Les nouvelles règles fédérales devraient favoriser indirectement les concessionaires d’ici

Les consommateurs auront l’embarras du choix pour magasiner un véhicule électrique ou hybride rechargeable. Avec une norme « véhicules zéro émission (VZE) » plus contraignante déjà en vigueur, le marché québécois devrait continuer d’être priorisé par les géants de l’automobile, malgré l’annonce récente d’un plan fédéral qui entrera en vigueur dans deux ans.

« Ce n’est pas une révolution, souligne Ian Sam Yue Chi, président-directeur général de la Corporation des concessionnaires automobiles du Québec (CCAQ). Les constructeurs allouent leurs véhicules aux marchés où on les vend plus rapidement. Il y a un potentiel que les concessionnaires du Québec aient davantage de véhicules électriques et hybrides rechargeables dans les prochaines années. »

À la veille des Fêtes, le gouvernement Trudeau a annoncé, le 19 décembre dernier, que 20 % des nouveaux véhicules vendus au pays en 2026 devront être considérés comme des VZE. Cette exigence augmentera progressivement pour atteindre 100 % des unités en 2035. Après les neuf premiers mois de 2023, ces catégories de véhicules représentaient environ 10 % des nouvelles immatriculations au pays, selon Statistique Canada.

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Dans le marché québécois, c’est 32,5 % des véhicules vendus en 2026 qui devront être alimentés à l’électricité.

Ce règlement fonctionnera avec un système de crédits accumulés selon le type de modèle vendu par les constructeurs pour s’assurer qu’ils respectent les quotas annuels. Il ne s’agit pas d’une mesure extrêmement contraignante, puisque des constructeurs n’ayant pas récolté suffisamment de crédits peuvent en acheter auprès de concurrents ayant accumulé des surplus.

Tout cela fait déjà partie de la réalité au Québec et en Colombie-Britannique, où des normes provinciales sont déjà en vigueur – et plus sévères – avec le système des crédits. Dans le marché québécois, c’est 32,5 % des véhicules vendus en 2026 qui devront être alimentés à l’électricité. Les constructeurs automobiles ont tout intérêt à prioriser ces deux marchés, estime Daniel Breton, président et chef de la direction de Mobilité électrique Canada.

« Un même véhicule va compter pour un crédit provincial et un crédit fédéral, dit cet ex-ministre de l’Environnement au sein du gouvernement péquiste de Pauline Marois. Les provinces qui n’auront pas leur propre cadre vont être désavantagées. C’est sûr qu’il faudra finir par livrer plus de véhicules VZE dans d’autres provinces, mais d’ici là, il y aura un avantage pour le Québec et la Colombie-Britannique. »

Un véhicule zéro émission, qu’est-ce que c’est ?

Selon Environnement et Changement climatique Canada, il s’agit des véhicules électriques, des modèles alimentés par une pile combustible à l’hydrogène et des hybrides rechargeables pouvant rouler « exclusivement » à l’électricité sur une distance donnée. Pour cette dernière catégorie, plus l’autonomie en mode « tout électrique » est grande, plus le constructeur automobile obtient de crédits.

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Le Québec est dans le peloton de tête, derrière la Colombie-Britannique, des marchés canadiens où il se vend le plus de véhicules VZE.

Déjà en tête

Le Québec est dans le peloton de tête, derrière la Colombie-Britannique, des marchés canadiens où il se vend le plus de véhicules VZE. Selon Statistique Canada, ces véhicules représentaient 17,5 % des nouvelles immatriculations dans le marché québécois après trois trimestres en 2023. Cette année, la cible provinciale est de 19,5 % des nouveaux véhicules vendus.

On pourrait penser qu’une norme fédérale qui impose des quotas pourrait mettre de la pression sur l’offre de modèles électriques et hybrides rechargeables. À court et moyen terme, ce scénario est peu probable, d’après les experts consultés par La Presse, surtout en ce qui a trait aux voitures électriques. Premièrement, il s’écoulera encore deux années avant l’entrée en vigueur du cadre fédéral. L’effet d’un resserrement prend du temps à se matérialiser. Un document du ministère québécois de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs diffusé en juillet dernier révélait qu’il faudrait patienter jusqu’en 2027 avant de voir les effets du resserrement de sa norme. Le scénario de Québec anticipe 75 000 véhicules électriques supplémentaires sur les routes grâce à son cadre plus sévère.

