« C’est une catastrophe ! », lance sans détour la restauratrice Francine Brûlé à propos du nombre grandissant de réservations non honorées dans ses établissements. Pour contrer le phénomène, près de la moitié des propriétaires d’entreprises (46 %) demandent un changement dans la loi leur permettant d’imposer des frais si un client annule moins de 24 heures à l’avance ou s’il ne daigne tout simplement pas se présenter.

Et près de 77 % des gens qui travaillent en restauration souhaiteraient avoir les coudées franches pour demander un dépôt au moment de la réservation afin d’inciter les clients à ne pas leur poser de lapin. C’est du moins ce qui ressort d’un rapport publié ce mardi par la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI). Celle-ci voulait prendre le pouls des entrepreneurs de la Belle Province afin de savoir s’ils souhaitaient une « modernisation » de la Loi sur la protection du consommateur.

Appelée communément « no-show », cette tendance à laisser sa table vide lorsqu’on a réservé ou encore à ne pas se présenter à une séance de yoga à laquelle on s’était inscrit n’a rien de nouveau. Mais comme elle ne tend pas à se résorber, elle préoccupe nombre d’entrepreneurs, notamment en restauration, qui demandent des changements dans la loi québécoise.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Francine Brûlé, restauratrice

« Ça forcerait les gens à être plus respectueux », affirme Mme Brûlé. À la tête des Enfants terribles, qui comptent six établissements, elle ajoute faire face à des « no-shows » toutes les fins de semaine.

« Au cours des dernières années, le “no-show” a connu une intensification préoccupante : il représente environ de 18 à 20 % des réservations dans les restaurants. Cette problématique engendre des pertes financières considérables pour les propriétaires d’établissements, qui se retrouvent démunis face à ce phénomène », indique le rapport de la FCEI. Résultat : les trois quarts des restaurateurs souhaitent pouvoir exiger un dépôt quand un client veut retenir une table.

Que dit la loi ?

Depuis plusieurs mois, l’Association Restauration Québec (ARQ) multiplie les démarches auprès de l’Office de la protection du consommateur afin que ses membres puissent imposer une « pénalité » d’environ 20 $ aux clients qui brillent par leur absence.

Pour le moment, la Loi sur la protection du consommateur ne permet pas cette pratique. « Est interdite la stipulation qui impose au consommateur, dans le cas de l’inexécution de son obligation, le paiement de frais, de pénalités ou de dommages, dont le montant ou le pourcentage est fixé à l’avance dans le contrat, autre que l’intérêt couru », indique-t-elle.

Ce qui est interdit, c’est de fixer à l’avance (par écrit ou verbalement) un montant qui serait dû si le client n’honore pas le contrat. L’un des principes de droit à la base de l’article 13 est que nul n’est censé se faire justice lui-même ; qu’on ne peut pas arbitrairement fixer soi-même le montant d’un dommage éventuel.

Charles Tanguay, porte-parole de l’Office de la protection du consommateur

Il confirme par ailleurs que le fait de demander un dépôt n’est pas un geste illégal, sauf si le restaurateur garde la somme dans le cas où le client lui poserait un lapin. Actuellement, dans certains cas, si le consommateur brille par son absence, des propriétaires lui redonnent son dépôt sous forme de certificat à dépenser dans l’établissement. Il s’agirait toutefois d’une « stipulation interdite », selon l’Office de la protection du consommateur.

Par contre, selon un avis juridique obtenu par l’ARQ, les restaurateurs qui font signer un contrat à un client dans lequel il est inscrit que ce dernier gardera le dépôt si celui-ci n’honore pas la réservation peuvent avoir recours à cette pratique en toute légalité, soutient pour sa part le vice-président aux affaires publiques et gouvernementales, Martin Vézina. Or, les propriétaires de restaurants le font surtout dans le cas de groupes. Rares sont les consommateurs qui vont signer pareil document pour un souper de deux ou quatre personnes. Ainsi, M. Vézina reconnaît qu’il y a une « complexité » dans l’application de la réglementation.

Chose certaine, les clients qui n’honorent pas leur réservation coûtent cher aux restaurateurs. Le fléau entraîne en moyenne des pertes annuelles de près de 50 000 $ pour les établissements qui y sont confrontés, révélait une enquête publiée en mars 2023 par l’ARQ.

Les cartes de crédit

Par ailleurs, seuls au pays à ne pouvoir imposer davantage de frais d’interchange aux clients qui paient avec leur carte de crédit, près de 68 % des propriétaires de PME québécoises souhaitent que la loi les autorise à le faire. « C’est incompréhensible que seul le Québec n’offre pas aux commerçants la possibilité de facturer les frais d’interchange », soutient François Vincent, vice-président pour le Québec à la FCEI.

« À l’issue du règlement du recours collectif mené contre des cartes de crédit, Visa et Mastercard autorisent désormais tous les commerçants du Canada (sauf ceux du Québec) à transférer leurs frais de transaction par carte de crédit à leurs clients », peut-on lire dans le rapport de la FCEI.

Les commerçants doivent débourser entre 1,5 % et 4 % du montant total de la facture (avec les taxes) chaque fois qu’un consommateur règle une transaction avec sa carte.