Le canadien Research in Motion, père du téléphone BlackBerry, a sorti la tête de l'eau jeudi après une panne historique de son service de messagerie, mais ses problèmes sont loin d'être terminés et les analystes sont partagés sur ses perspectives d'avenir.

Au lendemain de la perturbation qui a affecté des dizaines de millions d'usagers du BlackBerry dans le monde, deux questions clés se posaient: comment allaient réagir les entreprises clientes - socle dur sur lequel RIM a bâti son succès - et comment se passera l'introduction du nouveau système opérationnel QNX, attendue en janvier prochain.

Un expert montréalais, Alain Chung, de la société de conseil en investissement Claret, est plutôt optimiste sur le premier point. Pour lui, le système BlackBerry reste de loin, pour les entreprises, «le plus robuste» sur le marché et le plus global aussi, étant opérationnel dans les pays émergents dont les infrastructures ne sont pas aussi modernes que dans le monde industrialisé.

Les autres opérateurs, dit-il, ont aussi des pannes, mais ils ne le font même pas savoir. «Quand vous avez 10% des clients de RIM, vous réglez votre problème sans en parler», dit-il. Les clients individuels ne s'en rendent pas compte, mais un homme d'affaires reçoit sur son BlackBerry jusqu'à 350 courriels par jour, poursuit-il, et «un iPhone (d'Apple) ne peut en recevoir 350» avec la même efficacité.

La panne «va coûter un peu d'argent à RIM, mais à terme je ne prévois pas d'impact significatif» sur la clientèle d'entreprise, affirme M. Chung.

Mais d'autres spécialistes sont plus prudents. Pour Ian Lee, professeur adjoint à la Sprott School of Business de l'université Carleton d'Ottawa, les pannes qui viennent de frapper RIM «sont la pire chose qui pouvait lui arriver dans le monde des affaires, car les hommes d'affaires veulent la fiabilité (...) à 99,9% avec un système de secours qui se branche s'il y a un problème».

«Donc je pense que cette affaire les touche douloureusement sur un marché qui est le plus sensible pour eux, celui des entreprises et des affaires», dit M. Lee.

Opinion partagée, à peu de choses près, par Troy Crandall, analyste spécialiste de RIM au cabinet-conseil montréalais MacDougall, MacDougall et MacTier.

«Je pense que nombre de directeurs techniques sont en train de réévaluer les systèmes de communication» de leurs entreprises, observe-t-il.

Circonstance aggravante, la panne s'ajoute à une série noire qui touche RIM depuis le début de l'année avec pour conséquence la chute vertigineuse de son titre, passé de près de 70 dollars fin février à 23 dollars en Bourse.

Sur le marché du consommateur individuel, BlackBerry a perdu du terrain face à l'iPhone d'Apple et Android de Google. Pire, sa tablette PlayBook, concurrente d'iPad d'Apple, est arrivée dans un marché dominé sinon saturé par ce dernier, au design beaucoup plus attirant.

Par ailleurs, l'introduction du nouveau système opérationnel QNX - qui équipe la tablette, mais pas encore le téléphone multifonctions -, d'abord annoncée en mars, puis en septembre, a été finalement repoussée à janvier 2012.

Du coup, les ventes s'en sont fortement ressenties. «Les gens attendent la cette nouvelle technologie pour acheter les smartphones», relève M. Chung.

Et des actionnaires ont commencé à se rebeller, emmenés par la banque Jaguar Financial Corporation, qui appelle à la vente de la société ou au moins à un renouvellement de sa direction, assurée depuis le début par ses deux fondateurs, Jim Balsillie et Mike Lazaridis.

M. Lee voit une logique dans ce raisonnement. «Ils ont un sérieux problème de leadership: leur part de marché se rétrécit, leur chiffre d'affaires tombe, leurs profits aussi et ils n'arrivent pas à réaliser leurs objectifs», énumère-t-il.