(Gifhorn, Allemagne) Quand Emrullah Karaca a commencé à travailler chez Continental, à l’usine de freins de Gifhorn, en Allemagne, il pensait que ce serait juste un emploi temporaire après ses études secondaires. Il y est depuis plus de 20 ans, où il a appris sur le tas.

Mais M. Karaca, 49 ans et père de trois enfants, a appris que Continental allait fermer l’usine d’ici 2027. Aux prises avec une difficile recherche d’emploi, il va retourner à l’école et améliorer ses qualifications professionnelles. C’est Continental, aidée par l’État, qui paie.

Se requalifier est incontournable en Allemagne, où, malgré un manque criant de travailleurs qualifiés, l’expérience compte moins que diplômes et certifications. « Je n’en ai jamais eu besoin jusqu’à présent, parce que j’ai toujours travaillé ici », dit M. Karaca.

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Une partie de l’usine Continental de Gifhorn sera reprise par le fabricant de thermopompes Stiebel Eltron, qui reprendra aussi le tiers des 800 employés mis à pied par Continental, après leur requalification.

La formation offerte à M. Karaca et à 80 de ses collègues est l’initiative de Continental et vise à doter les employés des compétences nécessaires aux nouveaux emplois, soit chez Continental, soit dans des entreprises voisines.

L’industrie allemande doit réduire ses émissions de CO2 et cette adaptation bouleverse aussi la main-d’œuvre. En 2021, Continental a rejoint 70 autres entreprises – dont Bayer, DHL, Infineon et Siemens – dans l’Allianz der Chancen (Alliance de l’occasion), un programme visant à conserver les 2,7 millions de personnes qu’elles emploient.

L’Allemagne a tardé à automatiser sa production industrielle. Son secteur de la fabrication met les bouchées doubles, ce qui implique la suppression de milliers d’emplois dans le secteur automobile et l’ingénierie, alors même que 700 000 emplois qualifiés restent à pourvoir dans divers secteurs.

« Voilà l’essence de notre dilemme : d’une part, des suppressions d’emplois accompagnant des ajustements de main-d’œuvre difficiles et, d’autre part, une pénurie d’employés qualifiés », résume Jutta Rump, directrice de l’Institut pour l’emploi et l’employabilité à Ludwigshafen.

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Emrullah Karaca examine des boîtiers à soupapes hydrauliques à l’usine Continental de Gifhorn, dont la production sera délocalisée en Croatie. Une centaine de ses collègues seront embauchés par un fabricant de thermopompes et une centaine, par un fabricant d’obus.

À Gifhorn, Continental produit des conduites de freins hydrauliques et des boîtiers à soupapes. Devant la baisse de la demande et la hausse des coûts énergétiques, il est devenu évident que l’usine ne serait bientôt plus viable.

« On savait qu’il nous faudrait bien moins d’employés », explique Ariane Reinhart, membre du conseil de direction et responsable des ressources humaines chez Continental.

Karaca et ses 800 collègues se sont retrouvés devant le vide : « On pensait tous être ici jusqu’à la retraite. »

Tradition de responsabilité sociale

L’industrie allemande a une tradition de responsabilité sociale et les patrons de Continental connaissaient l’importance de l’usine dans cette petite ville de 41 000 habitants où elle est le troisième employeur.

« Il y avait deux options : le faire à l’ancienne – ce qui implique beaucoup de grèves, de fracas, d’affrontements avec les syndicats et de négociation avec les politiciens. Ou trouver une nouvelle façon de faire », relate M. Reinhart, qui a contribué à la création du centre de formation de Continental en 2019.

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Des ouvriers en formation à l’usine Continental de Gifhorn. Environ 330 métiers exigent un diplôme d’études professionnelles, sans lequel on a peu d’avenir, quelles que soient les compétences acquises sur le tas.

L’Allemagne est fière de sa formation professionnelle, une filière combinant enseignement en classe et stages en entreprise. Environ 330 métiers exigent un diplôme d’études professionnelles, sans lequel on a peu d’avenir, quelles que soient les compétences acquises sur le tas.

« Sans certificat, on arrive rarement à l’entrevue », explique Sven Mewes, qui travaille aux ressources humaines chez Continental et conseille les employés en reconversion sur les formations qui leur conviennent.

Les formations offertes par les entreprises de l’Allianz ont l’appui de Berlin et des gouvernements régionaux, qui souhaitent maintenir autant de travailleurs que possible au travail : malgré de nombreuses réductions budgétaires l’an dernier, le gouvernement allemand a trouvé 3 milliards d’euros (4,4 milliards de dollars canadiens) pour des subventions aux entreprises offrant de la formation professionnelle aux employés qui risquent de perdre leur emploi.

En plus de requalifier des employés de Gifhorn pour ses propres besoins, Continental a contacté d’autres entreprises de la région où des postes sont vacants et en proposant de former ses employés mis à pied à de nouvelles compétences.

Stiebel Eltron, un fabricant de thermopompes en pleine expansion qui cherche des centaines de travailleurs, a sauté sur l’occasion. En vertu d’une entente avec Continental en 2023, Stiebel Eltron investit 65 millions d’euros pour reprendre certaines parties de l’usine existante et embauchera plus d’un tiers des employés de Gifhorn. Le Land (plus ou moins l’équivalent d’une province) de Basse-Saxe ajoute 5 millions d’euros, dans des conditions que les deux entreprises n’ont pas divulguées.

« Nous donnons à 300 personnes une perspective et un avenir », a déclaré M. Reinhart.

Cet article a été publié dans le New York Times.

Reconvertis dans la production d’obus

La semaine dernière, Continental a annoncé que le fabricant d’armes Rheinmetall – en expansion accélérée pour produire plus d’obus à la suite de l’agression russe en Ukraine – s’est engagé à reprendre jusqu’à 100 travailleurs de l’usine de Gifhorn dans une usine à moins d’une heure de route. Continental va garder et relocaliser environ 400 employés. Avec la centaine d’employés qui seront repris par le fabricant de thermopompes Stiebel Eltron et la centaine qui seront repris par Rheinmetall, presque la moitié des 400 travailleurs de l’usine de Gifhorn qui seront mis à pied en 2027 ont un emploi qui les attend.

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