Les travaux du nouveau centre de distribution sur pause en raison de la présence possible de restes humains

La présence possible de sépultures anonymes d’enfants orphelins et autochtones dans un ancien cimetière situé sur une portion des terrains actuels de la SAQ pourrait affecter et allonger la durée des travaux de 300 millions de dollars prévus pour l’agrandissement du centre de distribution. Ceux-ci sont suspendus depuis le début du mois de janvier.

Ce qu’il faut savoir

La SAQ a interrompu les travaux d’agrandissement et de modernisation de son centre de distribution à la demande de groupes représentant les Orphelins de Duplessis et les Mères mohawks.

Ceux-ci soupçonnent la présence de sépultures d’enfants autochtones et non autochtones puisqu’une portion des terrains de la SAQ se situe sur un ancien cimetière.

Une rencontre devrait éventuellement avoir lieu entre la société d’État et les deux groupes afin d’établir un protocole.

À la demande du Comité des orphelins et orphelines institutionnalisés de Duplessis et de Kanien’keha : ka Kahnistensera, un groupe de militants autochtones communément appelé les « Mères mohawks », la SAQ n’a pas entrepris les travaux d’excavation qu’elle s’apprêtait à faire. Les activités sur le chantier ont été interrompues. C’est que les deux groupes signataires soupçonnent la présence de restes humains.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Le site, qu’on peut voir recouvert de neige sur cette photo, aurait déjà servi de cimetière informel et il existe une probabilité qu’on puisse y retrouver des sépultures anonymes d’enfants, nommément des orphelins de Duplessis, ainsi que des restes d’enfants autochtones.

Dans une lettre datée du 8 janvier, ils ont fait part de leurs inquiétudes à la société d’État en lui demandant de suspendre les travaux, le temps de mettre en place « les précautions de base ». Le Centre de distribution et le siège social de la SAQ se trouvent dans l’est de la ville, à proximité du pont-tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine. Le coût du projet d’agrandissement du centre et son automatisation – dont la fin des travaux est prévue pour 2027 – est évalué à environ 300 millions de dollars. Cette modernisation – comprenant un nouveau bâtiment de 192 000 pi⁠2 – permettra à la SAQ d’augmenter son offre en ligne pour atteindre 20 000 produits, de hausser la vitesse d’exécution dans l’entrepôt et d’offrir la livraison en 24 heures, ce qui n’est pas le cas actuellement. Les délais varient entre trois et cinq jours ouvrables.

« Comme vous le savez peut-être déjà, le site des entrepôts de la SAQ sur la rue des Futailles est un ancien cimetière ayant appartenu aux Sœurs de la Providence », peut-on lire dans la missive que La Presse a pu consulter. « Le site a notamment servi de cimetière informel pour des corps non réclamés de patients décédés à l’Hôpital Saint-Jean-de-Dieu. En plus d’inclure des sépultures anonymes d’enfants, nommément des Orphelins de Duplessis, il existe de fortes probabilités que des enfants autochtones aient également été enterrés sur les lieux. »

Étant donné la forte probabilité de la présence de sépultures anonymes d’enfants autochtones et non autochtones sur les lieux, nous voudrions établir un protocole archéologique et médico-légal avec vous afin d’assurer la protection d’éventuels restes humains avant la tenue de travaux d’excavation.

Extrait de la missive du Comité des orphelins et orphelines institutionnalisés de Duplessis et des Mères mohawks

Les représentants des orphelins de Duplessis et les Mères mohawks ont sollicité une rencontre avec les dirigeants de la société d’État. La SAQ souhaite également prendre le temps de discuter avec les deux groupes de la suite des choses, nous a-t-on confirmé. Pour le moment, toutefois, aucune date de réunion n’a été fixée.

« Des mesures d’exhumation officielle ont […] été entreprises sur ce terrain à la fin des années 1960, avant que celui-ci soit la propriété de la SAQ », a rappelé la société d’État, dans une déclaration officielle envoyée à La Presse par courriel.

« Dès la réception de [la] lettre [des orphelins de Duplessis et des Mères mohawks], nous avons pris la décision de ne pas entreprendre les travaux d’excavation relatifs à l’agrandissement projeté, le temps d’établir un plan d’action. »

Selon les règles de l’art

Les signataires n’ont été avisés de l’interruption des travaux qu’en fin de journée vendredi, quelques heures après que La Presse a questionné la SAQ sur le dossier, selon l’anthropologue Philippe Blouin, qui travaille étroitement avec les Mères mohawks et qui agit à titre d’interprète francophone. Il juge important de faire les choses selon les règles de l’art.

« C’était anciennement enregistré comme un cimetière », souligne au bout du fil M. Blouin, également chargé de cours et candidat au doctorat en anthropologie à l’Université McGill. « Officieusement, c’était appelé le cimetière de la soue à cochons. C’est une histoire assez terrible où des corps non réclamés, notamment d’enfants qui étaient à Saint-Jean-de-Dieu, ont été enterrés là. Une bonne partie des corps a été exhumée et transportée au Cimetière Saint-François-d’Assise. Mais ça n’a pas été fait avec tous les corps et donc par accident, dans les projets d’expansion [de la SAQ] en 1999, on a trouvé des ossements. »

« En tant que représentants et représentantes des communautés des orphelins de Duplessis et des communautés mohawks, nous ne souhaitons pas que de telles découvertes accidentelles se reproduisent », peut-on lire dans la lettre.

À l’époque, et encore aujourd’hui, la SAQ affirme pour sa part qu’en 1999, il s’agissait plutôt de « restes d’animaux ».

Dans le cas du centre de distribution, le président du comité représentant les orphelins de Duplessis, Hervé Bertrand, est convaincu de la présence d’ossements humains. Si la SAQ ne veut pas coopérer, il n’hésitera pas à aller en cour, a-t-il affirmé à La Presse.

Un Royal Victoria, prise 2 ?

Le dossier de la SAQ n’est pas le seul qui intéresse le groupe autochtone, dont le rôle dans la loi mohawk est de veiller à la préservation du territoire traditionnel. Les Mères mohawks se sont rendues en Cour supérieure afin de forcer l’arrêt des travaux prévus à l’hôpital Royal Victoria permettant à l’Université McGill d’agrandir son campus. Le groupe craint que les travaux d’excavation détruisent de possibles sépultures autochtones et des tombes clandestines. La Cour supérieure a forcé en octobre l’Université McGill et la Société québécoise des infrastructures (SQI) à réintégrer le panel d’archéologues experts pour effectuer des fouilles en bonne et due forme. Or, il y a quelques semaines, la SQI et l’université ont porté le jugement en appel. Celui-ci sera entendu le 11 juin.