Après avoir lu bien des trucs sur ce qui arrivera en 2020, voici notre série de cinq idées – radicales aux yeux de certains – qui ne se concrétiseront pas… du moins pas cette année. Mais il peut être bon d’en débattre.

L’idée

Imaginez si les amateurs de vin qui s’embarquent pour une tournée des vignerons de la région de Niagara-on-the-Lake pouvaient faire des réserves autant qu’ils le veulent en rapportant au Québec dans leur voiture le nombre de caisses de vin qu’ils souhaitent. Pas suffisamment d’espace dans la voiture ? Qu’à cela ne tienne, on pourrait leur expédier les bouteilles par la poste, directement à la maison.

La situation actuelle

Si l’idée peut paraître intéressante pour les consommateurs de vin du pays, qui aimeraient mettre dans leur cellier une grande variété de produits canadiens rapportés dans la voiture au terme d’une tournée de vignobles, la situation est tout autre. Chaque province a établi les quantités maximales de boissons que ses concitoyens peuvent rapporter sur leur territoire. Les règles varient d’un endroit à l’autre. Actuellement, le Nouveau-Brunswick est la province la plus restrictive (voir tableau). Il est également interdit de commander du vin dans une autre province et de se le faire livrer par la poste, sur le pas de sa porte, sans passer par la Société des alcools du Québec (SAQ), par exemple.

Le débat

La libéralisation complète du commerce du vin, sans aucune restriction, est-elle possible et souhaitable ? Les spécialistes interrogés répondent tous par l’affirmative et ils soutiennent même que ces restrictions n’ont pas leur raison d’être. La SAQ a toutefois refusé de se prononcer sur la question.

« Bien sûr qu’on pourrait le faire, affirme Germain Belzile, chercheur associé senior à l’Institut économique de Montréal (IEDM). On peut le faire pour des fraises, on peut le faire pour de la crème glacée. Pourquoi on ne pourrait pas le faire pour de l’alcool ? »

« C’est fou que ce projet-là soit vu comme un projet futuriste parce que c’est quelque chose qui est de la pure normalité dans n’importe quel pays au monde, ajoute pour sa part Frédéric Laurin, professeur en économie à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Il y a juste au Canada où c’est comme ça. C’est ça qui est absolument incroyable. »

« On peut acheter n’importe quoi de n’importe quelle province, mais pas des vins et des alcools alors qu’on est producteurs, ajoute-t-il. Il me semble que c’est la moindre de choses dans un seul pays de pouvoir avoir accès aux produits qui sont fabriqués par le voisin. »

« C’est comme si, en France, les gens de la Bourgogne n’avaient pas le droit d’acheter les vins de Bordeaux », illustre Marc-André Gagnon, journaliste spécialisé en vin, auteur du site vinquebec.com.

Rappelons qu’en 2012, un Néo-Brunswickois avait écopé d’une amende de 300 $ pour avoir rapporté chez lui une quinzaine de caisses de 24 bières et trois bouteilles de spiritueux achetées au Québec parce qu’elles étaient moins chères. L’affaire s’est rendue jusqu’en Cour suprême. Le plus haut tribunal du pays a finalement tranché en 2018 : l’imposition de limites sur la quantité d’alcool achetée dans une autre province n’est pas inconstitutionnelle et ne représente pas un frein au commerce.

D’où ça vient ?

Tous les spécialistes interrogés estiment pour leur part que cette réglementation est désuète, puisqu’elle date d’une autre époque. En 1898, à la suite d’un référendum, toutes les provinces ont voté en faveur de la prohibition, sauf deux : la Colombie-Britannique et le Québec. Devant ce résultat, le gouvernement fédéral a décidé de laisser chacune des provinces légiférer. Ce sont elles qui ont décidé d’imposer des restrictions. « C’est un vieux truc historique qui date de l’époque où on parlait de prohibition, confirme M. Belzile. On n’a pas de raison de garder ça encore. En fait, ce sont des limites sur le transport interprovincial. »

L’intérêt des provinces

« Si on pouvait aller chercher notre vin ailleurs, ça obligerait les gouvernements du Québec et des autres provinces à s’aligner les uns sur les autres sur les taxes, ajoute Germain Belzile. [La situation actuelle] rend les consommateurs beaucoup plus captifs. On ne peut pas magasiner ailleurs. Mais les mentalités changent. Les gens veulent avoir accès à l’alcool facilement. »

« C’est devenu un bon outil pour taxer, croit également M. Gagnon. C’est là le problème : ce sont des revenus pour les provinces. Si on libéralisait, l’argent irait où ? Si vous vivez à Montréal et que vous achetez du vin en Ontario, vous allez payer les taxes de l’Ontario. Alors le Québec trouve que ce n’est pas juste. »

Impacts sur les consommateurs

Les grands gagnants de la libéralisation du commerce du vin seraient sans contredit les consommateurs, affirme-t-on. « On aurait probablement de meilleurs prix, croit M. Belzile. Nous, à l’Institut économique, on ne suggère pas la privatisation [de la SAQ], ce qu’on suggère plutôt, c’est l’ouverture à la concurrence. C’est-à-dire que des cavistes puissent ouvrir. »

« J’ai toujours été partisan de la variété, affirme M. Laurin. Pour moi, les monopoles, ce sont des restrictions à la variété. »

« Il y aurait de la concurrence, conclut Marc-André Gagnon. On pourrait aller chercher dans une province un vin dont le prix est moins cher. Pour le consommateur, ce serait idéal. Nous, au Québec, on pourrait avoir accès à beaucoup plus de vins ontariens. »