sur des mesures radicales, comme ce qui se fait au Québec et en France.

Son constat : les mesures radicales sont essentielles pour réduire énormément le nombre de morts et sortir rapidement de la crise. Avec le fait de rester les bras croisés, on pourrait voir le nombre de morts s’élever à plus de 10 millions aux États-Unis en quelques mois. Ce serait 200 000 au Québec, selon mon extrapolation, ce qui est énorme sachant qu’il y a environ 70 000 décès par année au Québec en temps normal.

Ces décès seraient causés par l’incapacité du système de santé, rapidement débordé, à assurer les services à la population malade. Des mesures d’atténuation moyenne, comme voulait le faire le Royaume-Uni (et comme c’est encore un peu le cas aux États-Unis), donneraient des résultats moins catastrophiques, mais encore très importants.

La meilleure façon de sortir de la crise est de gagner du temps en appliquant des mesures sévères, comme le confinement, question de permettre aux autorités et à la population de s’armer pour cette guerre. 

Ce faisant, explique Tomas Pueyo, on peut s’attendre à une sortie relativement rapide (on parle de deux à trois mois environ), comme c’est arrivé en Chine, mais aussi dans le démocratique pays de la Corée du Sud. Dans ce cas, il y aurait tout de même des morts, malheureusement, qu’on pourrait chiffrer en centaines au Québec, selon mon extrapolation de l’analyse de Pueyo.

Un des éléments clés pour réussir est de diminuer le taux de contamination. S’il n’y a aucune mesure, un malade peut contaminer près de quatre personnes (c’était le cas à Wuhan, en Chine), notamment parce qu’il ne sait pas, au début, qu’il est atteint. Ce taux de contamination exponentiel et dévastateur peut être ramené à seulement 0,5 avec des mesures radicales, comme celles que nous vivons.

Une fois la première vague passée, et compte tenu des nouvelles précautions simples prises par tous (distanciation sociale, masque, etc.), la vie normale peut reprendre son cours, comme c’est actuellement le cas en Chine et en Corée du Sud. Et les quelques malades peuvent avoir des services dans les hôpitaux.

L’ultime victoire sera remportée lorsque les scientifiques auront trouvé un vaccin. Il faut tenir bon… et respecter les consignes scrupuleusement.

(1) Il s’agit du tableau 36-10-0402-01 pour le PIB et 14-10-0201-01 pour l’emploi.