Pour la première fois depuis des années, Nadia* a devant elle un confortable coussin.

La situation

« Je me demande quoi faire avec l’argent dans mon compte d’épargne, dit-elle : le placer dans mon REER [régime enregistré d’épargne-retraite], dans un CELI [compte d’épargne libre d’impôt] ? Aussi, je me demande s’il est envisageable pour moi de m’acheter un condo à Montréal ou s’il serait plus avantageux pour moi de rester dans mon logement. »

La Montréalaise de 47 ans vit à plein temps avec sa fille de 10 ans. Elle touche un salaire de 95 000 $, assorti d’un régime de retraite à prestations déterminées.

« Je commence à être capable de remettre de l’argent de côté après un divorce où j’ai dû faire une proposition de consommateur, à la fin du processus, parce que ça m’avait coûté trop cher en frais d’avocat », explique-t-elle.

Déposée en 2016, la proposition de consommateur a été soldée à l’automne 2021. Depuis lors, elle a accumulé 6500 $ dans son REER et 26 500 $ dans son compte d’épargne. Environ 1650 $ par mois, dirions-nous, soit quelque 19 800 $ par année.

« Ce n’est pas mauvais ! apprécie-t-elle. Je me sens comme Séraphin avec un bas de laine en dessous de son matelas ! »

Elle est locataire d’un logement de six pièces au rez-de-chaussée, dont le loyer a été augmenté à 1390 $ par mois en juillet. « J’ai aussi le sous-sol, la cour, le stationnement. Je n’ai pas tant d’incitations à partir. Je suis très bien, mais je me dis : est-ce qu’il ne serait pas préférable d’acheter un condo, éventuellement pour ma retraite ? »

Elle travaille depuis 18 ans pour son employeur, et elle désire y rester « jusqu’à la fin des temps, probablement », dit-elle à la blague. « Je ne suis pas pressée de prendre ma retraite, et ce n’est pas l’enjeu. »

L’enjeu est plutôt de savoir si, à son âge et maintenant que les surplus budgétaires s’accumulent, il serait opportun d’acquérir un condo.

« Est-ce que ce ne serait pas mieux de placer cet argent-là ? Mais en même temps, j’ai un bon régime de retraite avec mon employeur. Est-ce que c’est vraiment nécessaire de le mettre dans mon REER ? »

Si elle optait pour un condo, elle pencherait pour un appartement avec deux chambres à coucher, pour sa fille et elle. Près d’un métro, « pour pouvoir faire [sa] vie à pied sans racheter une voiture ».

En somme, elle se demande « si prendre une hypothèque sur 25 ans, à l’âge [qu’elle a], vaut vraiment la peine ». « Ce que j’aimerais, c’est conserver le même rythme de vie. Je ne voudrais pas acheter un condo et qu’il ne me reste que 200 $ de jeu par mois. »

Mais en même temps, comment s’assurer « de mettre de la ouate pour [ses] vieux jours » ?

Les chiffres

Nadia, 47 ans

Salaire : 95 000 $

Régime de retraite à prestations déterminées

REER : 6500 $

Compte d’épargne : 26 500 $

Vit en appartement

Une voiture de 12 ans, payée

Aucune dette

La réponse

Les priorités de Nadia « ne semblent pas encore tout à fait définies », constate le planificateur financier Raphaël Hainault, conseiller en gestion de patrimoine dans l’Équipe Hainault-Harvey-Simard, attachée à FDP Gestion privée.

Pour dissiper la brume qui empêche Nadia d’y voir clair, il suggère de préciser sa situation actuelle, de la projeter dans le temps, et d’ainsi définir sa marge de manœuvre.

Sur la base de son revenu annuel, duquel il soustrait les impôts, une cotisation au régime de retraite et son épargne actuelle de 19 800 $, il estime son coût de vie à 40 250 $.

