Le climat se déglingue. C’est une assurance, selon les scientifiques. Et nos assurances vont en pâtir. En fait, elles ont déjà les pieds dans l’eau.

Le fameux parapluie qui symbolise l’industrie de l’assurance va prendre toute sa signification.

Les bouleversements climatiques accumulent les nuages sur les assureurs. Et, par conséquent, sur les assurés.

En 2018, les catastrophes naturelles – et on ne parle pas de séismes – ont causé pour 1,9 milliard de dollars de dommages assurés au Canada.

« Le changement climatique est réel, il se produit ici, et il est peu probable qu’il disparaisse », insiste Natalia Moudrak, directrice, Résilience face aux changements climatiques, au Centre Intact d’adaptation au climat.

« Il se manifeste par des événements météorologiques extrêmes, et c’est la raison pour laquelle ça devient problématique pour l’assurabilité du marché de l’habitation. »

Entre 1983 et 2008, à deux années près, les pertes assurables attribuables aux catastrophes naturelles en assurance habitation n’ont pas excédé 500 millions par année.

Depuis 2010, à l’exception de 2015, les assureurs canadiens ont payé annuellement plus de 1 milliard par année en indemnités relatives aux catastrophes naturelles – grands vents, inondations et incendies de forêt, notamment.

C’est une préoccupation. Et le principal facteur, c’est trop d’eau, au mauvais endroit, au mauvais moment.

Natalia Moudrak, du Centre Intact d’adaptation au climat

Dans les endroits où les inondations se produisent à répétition, la protection contre les inondations pourrait disparaître, être inabordable ou plafonnée à 10 000 ou 20 000 $ de dommages, prévient-elle.

En mars dernier, dans un article du quotidien britannique The Guardian, le climatologue principal du réassureur Munich Re, Ernst Rauch, a prévenu que « si le risque d’incendie, d’inondation, de tempête ou de grêle augmente, la seule solution durable est d’augmenter en conséquence [les] prix des risques. À long terme, ça pourrait devenir un problème social ».

Tôt ou tard, les assurés dénonceront haut et fort la hausse des primes – un cri primal, en quelque sorte.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Le chemin de la Pointe-au-Sable, à Rigaud, sous les eaux le printemps dernier

Le Bureau du surintendant des institutions financières du Canada (BSIF) a chaud, lui aussi. « Qu’il s’agisse de feux de forêt, de vagues de chaleur, d’inondations ou d’autres catastrophes météorologiques extrêmes, l’ampleur des transformations présente un défi croissant et complexe pour les gestionnaires du risque d’assurance », lisait-on en février dernier dans son bulletin Le Pilier.

Le BSIF souhaite que les sociétés d’assurances – « toutes, sans exception », précise-t-il – élaborent une stratégie de gestion des risques liés aux changements climatiques.

Assurance aquatique

Les assureurs en conviennent sans détour.

« En assurance automobile, c’est un autre phénomène qui vient impacter l’évolution des couvertures et de la protection d’assurance, mais en assurance habitation, c’est clairement l’évolution du climat », constate Denis Dubois, président et chef de l’exploitation de Desjardins Groupe d’assurances générales.

Il rappelle qu’il y a 30 ans, les polices d’assurance habitation étaient désignées par l’acronyme IARD, pour « incendie et autres risques divers ».

Maintenant, les principales causes des indemnités versées sur le contrat sont liées à l’eau. Si on avait aujourd’hui à redéfinir l’assurance, on ne parlerait pas de contrat incendie, on parlerait beaucoup plus de contrat d’eau.

Denis Dubois, de Desjardins Groupe d’assurances générales

Il constate depuis 20 ans la récurrence d’événements météorologiques hors normes.

« On va parler de périodes de froid plus intense. On va parler de froid intense suivi de pluie, on va parler de verglas, on va parler l’été de sécheresse qui peut amener des incendies de forêt importants. Vraiment, une récurrence beaucoup plus importante. Et je vous dirais que l’hiver qu’on vient de passer est pas mal dans ce ton-là. »

Or, les hivers plus froids n’entraînent pas de gel de primes, au contraire.

« Nécessairement, ça interpelle ultimement une pression sur la hausse des primes d’assurance habitation », indique-t-il.

La question est suffisamment préoccupante pour que l’Autorité des marchés financiers (AMF) ait formé, à l’automne 2017, un groupe de travail sur les changements climatiques « visant à couvrir l’ensemble des enjeux liés à ces risques ».

« Depuis deux ou trois ans, dans nos rapports annuels, les changements climatiques et les catastrophes naturelles sont toujours traités dans les rubriques qui nous interpellent », souligne Hélène Samson, directrice de l’encadrement prudentiel des institutions financières à l’AMF.

