La Ville de Laval s’est entendue ce printemps avec la famille Borsellino, 25 ans après les « fraudes » et « manœuvres dolosives » qu’elle lui reprochait dans le cadre de transactions immobilières. La poursuite reprenait presque point par point une enquête de La Presse publiée en 2010.

Les journalistes André Noël et Francis Vailles ont raconté comment la Ville avait vendu des terrains à l’entreprise des Borsellino à un prix anormalement bas. Selon Laval, l’administration de l’ancien maire corrompu Gilles Vaillancourt s’était départie d’un de ces lots pour deux fois moins cher que son évaluation municipale.

En 2022, la Ville a déposé une poursuite visant notamment la succession de Giuseppe Borsellino, ancien président du groupe immobilier Petra, et l’entreprise Placements Borsa. L’homme d’affaires est mort en 2021 ; la société appartient aujourd’hui à sa femme Elina Saputo et à leurs filles, qui étaient mises en cause dans la procédure. La famille figure parmi les plus importants propriétaires immobiliers au Québec et détient des participations dans de nombreux gratte-ciel au centre-ville de Montréal.

Le terrain concerné par la poursuite, boulevard Saint-Elzéar à l’ouest de Daniel-Johnson, valait plus de 1 million. En 2000, Laval l’a toutefois vendu à Placements Borsa pour 522 188 $, selon les calculs de la municipalité.

« Une fois les infrastructures développées, ces lots résidentiels ont été revendus par Borsa à des entrepreneurs en construction, indique la poursuite. Ville de Laval calcule que Borsa a revendu ces lots pour la somme totale d’environ 7,5 millions. »

La municipalité réclamait 759 412 $. Le montant inclut non seulement la différence entre la valeur réelle du terrain et le prix que la famille a payé, mais aussi une somme en guise de dommages pour le préjudice subi.

La cause a été réglée à l’amiable en mars. Selon nos informations, une transaction de plusieurs centaines de milliers de dollars a eu lieu, à la satisfaction des parties.

La Ville de Laval ne donne aucune précision sur le montant payé, dans le cadre d’un « règlement qui est confidentiel », dit Jonathan Lévesque, porte-parole.

« Nous sommes fiers du travail d’enquête extensif qui a été réalisé dans ce dossier, permettant la mise en lumière de faits survenus il y a plusieurs années », ajoute-t-il.

« Soumissions de complaisance »

Laval affirme que Borsa a recouru à des hommes d’affaires liés à la famille Borsellino et au parti PRO des Lavallois pour déposer des soumissions de complaisance pour les terrains. Après la publication d’un appel d’offres dans un petit journal local qui en était à sa dernière publication en 1999, les sociétés Gestion Belvédère et Terra Monde avaient toutes les deux proposé le même prix, à 0,30 $ le pied carré.

Terra Monde appartient à Tony Miceli, homme d’affaires proche de la famille Borsellino, selon la poursuite. Quant à Gestion Belvédère, elle était détenue par une partenaire d’affaires de l’avocat Alfred Chevalier, organisateur politique du parti PRO des Lavallois de Gilles Vaillancourt et « ami personnel de Borsellino ».

La société des Borsellino, Placements Borsa, avait fait la meilleure offre : 0,48 $ le pied carré.

Or, il valait au moins le double, et une évaluation marchande indépendante suggérait même un prix de 1,25 $ le pied carré, selon la Ville.

Le rôle de l’ex-DG

Laval reprend aussi les informations que La Presse a publiées en 2010 sur son ancien directeur général Claude Asselin dans ce « système » de collusion. Dans le cadre d’un échange avec les Borsellino, il aurait lui-même acquis au rabais un terrain de la famille au terme des transactions, selon la poursuite.

« Le montant payé par Asselin, soit 132 445 $ taxes incluses, est plusieurs dizaines de milliers de dollars inférieur à la valeur marchande du terrain », avance la Ville.

L’ex-directeur général de la Ville Claude Asselin n’a pas répondu aux questions de La Presse. « Je ne me souviens pas de ça », a-t-il prétendu, avant de raccrocher.

En 2017, Asselin a plaidé coupable à des accusations de complot en vue de commettre des actes de corruption dans les affaires municipales, d’abus de confiance et de fraude. Il a purgé quatre mois d’une peine de prison de deux ans moins un jour.

Stratagème semblable à Montréal

Laval souligne que la commission Charbonneau sur la corruption dans la construction s’est penchée sur un stratagème semblable utilisé par les Borsellino pour « manipuler » un appel d’offres de la Ville de Montréal.

Selon le rapport final de la commission, le Groupe Petra a pu acheter un terrain de la municipalité – le site Marc-Aurèle Fortin – même si d’autres promoteurs avaient offert davantage.

La propriété était située dans l’arrondissement de Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles, dont Pierre Santamaria était directeur général. Or, ses enfants ont pu acheter deux lots vacants de Petra avec des rabais de plusieurs dizaines de milliers de dollars, selon l’évaluation de la Ville de Laval.

L’Unité permanente anticorruption s’est aussi intéressée à l’affaire dans le cadre du projet Contour, avant d’abandonner son enquête en 2019.

Dans un entretien téléphonique avec Le Journal de Montréal à l’époque, Giuseppe Borsellino avait maintenu qu’il avait présenté la meilleure offre correspondant aux critères de la municipalité. « Une soumission, c’est valable quand vous respectez ce que la Ville vous demande de faire », dit-il.

Le rapport final de la commission Charbonneau explique comment un avis juridique recommandait d’écarter une proposition 50 % plus haute « parce qu’elle prévoyait une densité d’habitation plus élevée que ce qui était prévu à l’appel d’offres ».

Le Groupe Petra, propriété de la famille Borsellino-Saputo, n’a pas répondu aux questions de La Presse.

Avec la collaboration de Francis Vailles, La Presse

En savoir plus
  • 60 millions
    Somme d’argent que la Ville de Laval estime avoir récupérée auprès de personnes et d’entreprises ayant participé au système de corruption dont elle a été victime
    Source : Ville de Laval