Le prix du cacao sur les marchés internationaux a dépassé son plus haut sommet – qui datait de près de 50 ans. Dans l’immédiat, le prix des chocolats ne devrait pas suivre la même courbe. Une excellente nouvelle, à quelques jours de la Saint-Valentin. Explications.

La faute au climat

Depuis le début de 2023, le prix du cacao a doublé sur les marchés de Londres et de New York pour monter vers des sommets jamais atteints.

En 1977, il se négociait historiquement à 5379 $ US la tonne. La semaine dernière, il a dépassé 5900 $. La montée semble se poursuivre.

Cette hausse du prix s’explique par de mauvaises récoltes en Côte d’Ivoire et au Ghana, principaux pays producteurs qui fournissent désormais autour de 60 % du cacao mondial.

Très mauvaise nouvelle à l’approche de la Saint-Valentin, dites-vous ?

Pas nécessairement.

Déjà, il faut faire une distinction. Il y a ce cacao de masse, qui transige par la Bourse et qui est acheté par quelques grands industriels qui le redistribuent, partout. Des entreprises qui font du chocolat, de toutes tailles, sont des clients de ces Cacao Barry ou Valrhona, par exemple. Plusieurs autres confiseurs, souvent des plus petits chocolatiers, s’alimentent via un autre réseau.

Des délais

Le prix de la boîte de cœurs en chocolat Lindor que vous vous apprêtez à acheter à la pharmacie ne sera pas affecté par cette hausse vertigineuse avant un petit bout.

Même chose pour les produits d’entreprises québécoises qui travaillent avec ce chocolat pour en faire des cœurs à la Saint-Valentin ou des lapins à Pâques.

La chocolatière Mathilde Fays, d’Oka, travaille avec ce type de chocolat pour une partie de sa production, pour les moulages notamment. Ses produits sont vendus dans 200 commerces du Québec et son entreprise, après une folle expansion durant la pandémie, est en phase de stabilisation.

« C’est sûr que la hausse nous impacte depuis les dernières années », dit-elle, mais heureusement, les montées observées en Bourse ne se reflètent pas immédiatement dans le prix du chocolat qu’elle achète comme matière première.

Ce qui lui laisse le temps de s’ajuster : car la hausse des prix du chocolat couplé avec le contexte économique actuel lui a imposé une gymnastique comptable, durant la dernière année. Elle a dû gagner en efficacité de production et réduire le poids de certains produits, pour qu’ils demeurent accessibles pour sa clientèle.

Achats directs

D’autres chocolatiers travaillent directement avec les producteurs de cacao.

« C’est certain que notre modèle d’affaires est complètement différent de celui des multinationales du chocolat », indique dès le départ Maud Gaudreau, fondatrice d’État de choc, qui fabrique et vend du chocolat dont on peut suivre la trace de la plantation jusqu’à la tablette – ce qu’on appelle dans le jargon chocolatier le bean to bar.

Cette entrepreneure adepte des principes « de la fève à la tablette » explique que le prix du cacao des petites plantations a également monté, mais sans comparaison aux hausses du cacao coté en Bourse.

Même discours chez Qantu, petit transformateur de cacao montréalais.

« On travaille directement avec les coopératives depuis le début, il y a sept ans. On paye un prix beaucoup plus élevé que celui de la Bourse, explique Maxime Simard, cofondateur de Qantu. Les producteurs nous le disent, ça fait une différence pour eux. »

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« On négocie ce prix-là directement avec eux », ajoute Maxime Simard qui précise qu’il paye ensuite le transport-ce qui n’est le cas lorsque l’on achète d’un intermédiaire.

Pour un cacao de spécialité, les chocolatiers québécois payent facilement le double, sinon le triple des prix affichés à la Bourse.

Un contexte difficile

Mathilde Fays n’est pas la seule à faire des calculs pour gérer cette hausse du prix du cacao, au moment où ses clients déboursent davantage pour leur épicerie de base.

Le chocolatier Yves Bonneau s’est résigné à monter légèrement les prix de ses bonbons, parce qu’en confiserie, le coût de la plupart des matières premières est en augmentation, dont celui du sucre.

« Depuis trois-quatre ans, ça augmente beaucoup, tous les ans, dit-il. C’est difficile pour nous parce qu’on doit rogner sur nos marges dans la mesure où on ne veut pas et on ne peut pas augmenter autant que le cacao va augmenter. Nos clients ne nous suivraient plus. »

Le chocolatier montréalais travaille à la fois avec du cacao de spécialité qu’il achète directement du Pérou, puisqu’il fait son propre chocolat, et avec un produit déjà transformé, vendu par un grand distributeur.

« Le client comprend, dit-il. Il sait qu’on est en pleine inflation. Il sait qu’il y a eu beaucoup d’augmentation sur beaucoup de choses. On le voit bien partout. Les gens sont assez compatissants. »

La Saint-Valentin s’annonce très bonne pour la Chocolaterie Bonneau : il s’agit de la plus importante période de ventes, après Noël et Pâques.

Selon Maxime Simard, de Qantu, les gens vont réduire des dépenses plus significatives et cela va leur permettre de s’acheter une tablette de cru à 12 $, pour le plaisir. « Le chocolat reste un luxe abordable », dit-il.

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Qantu produit plus de 100 000 tablettes annuellement, en plus de faire du chocolat pour pâtissiers, pour une dizaine de tonnes de cacao traité dans son usine.

Un système à repenser

Les plus optimistes croient que la flambée actuelle du cours du cacao pourrait servir les fermiers-producteurs qui se trouvent au début de la chaîne.

« Il y a un choc présentement dans l’industrie. Le chocolat est vendu à des prix ridicules et ça ne peut pas continuer comme ça, car ça implique que les producteurs le donnent. On est encore dans l’héritage colonial », lance Dany Marquis, directeur général de Chaleur B Chocolat et Bassan Chocolat, qui importe et transforme la fève de cacao, en Gaspésie.

« On fait toute la chaîne, précise-t-il, de l’importation jusqu’à la transformation finale. »

Bassan distribue du chocolat pour les chefs et les chocolatiers qui, malgré la hausse du prix des ingrédients, préfèrent toujours utiliser ce chocolat de grande qualité. Mathilde Fays est une cliente.

L’entreprise importe directement de producteurs de la République dominicaine, du Belize et de la Tanzanie, notamment. Nombre d’entre eux ont aussi dû composer avec des dérèglements climatiques ces derniers mois, ce qui a affecté les rendements, indique Dany Marquis. Et les prix.

« La hausse, c’est une bonne chose, parce que ça force les multinationales à s’approvisionner avec du chocolat un peu plus cher. »

Maxime Simard, de Qantu, note que le prix de la Bourse est autour de 2 $/kg en moyenne depuis presque 50 ans. « Il serait normal, dit-il, d’avoir une augmentation, car le prix a un terrible retard sur la valeur qu’il devrait avoir en réalité. »