Les prix montent sans cesse, se plaignent les consommateurs, davantage que la mesure de l’inflation officielle, calculée par Statistique Canada, de 1,7 %. Pour en avoir le cœur net, le chroniqueur Francis Vailles a suivi une agente de l’organisme dans sa collecte des prix, produit par produit. Constats, tendances et surprises au menu.

Scruter les prix, un article à la fois

Tiens, la voilà qui pèse un cantaloup des États-Unis, vendu 3,99 $ l’unité, en solde. Un peu plus tard, elle refait le même exercice avec une laitue frisée, bien plus grosse en été qu’en hiver.

Elle, c’est Josée, un des 90 agents de Statistique Canada qui s’affairent à scruter, à longueur d’année, les prix des biens et services consommés par les Canadiens.

L’exercice fastidieux permet d’établir le fameux Indice des prix à la consommation (IPC), qui est crucial pour notre économie. Cet IPC sert à déterminer une foule de paramètres économiques, mais en premier lieu, l’un des plus cruciaux : le taux d’intérêt directeur de la Banque du Canada, fixé pour que l’inflation augmente selon une fourchette variant entre 1 % et 3 % par année.

Pour une très rare fois, Statistique Canada consent à ce qu’un journaliste entre dans les méandres de la collecte des prix. Il m’a fallu être très convaincant pour assister à ce rituel ultraconfidentiel. Les prix montent sans cesse, se plaignent les consommateurs, il me faut donc décortiquer le processus pour en avoir le cœur net, leur ai-je dit. La bénédiction est finalement venue du statisticien en chef de l’organisme, Anil Arora, à Ottawa.

La collecte de prix se déroule dans un supermarché de Laval, en juillet.

« D’où viennent ces choux-fleurs ?, demande Josée au commis des fruits et légumes. Et ce brocoli ?

— Ce chou-fleur est américain et ce brocoli vient de Saint-Constant, au Québec. Voyez ici », répond-il.

L’agente de Statistique Canada pèse le tout, encore une fois, remet les produits en place, et entre les données dans le logiciel de sa tablette.

Pourquoi tant de précautions ? Parce que Statistique Canada doit s’assurer de mesurer l’évolution des prix de produits strictement comparables. Pour certains fruits et légumes, le prix au kilo peut être bien différent selon la saison et la provenance, ce dont il faut tenir compte.

Pour l’essentiel des produits, il faut la même marque, au même volume. Et pas question de prendre des produits en liquidation, sur le point d’être périmés : leur prix n’est pas comparable.

Dans ce supermarché typique, Josée prend trois heures pour colliger les prix de quelque 250 articles de toutes les allées. Elle refait le même genre d’exercice dans une soixantaine de magasins divers par mois, visant quelque 1600 articles. Dans l’ensemble du Canada, les agents parcourent 9000 points de vente par année, à raison de 3000 à 4000 par mois (certains sont saisonniers).

Tout y passe : les aliments, les vêtements, les forfaits cellulaires, le loyer des logements, les tarifs des dentistes, le paiement hypothécaire, l’essence, etc. Bref, un travail de moine.

Pour les services, c’est souvent un casse-tête. Comment comparer les frais bancaires ou les forfaits de cellulaire, par exemple ?

Andrée Girard, chef de la division des prix à la consommation de Statistique Canada

Types de coutures, de tissus…

Voilà maintenant Josée qui fouille dans le tombeau à fruits de mer surgelés. « Dans les fruits de mer, il y a beaucoup de changements, il faut donc être vigilant », dit-elle.

Dans le rayon de la viande, elle compare les produits par code à barres, afin de ne pas se tromper. Pour les produits momentanément absents, je la vois demander au boucher, très collaboratif.

Josée occupera le reste de sa semaine à visiter d’autres commerces. Pour les vêtements, il lui faut généralement une journée et demie pour visiter les points de vente choisis d’un grand centre commercial. Elle vérifie les types de coutures, le nombre de poches, le tissu, la provenance. Si l’article a disparu, elle y substitue un autre semblable, en s’attardant aux détails.

« Je peux demander au gérant ce qui explique la différence de prix, notamment pour les vêtements », dit-elle.

Les marchands ne sont pas obligés d’accepter la visite des agents de Statistique Canada, mais ils y sont fortement encouragés. 

Il est très rare qu’ils refusent. Parfois, ils me demandent de passer avant l’ouverture, pour ne pas déranger les clients.

Josée, agente de Statistique Canada

Statistique Canada compte 6 agents de collecte pour la région de Montréal et 15 pour l’ensemble du Québec. L’agence s’en tient surtout aux régions de Montréal, de Québec et de l’Outaouais, bien que le Saguenay, Trois-Rivières ou Sherbrooke soient susceptibles de recevoir la visite de collecteurs, qui s’attardent alors à certains groupes de produits. L’agence commence aussi à s’intéresser aux sites internet commerciaux.

Statistique Canada publie son nouvel Indice mensuel des prix à la consommation (IPC) tous les troisièmes vendredis du mois. L’indice global a été fixé à 100 en 2002 comme base de référence. C’est l’écart entre cet IPC et celui du même mois de l’année précédente qui donne l’ampleur de l’inflation annuelle pour ce mois. En août, au terme de la collecte, l’indice a atteint 136,8, en hausse de 1,9 % sur août 2018.