De plus, les délais qui s’étiraient souvent au-delà d’un an observés ces dernières années deviennent l’exception plutôt que la règle, affirme Ian Sam Yue Chi, qui représente plus de 890 membres au Québec.

« Les normes VZE mettent de la pression sur les constructeurs pour qu’ils approvisionnent le marché, ajoute Simon-Pierre Riou, porte-parole de l’Association des véhicules électriques du Québec. C’est contraignant pour eux. Ils doivent prendre les moyens pour que les stocks augmentent. »

À cela s’ajoutent les investissements annoncés par des géants de l’automobile – comme General Motors, Ford, Hyundai, Toyota, Tesla et compagnie – pour assembler des véhicules électriques en Amérique du Nord, rappelle Daniel Breton.

« La liste de modèles électriques va continuer de s’allonger », ajoute-t-il.

Luc Soucy, président et fondateur des concessionnaires Terrebonne Ford et West Island Ford Lincoln, souligne que l’on retrouve environ 150 modèles électriques chez son concessionnaire situé dans la couronne nord. Les versions admissibles aux rabais de Québec et d’Ottawa ont particulièrement la cote auprès de la clientèle.

Si les subventions ne couvrent pas davantage de modèles, les gouvernements vont avoir de la difficulté à atteindre leurs objectifs. On a des véhicules en stock chez nous, mais ceux qui veulent acheter le Mach-E admissible à toutes les subventions, là, il peut y avoir de l’attente.

Luc Soucy, président et fondateur des concessionnaires Terrebonne Ford et West Island Ford Lincoln

D’après Environnement et Changement climatique Canada, on retrouvait « plus de 50 modèles VZE » au pays l’an dernier. Plus de 40 modèles supplémentaires sont attendus en 2024.

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Quelques entreprises donnent accès à des bornes de recharge pour leurs employés.

Plus que les règles

Tout ce virage comporte cependant quelques angles morts, selon la CCAQ. Les gouvernements ne doivent pas se contenter d’imposer des exigences réglementaires. À terme, les aides financières pour l’achat de ces véhicules doivent rester en place. On doit aussi s’assurer que le réseau de bornes de recharge continue à accroître son empreinte géographique, souligne le président-directeur de la Corporation.

On doit se pencher sur la formation du personnel technique responsable de réparer et d’entretenir ces véhicules de plus en plus complexes, dit Ian Sam Yue Chi.

« Un nombre grandissant de concessionnaires doivent aussi mettre à jour leurs installations, ajoute-t-il. Il y a des exigences à respecter. Les coûts sont astronomiques. Le gouvernement devra se pencher là-dessus dans un avenir rapproché. »

M. Soucy affirme que la facture oscillait aux alentours de 1,5 million chez son concessionnaire de Terrebonne pour se « mettre aux normes du manufacturier ».

« Ford exige trois superbornes par concessionnaire, dit-il. Il y a ce que le constructeur exige et ce que ton marché demande. On a vendu 300 véhicules électriques l’an dernier à Terrebonne. C’est entre 25 % et 30 % de nos ventes. Il faut aussi moderniser les installations à l’intérieur de la bâtisse. C’est majeur comme investissement. »

M. Breton partage les préoccupations de la CCAQ sur l’aspect de la formation, notamment à l’extérieur des grands centres urbains. Le dirigeant de Mobilité électrique Canada rappelle cependant que cet enjeu va au-delà des véhicules VZE. Il y a également des défis à relever du côté des véhicules à essence, qui se complexifient, puisqu’ils sont équipés d’ordinateurs de bord de plus en plus sophistiqués.

En savoir plus
  • 10 %
    Environ une nouvelle immatriculation sur dix au pays pendant les neuf premiers mois de 2023 concernait un VZE.
    Source : Statistique Canada