Si certaines banques sont jugées trop grosses pour faire faillite, peut-être sont-elles aussi trop grosses pour rester privées et générer des profits pour le bien de leurs seuls actionnaires.

«La politique minimale qui découle de ce corollaire devrait être le refus de tout octroi de fonds publics qui ne s'accompagnerait pas d'une prise de possession au moins partielle sinon complète par l'État, sur une base permanente et avec un contrôle déterminant de leur gestion, des établissements au secours desquels il se porte», suggère audacieusement Louis Gill.

Dans son essai La crise financière et monétaire mondiale, l'ancien professeur de l'UQAM brosse une synthèse critique des grands bouleversements qui secouent encore l'économie mondiale.

Comme d'autres économistes avant lui, il s'attaque à l'hypertrophie de la sphère financière qui coïncide avec l'hégémonie de l'idéologie libérale depuis le début des années 80. Il pointe la transformation progressive des banques en conglomérats financiers qui les ont éloignées de plus en plus de leur métier de base: le prêt. Il met en lumière aussi l'émergence puis la prépondérance d'un système bancaire parallèle qui échappe à la réglementation et se nourrit de la spéculation.

Il s'en distingue nettement cependant par la construction et le style pédagogique de son ouvrage, à la fois concis et dense. Gill prend soin d'expliquer ce que sont les pseudo-innovations financières qui ont décuplé le crédit. Il en explique ensuite le fonctionnement jusqu'à leur dysfonctionnement avec la titrisation des prêts hypothécaires subprimes aux États-Unis.

Il dresse ainsi une chronologie minutieuse des faits saillants de la crise financière et des initiatives prises par les banquiers centraux et les gouvernements pour la colmater, sans oublier l'apport initial des économies émergentes pour prêter secours aux banques défaillantes. «Pour compenser leurs lourdes pertes et reconstituer leur capitalisation, les géants de la finance que sont UBS, Citigroup, Merrill Lynch et Morgan Stanley ont dû recourir à la bouée de sauvetage de dizaines de milliards de dollars apportés par des fonds souverains de pays émergents comme la Chine, la Corée du Sud, Singapour, le Koweït et Abou Dhabi», rappelle-t-il.

Ça n'aura pas suffi. Les contribuables américains et de beaucoup de pays européens ont dû participer à des sauvetages tandis que les gouvernements ont dû rouvrir les vannes pour réparer les pots cassés de l'économie réelle par la spéculation qui n'a pas été contenue pour autant.

L'auteur s'attarde à expliquer la mécanique du crédit en établissant la distinction entre la monnaie centrale, émise par la banque centrale, et la monnaie bancaire qui donne naissance au crédit. «La première est une monnaie d'État, directement échangeable avec les marchandises et équivalente universelle des valeurs, note-t-il. La deuxième est une monnaie privée au sens où chaque prêt effectué l'est par un établissement particulier, dans le cadre d'une relation privée entre lui et l'emprunteur.»

L'auteur enchaîne en expliquant comment se mesure la solvabilité d'une banque, en quoi consiste la réforme préconisée par les Accords de Bâle III de 2010 devant être approuvés au prochain sommet du G20 à Cannes, début novembre.

L'essayiste juge cette réforme trop timide parce qu'elle ne s'attaque pas assez au secteur bancaire parallèle où se développe l'hypertrophie financière.

Il rappelle ainsi que les services financiers ont accaparé 40% des profits aux États-Unis en 2007 alors qu'ils représentent à peine 14% du PIB des États-Unis et emploient seulement 5% des travailleurs américains.

La valeur estimée des transactions de gré à gré réalisées par le système parallèle équivalait en 2008 à 684 000 milliards de dollars, soit 11 fois le produit mondial brut.

Maîtriser l'hypertrophie financière suppose une réforme monétaire mondiale. Gill se distingue de plusieurs auteurs qui rêvent du «bancor», imaginée par John Maynard Keynes. Cette monnaie universelle mettrait fin une fois pour toutes à la spéculation sur le marché des changes et aux grands déséquilibres commerciaux qui sévissent aujourd'hui, en taxant les surplus.

Les États-Unis ont choisi plutôt d'imposer le dollar et de créer le Fonds monétaire international, en 1944 à Bretton Woods.

Gill ne croit pas au bancor. «Tout comme l'idée de taxer les surplus était inacceptable pour les États-Unis en 1944 alors que les leurs étaient abondants, autant serait-elle rejetée aujourd'hui par la Chine pour les mêmes raisons.»

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Louis Gill. La crise financière et monétaire mondiale. Endettement, spéculation, austérité. M éditeur. Mont-Royal. 141 pages.