Les déboires du Dossier santé Québec (DSQ) font couler beaucoup d'encre. Ce projet, lancé en 2006, vise à attribuer à chaque citoyen québécois un résumé de santé informatisé d'ici la fin de cette année et devait coûter 563 millions de dollars originalement. À ce jour, 320 millions de dollars ont été dépensés, l'échéance a été repoussée de cinq ans et les résultats tangibles se font toujours attendre.

Année après année, l'histoire se répète: le vérificateur général du Québec exprime des inquiétudes et le principal porteur du projet quitte ses fonctions au sein du ministère de la Santé. Pourquoi en est-il ainsi?

Le déploiement d'un système d'information clinique à l'échelle provinciale ou nationale est un défi de taille qui a été réussi dans peu de sociétés jusqu'à maintenant. Si l'on regarde ce qui se fait ailleurs dans le monde, deux stratégies prévalent en matière de gouvernance. L'approche par le haut est utilisée par le système national de santé du Royaume-Uni dans la mise sur pied de son programme national pour les technologies de l'information (NPfIT).

Le gouvernement britannique est le seul maître d'oeuvre de ce projet visant à informatiser son système de santé publique. Le NPfIT devait initialement coûter 12 milliards de dollars US mais en 2006, le vérificateur général du Royaume-Uni estimait devoir doubler ces prévisions.

En gros, certains systèmes sont déployés dans le réseau national de la santé, mais plusieurs composantes critiques du programme accusent un retard de quatre ans alors que d'autres ne parviennent tout simplement pas à être implantées.

À l'opposé, l'approche par le bas est privilégiée aux États-Unis pour la conception de l'infrastructure nationale gérant l'information clinique. Dans ce système de santé fragmenté et très décentralisé, ce sont les prestataires de services qui ont formé des coalitions régionales pour relier les systèmes existants et ainsi créer des systèmes cliniques régionaux qui pourront ultimement s'agréger en un système clinique national.

Les deux approches mènent au même résultat, c'est-à-dire que les informations cliniques des patients sont accessibles dans toute la région par tous les professionnels autorisés. Une différence notable toutefois: un dossier britannique est centralisé alors qu'un dossier américain est reconstitué de façon virtuelle à partir de données dispersées à plusieurs endroits.

Chaque approche a ses inconvénients: lourdeur et inertie dans l'approche par le haut, multiplication des incompatibilités dans l'approche par le bas. Une troisième voie existe pourtant: l'approche centrifuge.

Cette voie consiste à créer un ensemble de buts communs, tant sur le plan organisationnel que technique, à imposer les différentes normes qui permettront de les atteindre et à laisser les organismes locaux créer leurs systèmes moyennant un soutien technique et financier. Cette approche est utilisée entre autres en Australie où une autorité de transition a été mise sur pied afin de définir les normes d'interopérabilité.

Ce sont les établissements de santé et les prestataires de soins au niveau local (périphérie) qui sont responsables de s'assurer que les systèmes d'information qu'ils acquièrent se conforment aux normes établies (par le centre).

Inforoute Santé

Au Canada, une autorité semblable a été mise sur pied en 2006: l'unité collaborative de normalisation, une branche d'Inforoute Santé Canada. Cette entité ne va cependant pas aussi loin que son équivalent australien, qui fournit également des plans où sont synthétisées les fonctionnalités attendues des systèmes d'information.

La création de buts communs n'est cependant pas chose facile. Elle requiert des consensus, des compromis, voire des tractations politiques. Le défi ultime est de trouver le juste équilibre entre n'offrir ni guide ni normes ou vouloir imposer la structure complète du système.

En effet, un système d'information clinique permet d'accumuler les informations concernant la trajectoire du patient dans le réseau, mais aussi de structurer et de séquencer les tâches des travailleurs. Cela est vrai tant des systèmes actuels «papier» avec leurs formulaires pré-imprimés que des systèmes informatisés, mais à des degrés différents.

Alors que les médecins se servent volontiers de formulaires particuliers pour guider et consigner leurs anamnèses, ils voient d'un très mauvais oeil d'être contraints à un ordre de saisie précis avec des menus déroulants définis pour chacune de leurs interventions. L'idéal serait d'imposer un minimum de normes afin d'éviter que les efforts de développement soient tous azimuts. Sans normes d'interopérabilité, canadiennes ou québécoises, les initiatives locales courent le risque de ne pas pouvoir s'intégrer les unes aux autres. Elles risquent en fait de ne jamais voir le jour de peur de ne pas être compatibles avec un éventuel DSQ et ce sont les citoyens du Québec qui en souffrent.