Malgré une hausse de 30 % du prix du café en deux ans, les consommateurs n’ont laissé tomber ni leur tasse du matin à la maison ni celle qu’ils boivent au café du coin. Mais les rituels changent.

À l’épicerie, les buveurs de café cherchent les aubaines plus que jamais, dévoilent des sondages. Pourtant, les petits cafés qui offrent des produits de spécialité ne manquent pas de clients. Comment expliquer ce paradoxe ?

« Il y a deux types de café : le café utilitaire, que l’on prend pour la caféine, et celui que l’on s’offre et qu’on prend le temps de choisir. » Nicole Schetter travaille indéniablement avec la seconde catégorie.

Son petit commerce montréalais, Nueva Era, combine café et papeterie. Selon elle, peu de gens ont renoncé à ce café plaisir, malgré un budget plus serré. Même qu’une partie de sa clientèle a fait des recherches au préalable pour choisir la meilleure option, selon ses principes de consommation – tant qu’à payer pour un café de qualité.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Nicole Schetter croit que les cafés de spécialité sont dans une classe à part et que les gens aiment bien s’offrir encore le produit et la pause qui l’accompagne.

À Lévis, au jeune Tambour Café, on fait le même constat : les gens qui « investissent » dans un café pour ses qualités organoleptiques prennent le temps de l’apprécier. Et prennent leur temps sur place !

« On n’est pas dans un produit de commodité ici », précise l’un des deux propriétaires, William Barry.

Lors de notre passage, un vendredi après-midi gris de janvier, il y avait deux clients dans le petit établissement du Vieux-Lévis : un poète et un jeune entrepreneur qui travaillait sur son projet d’affaires. L’atmosphère était détendue, propice à la dégustation. Personne n’était pressé.

À l’épicerie, la situation est complètement différente : pratiquement la moitié des achats de café sont des produits en promotion et les marques maison sont plus recherchées, selon des données Nielsen présentées au congrès de l’Association du café du Canada, l’automne dernier.

Est-ce que l’on dépense moins pour le café à la maison pour continuer de s’offrir la pause-café à l’extérieur ?

Il est possible que ce soit le cas pour une partie des consommateurs, croit Cheryl Hung, vice-présidente à la recherche chez Dig Insights, une firme de Toronto qui a aussi observé nos habitudes avec le café.

Selon elle, cela montre aussi qu’il y a plusieurs types de buveurs de café.

Avec l’inflation, certains vont effectivement faire des compromis sur la qualité pour une partie de leur consommation, plus utilitaire ; d’autres vont réduire leur fréquentation des petits établissements. D’autres encore ont investi dans de l’équipement pour reproduire à la maison la boisson qu’ils boivent au café du coin.

Ça nous montre que les gens vont continuer de boire leur café et qu’ils vont trouver le moyen de se gâter avec cette tasse de meilleure qualité, que ce soit à la maison ou à l’extérieur. Le café de spécialité n’est pas près de disparaître.

Cheryl Hung, vice-présidente à la recherche chez Dig Insights

Pour le moment, les consommateurs de macchiato et autres lattés estiment que payer une tasse 5 $ ou 8 $ ne fait pas de différence appréciable dans le budget familial, dit Cheryl Hung, et que les bienfaits sont supérieurs au prix payé.

D’après cette observatrice de l’industrie, il faudra néanmoins voir combien de temps encore l’inflation demeurera élevée. Certains fidèles perdront peut-être la foi si leur budget continue d’être compressé.

Café de semaine, café du samedi

D’autant que si l’inflation alimentaire touche les consommateurs, la hausse du prix des matières premières frappe fort les torréfacteurs.

« On s’est demandé si on pouvait frapper les consommateurs avec une augmentation de 30 %. Je ne pense pas », réfléchit à voix haute Maxence Vassart, directeur des opérations pour le torréfacteur montréalais Zab.

La valeur des grains et son augmentation ont varié selon les origines. Globalement, durant la dernière année, Maxence Vassart évalue que le prix de ses matières premières a augmenté de 16 %. Depuis 2021, le prix des grains verts a bondi d’environ 33 %, calcule-t-il.

Pour les consommateurs, la hausse du prix des sacs de grains Zab une fois torréfiés a été d’environ 17 %, alors que le prix des cafés au lait dans les établissements partenaires de Zab, les cafés Paquebot, a plutôt subi une hausse de 3,4 %.

Ce qui a inévitablement mené à une restructuration des coûts d’exploitation pour conserver un niveau de rentabilité comparable. Car si les partenaires commerciaux de Zab observent une petite diminution des ventes de café – la tasse et le sac –, la situation n’est pas catastrophique.

Maxence Vassart croit que les années pandémiques ont laissé des traces positives dans cette petite industrie. Alors que les gens étaient confinés et ne pouvaient pas faire grand-chose, ils ont pris l’habitude de faire une marche pour se rendre au café du quartier avec un ami et déguster un petit cortado. Plusieurs ont développé des goûts et conservent les habitudes qu’ils ont prises alors. « C’est une forme de confort dont on ne se passe pas », dit-il. Et oui, selon lui, certains vont préférer acheter des produits plus bas de gamme la semaine pour garder la marche vers le barista le week-end.

PHOTO MARTN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Selon Maxence Vassart, directeur des opérations de Zab, plusieurs cafés accueillent un grand nombre de travailleurs qui font une partie de leur journée sur place et consomment quelques cafés.

Chez Nueva Era, Nicole Schetter s’attend à un petit ralentissement de début d’année, normal. Mais la barista ne manquera pas de boulot, car les ateliers de préparation d’espresso sont plus populaires que jamais – ce qui serait aussi une conséquence de la pandémie, durant laquelle beaucoup de consommateurs se sont initiés à l’art du latté ou ont à tout le moins décidé de se faire de bons cafés à la maison.

Quitte à en faire un peu moins souvent puisque Nicole Schetter, comme les autres commerçants consultés, a noté une légère baisse de la vente de ses cafés en grains.

Le Tambour Café vend aussi des sacs de grains, en ligne et sur place. Son copropriétaire observe également un intérêt grandissant de sa clientèle qui veut reproduire l’expérience à la maison, malgré le prix de ces produits de spécialité. William Barry croit que s’il y a diminution actuellement des ventes de sacs, elle n’est que passagère. « Le café, les gens en ont besoin, dit le jeune entrepreneur. Donc oui, ils vont couper d’autres gâteries avant de couper leur café. »

Cheryl Hung, de la firme de recherche Dig Insight, va dans le même sens.

« Lorsque l’on fait des recherches auprès des consommateurs, on s’intéresse aux fonctions du café », dit-elle. On oublie parfois la dimension émotive liée à l’acte même de prendre son café, particulièrement en cette ère post-COVID-19 où nous avons été isolés. « On peut choisir le café comme moment pour établir un lien avec quelqu’un », dit Cheryl Hung. Ou pour prendre du temps avec soi-même.

Selon une étude de Dig Insights, une importante part (41 %) des buveurs de café aiment préparer leur café à la maison. Et pour une personne sur cinq, le café est synonyme de pause, même à la maison, révèle cette même enquête.

En savoir plus
  • 30 %
    Le prix du café est à la hausse : entre juin 2021 et août 2023, il a bondi de 30 % pour celui qui est vendu en sac, au détail.
    Source : Statistique Canada
    591
    Au mois de juin 2023, il y avait 591 entreprises de fabrication de thé et de café au pays, contre 550 six mois plus tôt.
    Source : Statistique Canada