Avec la Wallonie qui a bloqué un temps un grand accord international, avec Donald Trump et son discours protectionniste, le libre-échange passe un mauvais quart d'heure. Mais des PME d'ici y croient et entendent bien tirer profit de la nouvelle entente commerciale du Canada avec l'Europe.

L'accord de libre-échange avec l'Union européenne ne fait pas que des malheureux. Certaines entreprises jubilent à l'idée qu'il entre en vigueur. C'est le cas de Bulle Groupe, qui s'y prépare depuis trois ans et croit pouvoir tripler ses ventes d'ici cinq ans grâce à l'entente.

Malgré son nom festif, Bulle Groupe ne vend pas des bouteilles de champagne. Ni de l'eau pétillante aux fruits. Ni du bain moussant.

Il s'agit plutôt d'un regroupement de détaillants de chaussures. Si son nom est inconnu du grand public, les 55 commerces indépendants qu'il dessert sont, eux, très connus, souligne le président Louis-Philippe Roy. « Ce sont toutes des institutions dans leur marché. »

Mais c'est surtout à titre d'importateur-distributeur de chaussures que la PME de Québec se réjouit de l'entente de libre-échange (AECG). Car Bulle vend aussi les collections qu'elle importe d'Italie, du Portugal et d'Espagne à quelque 200 clients aux quatre coins du Canada et des États-Unis.

Ce créneau connaît déjà une croissance annuelle « dans les deux chiffres », tant pour le nombre de clients que pour les ventes. Mais avec l'AECG, la progression sera encore plus forte et le nombre de clients atteindra 500 en cinq ans, prévoit-on.

Il faut savoir que Bulle se voit actuellement imposer un tarif douanier de 11 % pour la majorité des modèles féminins, tarif qui grimpe à 18 % pour ceux qui montent au-dessus de la cheville (bottes et bottillons). Du côté des hommes, c'est toujours 18 %. Bref, les coûts d'importation sont élevés.

STRATÉGIE POUR GAGNER DES PARTS DE MARCHÉ

Le libre-échange, « on a suivi ça tout le long du processus », relate Louis-Philippe Roy, qui espère depuis le début que ça fonctionne. Son entrée en vigueur serait « un grand avantage », juge-t-il. D'ailleurs, convaincu de voir l'entente être un jour ratifiée, Bulle a commencé il y a trois ans à faire comme si elle l'était déjà.

« On a travaillé notre liste de prix. On a réduit nos marges de profits pour gagner des parts de marché. Elles sont beaucoup plus réduites que ce qui se voit classiquement dans le marché. Tout en restant viables », détaille le dirigeant.

« C'est une mesure protectionniste. Si on ne fait rien, d'autres vont prendre le marché. Des importateurs canadiens, il y en a énormément. Il reste peu de détaillants, mais il y a de plus en plus de fournisseurs. »

- Louis-Philippe Roy, président de Bulle Groupe

La stratégie semble fonctionner. Depuis 18 mois, cinq personnes ont été embauchées. « Il y a trois ans, on était deux. Quand une PME passe de deux à sept personnes, ça a un impact sur d'autres PME autour. »

Louis-Philippe Roy a également établi de quelle manière les « rabais » obtenus grâce à l'accord de libre-échange seront éventuellement partagés : « La tarte sera divisée en trois. »

Bulle fera une meilleure marge bénéficiaire, les détaillants aussi, et les prix de détail seront réduits. La baisse des prix permettra de réduire considérablement l'écart de prix - voire de l'annuler - entre les chaussures fabriquées en Europe et celles fabriquées en Asie, soutient le PDG. « Le consommateur aura un produit de qualité supérieure au même prix. »

POURQUOI ACHETER D'UNE ENTREPRISE DU QUÉBEC ?

Louis-Philippe Roy explique que Bulle réussit à élargir son bassin de clients à Los Angeles, San Francisco et Vancouver grâce à son modèle d'affaires « unique ».

« Nous avons une écoute attentive, car nous sommes aussi un détaillant. Ils nous font plus confiance grâce à ça. Ce qui, je croyais, allait nous nuire est devenu un avantage concurrentiel », relate Louis-Philippe Roy. En d'autres mots, les boutiques faisant partie du réseau Bulle « servent de laboratoire pour tester des produits », ce qui est rassurant.

