Depuis l’incendie tragique d’une résidence de L’Isle-Verte en 2014 et l’obligation d’installer des gicleurs qui a suivi, 439 résidences pour aînés ont fermé leurs portes au Québec – bon nombre en région – et plus de 200 autres sont à risque de disparaître. La ministre responsable des Aînés se dit préoccupée par l’hémorragie.

« Extrêmement préoccupée »

« Je suis extrêmement préoccupée qu’on ait plus de 400 résidences qui ont fermé leurs portes en quatre ans, a confié la ministre Marguerite Blais à La Presse. Il y en a de plus grandes résidences qui ont ouvert leurs portes. J’ai une préoccupation des régions, et les gens veulent vivre dans leur ville, leur village le plus longtemps possible. Ils ne veulent pas être déracinés. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Marguerite Blais, ministre responsable des Aînés, lors d’une visite dans un CHSLD de Lévis, en février dernier

La Presse a révélé jeudi que le ministère de la Santé reconnaissait que le programme de subventions censé absorber les coûts liés à l’installation de gicleurs était insuffisant et devrait être bonifié. Hier, la ministre a promis d’augmenter les subventions et de reporter la date butoir du 2 décembre 2020 concernant l’installation des gicleurs.

Coûts élevés et manque de main-d’œuvre

Gicleurs coûteux, pénurie de main-d’œuvre, inflation des dépenses, revenus stagnants, les propriétaires des petites résidences pour personnes âgées sont sous pression.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Lyne Prud’homme, PDG de la résidence Villa Fleurs de Lys, à Lanoraie

« Des fois, on a l’impression que les institutions financières se lient au gouvernement dans le but de fermer les petites résidences », laisse tomber Lyne Prud’homme, PDG de la résidence Villa Fleurs de Lys, à Lanoraie. Elle en est propriétaire depuis 2001.

Les gicleurs

Au total, les travaux d’installation des fameux gicleurs auront pris un an chez Mme Prud’homme. Ceux-ci se terminaient lors de notre visite le 16 avril. Ils auront coûté plus de 187 000 $ au total. La subvention gouvernementale couvre 117 000 $.

Les travaux de 70 000 $ à sa charge comprennent la connexion avec l’entrée d’eau de la ville, l’excavation pour se connecter à l’entrée d’eau, le terrassement paysager consécutif à l’excavation, l’installation d’un nouveau panneau relais du système d’alarme ainsi que la finition : recouvrement des tuyaux, joints et peinture.

Mme Prud’homme verra la couleur du premier versement six mois après la fin des travaux et elle ne touchera son dixième et dernier versement que cinq ans plus tard.

La pénurie de main-d’œuvre

Outre le feuilleton des gicleurs, la résidence Villa Fleurs de Lys fait face à une pénurie de personnel. Coup sur coup, une préposée aux bénéficiaires et une cuisinière ont démissionné l’été dernier. « J’ai frappé un mur », raconte Mme Prud’homme huit mois plus tard. Impossible de trouver des remplaçants avec toutes les qualifications qu’exige la réglementation.

« Quand on est en manque de personnel, nos ressources font plus d’heures et elles s’épuisent », explique-t-elle. Sa solution ? Elle entraîne deux personnes et les paie pendant leur formation obligatoire de 180 heures en 8 semaines. Elle croise les doigts pour que les deux personnes terminent leur formation et qu’elles ne se fassent pas débaucher par les CHSLD, une fois diplômées.

Un cercle vicieux

« C’est une roue qui tourne. On te met des obligations. Tu n’as pas le choix, tu dois de les respecter. Tu as des normes à respecter au niveau de ta main-d’œuvre. Tu as des normes au niveau du système incendie. Tu as des normes au niveau de la Régie du bâtiment. »

Les dépenses grimpent au rythme des nouvelles exigences, mais les revenus, eux, sont inélastiques. « Chaque fois que j’augmente mes loyers, j’ai des chambres qui restent libres », constate Mme Prud’homme. Son deux et demi à 1950 $ par mois, repas et soins compris, reste inoccupé depuis octobre 2018. Une perte de 12 000 $ pour l’instant.

Prêteurs frileux

Le contexte d’affaires des petites résidences s’est dégradé au point que les institutions financières ont décidé de fermer le robinet. « À ma banque, mon conseiller m’a dit qu’il ne finance plus rien en bas de 50 unités », confie Mme Prud’homme.

« Est-ce que j’ai investi dans le vide ? se demande la femme d’affaires qui rêve à la retraite. Je dois penser à la relève. Je n’ai pas d’enfants. À qui vais-je pouvoir vendre ? Il n’y a pas de financement. Le système nous dit : vos petites résidences, on les ferme carrément », dit-elle, un brin de découragement dans la voix.

2400 personnes en attente d’un CHSLD

« J’ai rencontré une propriétaire de Saint-Michel-des-Saints qui trouve ça difficile, dit Yves Desjardins, DG du Regroupement québécois des résidences pour aînés (RQPA). Si elle ferme ses portes, il va falloir déménager les aînés à Joliette ou à Saint-Jean-de-Mantha, il n’y en a pas d’autres. Le réseau public va être obligé de les prendre. En région, les CISSS [centres intégrés de santé et de services sociaux] sont nerveux. Où on les relocalise ? »

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, LA PRESSE

Yves Desjardins, DG du Regroupement québécois des résidences pour aînés (RQPA)

Fermetures en série

Depuis cinq ans, il y a eu 439 fermetures de résidences totalisant 7819 logements. En tout, 94 % des fermetures touchent des résidences de moins de 50 logements, selon Groupe Altus, mandaté par le RQPA. De nouvelles résidences, plus grandes, ont vu le jour en parallèle, dans les centres urbains.

Altus dénombre 847 résidences non munies de gicleurs, dont 793 résidences de moins de 50 logements, en plus de 60 petites résidences partiellement munies de gicleurs. Du lot, 213 sont à risque. Pour sa part, le ministère de la Santé estime que plus d’un millier de résidences ne sont pas encore munies de gicleurs.

« Nous anticipons plusieurs autres fermetures de petites résidences sans la bonification du programme d’aide gouvernemental pour aider les petits opérateurs à se munir de gicleurs automatiques », lit-on dans l’étude d’Altus.

Pistes de solution

Outre la révision du programme de subventions sur les gicleurs, les solutions pour Yves Desjardins, du RQPA, passent par une bonification et une application uniforme dans toute la province du programme d’achats de services de soins à domicile, l’entrée en vigueur d’un nouveau bail pour les résidences de personnes âgées et un recentrage du crédit d’impôt pour maintien à domicile de façon à le rendre plus généreux pour les retraités à faible revenu.

« Après 18 ans dans le milieu, je trouverais ça bien dommage de fermer mes portes, confie Lyne Prud’homme. Mais il faut que le gouvernement et notre municipalité nous aident à rester ouverts. »

— Avec Tommy Chouinard, La Presse