Des logiciels qui repassent 10 fois

La collecte des prix dure trois semaines. La quatrième sert au traitement, à Ottawa, de toutes les données prélevées au Canada. Deux logiciels servent à faire l’exercice. Un premier, appelé Phoenix (non, pas celui de la paye), sert à corriger les anomalies. Une boîte de Kleenex à 8 $ ? Rejeté.

Le deuxième logiciel, Cygnus, calcule les sous-indices de prix (alimentation, logement, transport, etc.) et l’IPC final. Il faut trois heures aux logiciels pour faire un tel traitement. Et les maniaques de Statistique Canada leur font refaire le calcul 10 fois !

Ultimement, la variation globale des prix est fonction de l’importance des divers produits et groupes de produits dans le panier type des consommateurs. Par exemple, l’impact d’une hausse majeure du prix du pied de céleri, bien que fort médiatisée, est somme toute très mineur dans l’ensemble du panier.

Ce panier est conçu à partir d’une autre enquête annuelle de Statistique Canada, celle sur les dépenses des ménages, menée auprès de quelque 18 000 ménages partout au Canada.

Dans chaque province, l’agence ajuste le panier pour tenir compte des différentes caractéristiques de consommation. Au Québec, par exemple, l’alimentation achetée en magasin et au resto accapare 18,9 % du budget des ménages, contre 15,6 % en Ontario.

Alors, convaincu de l’exercice ?

Les tendances budgétaires des Québécois

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Les Québécois ont notablement modifié leur façon de consommer depuis vingt ans.

Quels postes budgétaires depuis 20 ans ont…

… diminué en proportion du total

– l’alimentation achetée en magasin (-14 %)

– les produits du tabac (-25 %)

– les vêtements et chaussures (-21 %)

… augmenté en proportion du total

– les dépenses courantes du ménage (+48 %), notamment les télécomunications (+34 %)

– le transport (+16 %)

– les soins de santé (+48 %)

Par rapport à la moyenne canadienne,

Les Québécois dépensent… … bien plus pour :

l’alimentation en magasin

+16 %

les soins de santé et les soins personnels

+19 %

l’alcool

+32 % Les Québécois consacrent

… bien moins pour :

le logement

-12 %

la formation

-30 %

le transport public

-18 %

Source : La Presse, à partir de l’Enquête sur les dépenses des ménages de Statistique canada

Le prix des vêtements a baissé depuis 20 ans

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Les prix des vêtements et chaussures ont baissé de 6 % depuis 20 ans au Québec – et tout autant au Canada – notamment en raison du changement de provenance des produits.

Quoi qu’on en dise, le prix des biens et services augmente globalement très peu au Canada depuis quelques années, et encore moins au Québec.

Et – ô, surprise – le prix mesuré par Statistique Canada pour le panier de vêtements et de chaussures comparables a baissé de 6 % depuis 20 ans au Québec, pendant que l’ensemble des prix grimpait de 41 %.

Au cours des cinq dernières années, l’inflation, telle que mesurée par l’Indice des prix à la consommation (IPC), a crû de seulement 1,7 % par année en moyenne au Canada (1,4 % au Québec).

On est bien loin du sommet canadien des 50 dernières années, atteint en 1981, à 12,5 %. C’était l’époque où les gens faisaient massivement des provisions de pain et de nourriture dans leurs congélateurs pour éviter les hausses de prix. Il a fallu une augmentation très musclée des taux d’intérêt pour juguler l’inflation.

Le Canada a connu trois progressions annuelles plus fortes de l’inflation depuis 100 ans, soit en 1948, peu après la Seconde Guerre mondiale (14 %), de même qu’en 1917 et en 1920 (18 % et 16,3 % respectivement).

Mais revenons aux catégories de produits, comme les vêtements. Leur prix a évolué très différemment.

Le déclin de 6 % des vêtements et chaussures depuis 20 ans au Québec – et tout autant au Canada – s’explique par le changement de la provenance des produits. La plupart des vêtements courants sont maintenant fabriqués dans des pays où les salaires sont très bas, notamment en Asie.

En hausse

Au sommet se trouvent les prix de la catégorie Alcool et tabac, en hausse de 116 % au Québec depuis 20 ans, un bond semblable à la moyenne canadienne. Cette explosion s’explique vraisemblablement par le bond des taxes spéciales sur ces produits.

L’alimentation suit (+ 65 %), puis le transport (+ 47 %). Quant au logement, l’augmentation des prix de 45 % sur 20 ans peut sembler faible, compte tenu de la très forte hausse du prix des maisons. Toutefois, il faut savoir que les paiements mensuels ont grossi moins vite grâce au recul marqué des taux d’intérêt.

De plus, l’indice de Statistique Canada ne mesure pas l’inflation des maisons, mais la mensualité que paient propriétaires et locataires. Une personne qui conserve sa maison ne subit pas les hausses annuelles constatées dans le marché immobilier.