Le dernier rapport annuel sur les institutions financières de l’AMF, rendu public fin juin 2018, a indiqué que « malgré la suffisance actuelle du capital, la tendance haussière des coûts liés aux catastrophes naturelles représente un défi pour l’industrie ».

Mais pour l’instant, le parapluie résiste aux bourrasques.

Jean-François Ouellet, directeur des analyses quantitatives et modèles des assureurs à l’Autorité des marchés financiers, n’a pas – encore – d’inquiétude quant à l’effet des événements météorologiques extrêmes.

« De mon point de vue de surveillance continue des assureurs et de leur situation de rentabilité et de solvabilité, il n’y a pas de préoccupation. Les assureurs réagissent à mon avis très bien. Il y a une dynamique, ils ne sont pas passifs vis-à-vis ça. »

Les assureurs se veulent rassurants, eux aussi. Jusqu’à un certain point…

« Pour l’instant, on n’a pas à être alarmistes, exprime Denis Dubois. Le contexte demeure sous contrôle. La préoccupation, c’est que si les tendances observées depuis les 10 dernières années ne se corrigent pas éventuellement, on pourrait sentir des enjeux. »

Devinez qui paiera alors les pots cassés…

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

La crue de la rivière des Outaouais a provoqué d’importantes inondations dans les municipalités riveraines il y a quelques semaines.

Les primes à la hausse

Le 14 mai dernier, le Mouvement Desjardins a annoncé que ses activités d’assurance de dommages durant le premier trimestre 2019 s’étaient soldées par un déficit de 81 millions, « essentiellement en raison de conditions météorologiques difficiles ».

« Les conditions climatiques difficiles de cet hiver et de ce printemps ont grandement influencé la performance de notre assureur de dommages avec une hausse importante de demandes de réclamations en habitation par rapport à l’année précédente », a alors déclaré le président de Desjardins, Guy Cormier.

Quel est l’effet sur les primes ?

À l’Autorité des marchés financiers, « on a observé une certaine tendance à la hausse de la prime moyenne », confirme Jean-François Ouellet, directeur des analyses quantitatives et modèles des assureurs à l’AMF.

Il l’a constaté de manière directe et personnelle dans le dernier avis de renouvellement de son assurance habitation. « Il était indiqué qu’il y avait une augmentation importante, et que ça avait rapport beaucoup aux événements météorologiques, particulièrement les dégâts d’eau. Les assureurs, ouvertement, expliquent ce qui se passe. »

Pour les compagnies d’assurances à charte du Québec (environ 50 % du marché, résultats non audités), la prime moyenne est passée de 686 $ en 2014 à 808 $ en 2018, ce qui reflète assez justement la progression du sinistre moyen, qui, lui, a bondi de 7441 $ à 9019 $.

La progression des primes totales perçues au Canada pour l’assurance habitation semble refléter l’accroissement des catastrophes naturelles.

Entre 1994 et 2001, la croissance annuelle s’est maintenue à 2 %. Entre 2002 et 2017, elle s’est fixée à 7,5 %. Bien entendu, l’accroissement de la valeur foncière a aussi un effet majeur.

Desjardins Groupe d’assurances générales, pour prendre cet exemple, n’a pas fait « l’exercice de quantifier l’impact des changements climatiques sur les primes d’assurance », informe son président Denis Dubois.

Ce qu’on sait, c’est qu’il y a une plus grande fréquence d’événements importants, et le coût moyen est plus important.

Denis Dubois, de Desjardins Groupe d’assurances générales

Il donne l’exemple des dommages par l’eau : « Il y a une partie liée aux changements climatiques, mais une partie qui est liée à la désuétude des infrastructures dans les grandes villes, une partie liée à la densité de la population, une partie liée au fait qu’aujourd’hui, les sous-sols sont finis avec beaucoup de choses. Qu’est-ce qui contribue à quoi ? On ne s’est jamais lancés dans cet exercice. »

Chose certaine, les primes suivent le niveau d’eau dans les sous-sols de Sainte-Marthe-sur-le-Lac au printemps dernier : elles sont à la hausse.

PHOTO EDOUARD-PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Un immeuble et une voiture frappés par une tornade l’an dernier dans le quartier Mont-Bleu à Gatineau

Ça va mal

Il pleut sur les actuaires

Les actuaires, gens sérieux et pondérés s’il en est, s’intéressent de (très) près aux changements climatiques.

À un point où l’Institut canadien des actuaires (ICA), de concert avec trois associations d’actuaires nord-américaines, a mis au point un « indice actuariel climatique », qui mesure la variation des événements météorologiques au Canada et aux États-Unis.