Les détaillants américains, observe-t-il, « n'aiment pas prendre le risque d'importer des produits qui ne se vendront peut-être pas ».

De plus, Bulle permet aux détaillants de se réapprovisionner rapidement, en 48 heures. Cela est particulièrement important dans les grandes villes américaines, où les commerces ne peuvent se permettre d'avoir de grands entrepôts en raison des loyers exorbitants.

BULLE CHAUSSURES EN BREF

Fondation : 2001

Propriétaires : certains des membres

Employés : 7 au siège social et 7 « sur la route »

Marques : Attiba, Dorking, Fluchos, S. Oliver, Waldläufer, Zinda

Ventes : confidentielles

Clients : 200 (objectif : 500 d'ici 5 ans)

Cinq PME québécoises qui en profiteront

Bien des entreprises québécoises ne croyaient plus à l'Accord économique et commercial global (AECG), mais voilà qu'il pourrait bien entrer en vigueur. En voici cinq qui trépignent d'impatience.

GASPÉ CUREDCette entreprise de transformation de poisson et de fruits de mer vend ses produits surtout aux États-Unis et en Chine, mais aussi en Italie, en France et en Espagne. Quand il entrera en vigueur, l'AECG entraînera l'élimination graduelle de 85 % des droits de douane qui la visent, lesquels peuvent atteindre 13 % du prix de vente. L'accord permettra à Gaspé Cured de jouer d'« égal à égal » avec ses concurrents norvégiens, explique Marie-Ève Beaudet, directrice générale par intérim de l'entreprise, qui compte quatre usines. « Nous espérons en profiter dès la prochaine saison », dit Mme Beaudet.

ROBOTIQCe fabricant de capteurs pour robots industriels établi à Lévis exporte plus de 95 % de sa production, dont la moitié en Europe, principalement en Allemagne. « C'est sûr que le libre-échange va nous aider », affirme Samuel Bouchard, PDG et cofondateur de l'entreprise, alors qu'il s'apprête à prendre l'avion pour... l'Europe. Les produits de Robotiq sont actuellement frappés de droits de douane de 5 à 10 % lorsqu'ils prennent le chemin du Vieux Continent. « Les médias ont beaucoup parlé des inconvénients pour le secteur laitier, mais il ne faut pas oublier que l'accord sera très positif dans bien d'autres domaines », souligne M. Bouchard.

DOUCEURS DE L'ÉRABLE BRIENFondée en 1956, l'entreprise de Sainte-Anne-de-la-Rochelle, en Estrie, est présente sur le marché européen depuis une dizaine d'années. Brien exporte aussi aux États-Unis, en Asie et en Australie. La directrice générale Martyne Lessard reste prudente face à l'AECG, vu les nombreux retards que le traité a subis jusqu'ici. Quand il entrera finalement en vigueur, les droits de 10 à 20 % qui touchent les produits de l'érable transformés disparaîtront graduellement. Le beurre d'érable pourra ainsi se battre plus équitablement avec des produits européens comme les pâtes à tartiner au chocolat ou aux noix.

AXSUB

Cette entreprise de Rimouski fondée par trois étudiants en 2011 a rapidement fait sa place dans le créneau des systèmes d'enregistrement vidéo sous-marins et d'indication de profondeur utilisés par les scaphandriers. Le Royaume-Uni et la Belgique comptent parmi ses marchés les plus importants. En Europe, les droits de douane applicables aux produits d'Axsub oscillent entre 10 et 20 %. « L'élimination de ces droits pourrait nous permettre de baisser nos prix, ce qui nous rendrait plus concurrentiels », indique le PDG de l'entreprise, Éric Gaudreau. « C'est rafraîchissant, surtout si les États-Unis deviennent plus protectionnistes au cours des prochaines années. »

WATERAXPlus que centenaire, cette entreprise de l'arrondissement de Saint-Laurent est un important fabricant de pompes portatives utilisées dans la lutte contre les incendies. Elle exporte notamment en Italie, en France et en Suède, où elle fait face à des droits de douane variant de 10 à 20 %. Marcello Iacovella, vice-président de Waterax, se réjouit de l'AECG, mais rappelle aux exportateurs de ne pas oublier le revers de la médaille. « Nous allons ouvrir nos frontières à des entreprises européennes très féroces qui ont l'habitude des marchés étrangers », dit-il. Waterax croit être en mesure de tenir le coup grâce à ses produits uniques.