Des économies de bouts de chandelle et une industrie des effets visuels fragilisée : c’est le résultat des changements fiscaux annoncés par Québec dans son dernier budget, selon les studios Rodeo FX, Hybride et Framestore.

Ces trois chefs de file de l’industrie québécoise – qui représentent près du quart de l’effectif dans le secteur – ont décidé de faire front commun pour demander au gouvernement Legault de retarder, jusqu’en 2025, l’entrée en vigueur de certains changements au crédit d’impôt pour services de production cinématographique (CSPC).

« Nous voudrions donner le temps à l’industrie de comprendre les impacts et proposer une solution qui répond aux objectifs du gouvernement, que nous respectons, mais qui ne détruira pas notre industrie », résume Chloé Grysole, directrice générale des activités canadiennes de Framestore, en entrevue avec La Presse.

PHOTO FOURNIE PAR CHLOÉ GRYSOLE

Chloé Grysole, directrice générale des activités canadiennes de Framestore

Cette multinationale londonienne avait annoncé son implantation à Montréal en 2013 avec la création de 200 emplois. Son effectif est maintenant d’environ 800 salariés, selon Mme Grysole. Framestore Montréal a déjà remporté deux Oscars pour les meilleurs effets visuels, pour Gravity (2013) et Blade Runner 2049 (2017).

L’industrie tarde à se relever des grèves des scénaristes et des acteurs ayant paralysé Hollywood l’an dernier, ce qui a fait diminuer la demande. Quelque 3400 des 8000 emplois dans l’industrie québécoise se sont envolés en raison de mises à pied et de contrats n’ayant pas été renouvelés en raison des débrayages.

La reprise se fait attendre et le couperet a continué à tomber au Québec. Aux côtés de studios comme Technicolor Creative Studios et Productions Double Negative, Rodeo FX avait licencié 85 personnes à Montréal le mois dernier.

Rodeo FX, Hybride et Framestore ont retenu les services de la firme AppEco pour évaluer les conséquences des changements au CSPC sur leurs activités, leurs fournisseurs ainsi que leurs travailleurs. Ils disent avoir l’intention d’effectuer des interventions publiques pour braquer les projecteurs sur le dossier.

Selon le document, chaque dollar économisé par l’État se traduirait par une perte de 6,08 $ pour le « reste de l’économie ». Au sein des trois studios, quelque 420 postes seraient à risque. Leur effectif combiné pourrait fléchir à environ 1280 emplois – un recul de 32,5 %.

Un tour de vis

Dans son budget déposé en mars dernier, le gouvernement Legault avait donné un avant-goût du ménage à l’aide aux entreprises qu’il prépare en réduisant la générosité des crédits d’impôt dont bénéficient plusieurs entreprises informatiques et de jeux vidéo.

Dans l’ensemble, le CSPC a été bonifié, mais certains ajustements frappent de plein fouet l’industrie québécoise des effets visuels, avance l’étude. Le document montre du doigt le taux effectif total de l’aide fiscale – qui comprend le soutien fédéral – qui est passé de 42,7 % à 32,8 % dans le plus récent budget du ministre des Finances, Eric Girard. Selon les estimations gouvernementales, ce taux effectif demeure néanmoins légèrement supérieur à ce qui est offert par l’Ontario (32,5 %).

De plus, un maximum de 65 % de la valeur d’un contrat pour des effets visuels est considéré comme une dépense admissible ; il n’y avait pas de plafond auparavant. L’étude d’environ 35 pages calcule qu’une variation d’un point de pourcentage du taux effectif du crédit d’impôt entraînera une réduction de 4 % des volumes de production au sein des trois studios. Le même effet est à prévoir à l’échelle de l’industrie.

« Le changement est soudain et l’industrie n’a pas été consultée », dit Mme Grysole.

Contexte

L’étude d’AppEco se penche sur les effets directs des changements fiscaux annoncés par Québec sur les affaires des trois studios québécois. Les salariés qui risquent de perdre leur emploi dans ces trois entreprises pourraient retrouver du boulot chez d’autres employeurs et donc continuer à participer au marché du travail.

AppEco ne s’avance pas sur ce scénario.

La Commission d’examen sur la fiscalité québécoise, qui était présidée par le fiscaliste Luc Godbout, a déjà fait état des défis des études qui se penchent sur les crédits d’impôt.

« Une difficulté importante rencontrée lors de la réalisation d’études de retombées économiques d’un crédit d’impôt est de déterminer les emplois créés ou les investissements réalisés en présence du crédit et en son absence », faisait-elle valoir, dans l’un de ses rapports.

Étant donné qu’il y a une « grande mobilité des ressources créatives » dans le secteur des effets visuels, AppEco estime que le risque de délocalisation devient « plus réel » depuis le dépôt du dernier budget. La capacité de production des studios ne dépend pas en effet d’« actifs installés » dans la province, comme des immeubles et de la machinerie.

En savoir plus
  • 1998
    Création du crédit d’impôt pour services de production
    Source : gouvernement du Québec