« L’indice est composé de six indicateurs : les hautes températures, les basses températures, les précipitations, les périodes de sécheresse, les vents et le niveau de la mer », explique l’actuaire Yves Guérard, qui siège à la Commission sur les changements climatiques et la viabilité de l’ICA et qui a participé au développement de l’indice.

L’indice actuariel climatique est mis à jour chaque saison. La moyenne mobile sur cinq ans a atteint un nouveau sommet l’automne dernier.

La valeur de 1,03 ne vous dira rien. Il faut retenir la tendance ascendante de la courbe, qui montre que ça brasse de plus en plus.

« L’indice présente l’évolution de ces données sans exprimer d’opinion sur les causes, des effets et des tendances », indique Yves Guérard.

L’ICA s’adresse d’abord aux actuaires. « Ce n’est pas une information qui entre directement dans le calcul des primes, mais elle permet à l’industrie d’avoir une certaine perspective sur ce que l’avenir peut nous apporter. »

Polices sous surveillance

Oubliez les fameux acts of God.

« Dans les formulaires, c’est une notion qui n’existe pas », insiste Line Crevier, responsable des affaires techniques et du centre d’information sur les assurances au Bureau d’assurance du Canada.

La plupart des acts of God, et on peut parler de feu de forêt, de vent violent, de tornade, de grêle, pourraient avoir un lien avec les changements climatiques, et ils sont couverts de base dans la très grande majorité des formulaires, et ça fait très longtemps.

Line Crevier, du Bureau d’assurance du Canada

L’accroissement des phénomènes de vents violents, de verglas ou d’incendies de forêt n’a pas entraîné de modifications importantes aux polices standards.

« Que ce soit un feu de forêt ou un feu de patates frites, c’est la même couverture », dit-elle.

Par contre, les inondations ont été ajoutées en 2017 aux protections courantes contre les dommages d’eau par refoulement d’égout ou infiltration, sous forme d’avenant facultatif. Et coûteux.

L’Autorité des marchés financiers estime que les assureurs répondent encore convenablement aux besoins, malgré la pression climatique. « Avec la possibilité d’ajuster les primes et le produit qui n’est pas trop restrictif pour le moment, il y a un bon marché et une bonne protection des assurés là-dessus, observe Jean-François Ouellet. Sans que ce soit parfait. »

Les nuages

Incendies de forêt Inondations Tornades et vents violents Pluies diluviennes, refoulements d’égout et glissements de terrain Verglas, chutes d’arbres et pannes de courant prolongées Grêle Région maritime : tempêtes extrêmes et érosion des berges Chutes de neige excessives et écroulement des toits Sécheresse et sols argileux : affaissement, subsidence

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Parmi les facteurs importants qui aident à réduire les risques : être bien conseillé, notamment à propos de la portée du contrat d’assurance et des protections adaptées à sa propre situation.

Comment contenir les coûts

En prime, six conseils d’experts

1. « Les leviers sur lesquels les gens peuvent travailler sont davantage les actions de prévention par rapport aux risques qui leur sont propres. Les réclamations contribuent aux hausses de primes. Si la personne est capable d’éviter les réclamations en comprenant bien son risque chez elle et en le gérant, elle est en amont de la discussion. » — Denis Dubois, président et chef de l’exploitation de Desjardins Groupe d’assurances générales

2. « Il demeure important que les gens soient bien conseillés. Avant de parler de réduire les primes, il faut bien comprendre la portée de son contrat et aller chercher les protections adaptées à sa situation. Pour moi, ça demeure le meilleur conseil qu’on puisse donner aux gens. » — Denis Dubois

3. Utilisez les systèmes de prévention intelligents proposés par les assureurs, comme les alertes aux cataclysmes et les dispositifs de surveillance ou de détection du niveau d’eau. — Denis Dubois

4. « Comme il y a une très bonne offre de produits, il appartient au consommateur de magasiner auprès des assureurs pour voir la prime qui lui convient le mieux et les meilleures conditions, selon ce qu’il est prêt lui-même à assumer. » — Hélène Samson, directrice de l’encadrement prudentiel des institutions financières à l’Autorité des marchés financiers

5. « Il faut faire un bon entretien de la résidence pour éviter d’avoir des sinistres. En mettant un clapet antiretour pour éviter les refoulements d’égout. Avoir une toiture en bon état. Pas de fissure dans le solage autant que possible. » — Line Crevier, responsable des affaires techniques et du centre d’information sur les assurances au Bureau d’assurance du Canada

6. En dernier recours, « pour contrôler la prime, il y a toujours la franchise qui peut être ajustée ». — Jean-François Ouellet, directeur des analyses quantitatives et modèles des assureurs à l’Autorité des marchés financiers