Laissez votre carte de crédit dans votre portefeuille… et payez moins cher. Excédé par les frais exigés par les Visa et Mastercard de ce monde sur chaque transaction, le propriétaire de la brasserie Saint-Bock à Montréal offre désormais un rabais de 2 % aux consommateurs qui règlent la note avec une carte de débit ou en argent comptant.

Martin Guimond n’a toutefois pas l’intention de bannir les cartes de crédit, puisqu’il s’agit de l’option choisie par 86 % de sa clientèle. Mais en lançant mercredi le mouvement « Au resto sans ma carte de crédit », celui qui sert à la fois bières, burgers ou plats de porc effiloché veut sensibiliser ses clients.

Chaque fois que ceux-ci scannent leur carte de crédit sur le terminal, il doit payer des frais d’interchange variant entre 1,4 % et 5 %. Son objectif : que la proportion des additions réglées avec Visa et Mastercard passe de 86 % à 60 %. « Au mois de janvier, j’avais des pertes de 117 000 $, j’ai donné 8000 $ en frais à Visa et Mastercard », révèle-t-il.

Sur une addition s’élevant à 100 $, qui augmente environ à 132,22 $ avec taxes et pourboire, le propriétaire d’un établissement paie en moyenne 5,30 $ en frais d’interchange si le consommateur règle l’addition avec sa carte de crédit, donne en exemple M. Guimond (voir exemple).

Le propriétaire de la brasserie de la rue Saint-Denis n’est évidemment pas le seul à vivre cette situation. À Saint-Jean-sur-Richelieu, au restaurant Matinée, François Roy voit le nombre de transactions effectuées par carte de crédit augmenter d’année en année. Les consommateurs ont conservé des habitudes adoptées pendant la pandémie, où on a tenté de limiter les échanges en argent comptant.

« Malheureusement, nous sommes totalement à la merci des cartes de crédit, affirme sans détour M. Roy. Avec l’augmentation des prix suit l’augmentation des frais de cartes de crédit. C’est devenu l’une de mes principales dépenses, car de plus en plus de clients les utilisent, on parle de plus de 75 % des transactions dans mon restaurant et ça augmente d’année en année. Les clients sont rendus accros aux bonidollars et autres primes que leur offrent les cartes de crédit. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Martin Guimond, propriétaire de la brasserie Saint-Bock

« Je sais que nous sommes tous dépendants de nos points, dit également M. Guimond. On veut recevoir 25 $ dans trois mois ou ramasser assez de points pour s’acheter un aspirateur, illustre-t-il. C’est une façon de garder les clients prisonniers des cartes de crédit. Et les gens ont moins d’argent, ils paient par carte, ça devient une habitude.

« Si vous payez votre facture maintenant ou dans un mois, c’est le même 100 $. Sauf que si vous le faites maintenant [en payant avec une carte de débit], ça nous en laisse beaucoup plus dans nos poches pour payer nos employés, l’électricité et tous les autres frais. »

Par comparaison, chaque transaction effectuée avec une carte de débit coûte environ de 8 à 10 cents.

Un rabais symbolique

M. Guimond reconnaît malgré tout que la réduction de 2 % qu’il offre peut paraître « symbolique ». « C’est sûr que ce n’est pas grand-chose, 2 $ sur une facture de 100 $, mais c’est quand même 2 $ que le client obtient maintenant. Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras. Je dis aux clients : je vous demande un effort, ne pas payer par carte de crédit, en retour je vous donne un petit bénéfice, l’équivalent de ce que vous auriez reçu en payant avec une carte de crédit. »

L’initiative a été saluée par François Roy, du restaurant Matinée, qui trouve excellente « l’idée de vouloir faire bouger les choses ». Il ne se dit toutefois pas prêt à suivre les traces de Martin Guimond.

L’Association Restauration Québec (ARQ) et la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) applaudissent également le mouvement lancé par le propriétaire du Saint-Bock. Tous les restaurateurs ne peuvent adopter cette idée de promotion du Saint-Bock, croit toutefois Martin Vézina, vice-président aux affaires publiques et gouvernementales de l’ARQ, faisant notamment référence aux tables gastronomiques.

« C’est une bonne initiative d’éduquer sa clientèle, souligne pour sa part Jasmin Guénette, vice-président aux affaires nationales de la FCEI. On encourage les propriétaires à le faire pour que la clientèle comprenne les frais élevés qui s’appliquent quand on paie avec une carte de crédit, que les programmes de fidélité qui sont mis en place par Visa, Mastercard et les banques sont en fait payés par les commerçants. »

Réductions en vue

Par ailleurs, au printemps 2023, au moment du dépôt de son budget, le gouvernement fédéral avait annoncé la conclusion d’une entente avec Visa et Mastercard pour réduire les frais de cartes de crédit. Celle-ci entrera en vigueur cette année, à l’automne. Elle s’appliquera aux entreprises dont le seuil de transactions ne dépasse pas 300 000 $ de ventes annuelles avec Visa et 150 000 $ avec Mastercard. Les taux d’interchange passeront ainsi sous la barre de 1 %. « Près des trois quarts de nos membres [75 000] pourront bénéficier de ces réductions-là », souligne M. Guénette.

« Ce n’est pas une entente parfaite, dit-il ajoutant dans la foulée que l’entente devrait également inclure American Express, dont les frais de transactions, sont très élevés. On voudrait aussi que les seuils de vente soient rehaussés. »

D’ici là, Martin Guimond souhaite que d’autres restaurateurs lui emboîtent le pas. « Comment pouvez-vous nous aider ? Payez par débit », lance-t-il.

Le propriétaire du Saint-Bock veut tester la réceptivité des gens au cours des trois prochains mois. S’il constate que le nombre de transactions payées par carte de crédit ne diminue pas, il laissera tomber le rabais. « On ne veut pas achaler les gens avec ça. »

Est-ce légal ?

Un commerçant ou un restaurateur a-t-il le droit d’inciter ses clients à payer avec leur carte de débit, moyennant un rabais ? Rien dans la Loi sur la protection du consommateur ne l’interdit, assure Sylvie De Bellefeuille, avocate et directrice des services juridiques à Option consommateurs. « Ce n’est pas un problème. Ce qui serait illégal serait de faire le contraire et de charger un montant supplémentaire à ceux qui utilisent leur carte de crédit. » Depuis 2022, à la suite du règlement de l’action collective intentée en 2001 contre Visa et Mastercard, les commerçants peuvent désormais facturer des frais supplémentaires aux clients qui utilisent des cartes privilèges partout au pays. Seul le Québec ne permet pas cette pratique en vertu d’une disposition de la Loi sur la protection du consommateur empêchant le commerçant de surfacturer.

Appel à tous

Que pensez-vous de la proposition du propriétaire du Saint-Bock, Martin Guimond ? Sachant que les achats par carte de crédit coûtent plus cher aux restaurateurs que ceux payés comptant ou par carte de débit, seriez-vous porté à changer de mode de paiement ? Qu’est-ce qui serait susceptible de modifier vos comportements transactionnels ?

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