À 65 ans, elle devrait toucher une rente de retraite de 51 600 $, à laquelle s’ajouteront vraisemblablement 15 678 $ de la Régie des rentes du Québec (RRQ) et 8251 $ en pension de la Sécurité de la vieillesse (PSV) – tout cela en dollars d’aujourd’hui.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Raphaël Hainault, conseiller en gestion de patrimoine dans l’Équipe Hainault-Harvey-Simard, attachée à FDP Gestion privée

En somme, sans mettre encore ses épargnes à contribution, « près de 80 % de son salaire actuel sera comblé par les différentes rentes de retraite », constate le planificateur. En fait, ses épargnes continuent à croître indéfiniment pendant sa retraite – sans surprise, puisque ses dépenses seront inférieures à ses revenus nets.

Nadia souhaitait mettre de la ouate dans ses vieux jours ? Elle peut dormir tranquille, croit Raphaël Hainault.

« Ses rentes constituent un excellent sommier qui assure sa stabilité à long terme. Qui plus est, elle met suffisamment d’argent dans son matelas pour maintenir un bon confort à long terme. Voyons maintenant s’il est possible de se procurer un oreiller douillet et ainsi aspirer à de jolis rêves. »

Un scénario de base

Poussant la machine, il instaure des cotisations au REER de 4800 $ par année – les droits qu’elle accumule chaque année – et il porte ses dépenses annuelles à 57 000 $. Dans ces conditions, les épargnes ainsi accumulées s’épuisent « à l’âge vénérable de 95 ans ». En somme, elle dispose ici d’une marge de manœuvre supplémentaire de 17 000 $, par rapport aux 40 250 $ actuels.

Un condo ?

Cette marge de manœuvre permet-elle à Nadia d’envisager l’acquisition d’une propriété ?

Raphaël Hainault pose « l’hypothèse loin d’être farfelue » que les 1390 $ de son loyer mensuel équivaudront aux dépenses connexes d’une propriété : charges de copropriété, impôt foncier, entretien, assurances, etc.

Dans ces conditions, le paiement hypothécaire ne devra pas dépasser 17 000 $ par année (soit 1417 $ par mois) pour les 18 ans qui la séparent de sa retraite.

En supposant un taux d’intérêt de 5,25 %, des frais de notaire et d’inspection de 2000 $, les droits de mutation de 1 %, une mise de fonds de 33 000 $ et la prime d’assurance prêt conséquente de 2 %, le planificateur calcule « qu’elle pourrait acheter un condo d’une valeur d’environ 225 000 $ ».

Dans le marché montréalais actuel, il est peu probable qu’elle puisse trouver un condo selon ses goûts.

D’autres avenues

Notre planificateur propose d’autres avenues ensoleillées pour améliorer sa situation.

Si Nadia n’est pas encore prête à prendre sa décision, ou si elle veut se préparer pour une éventuelle fin de bail, elle pourrait faire des versements déductibles d’impôt de 8000 $ par année pendant cinq ans dans le nouveau régime CELIAPP (compte d’épargne libre d’impôt pour l’achat d’une première propriété). Elle y accumulerait un total de 40 000 $, sans compter le rendement et la réduction d’impôt annuelle de 2960 $.

Si elle renonce alors à une acquisition, la somme pourra être transférée dans son REER.

Sa marge de manœuvre budgétaire lui permet en outre de verser 9000 $ par année dans son REER, en profitant des droits de cotisation accumulés jusqu’à présent. Encore une fois, il s’ensuit une réduction d’impôt de 3300 $, pour des remboursements totaux de 6290 $ par année.

De ce nouvel afflux, 5000 $ pourraient être consacrés annuellement à un REEE au nom de sa fille. Dans sept ans, Nadia y aura versé 35 000 $, plus 10 500 $ en subventions fédérales et québécoises. Si le rendement annuel se maintient à 5 %, « elle aura accumulé 55 600 $ pour aider sa fille dans ses études », soit près de 60 % de bénéfices par rapport aux 35 000 $, souligne le planificateur.

Et sur les 6290 $ de remboursements, il lui reste encore 1290 $ par année, qu’elle pourra utiliser à loisir ou verser dans un CELI.

Ces mesures ajouteraient beaucoup de ouate à sa retraite – ou sa préretraite –, mais ne sont en rien une nécessité « si elle s’en tient au scénario de base », insiste Raphaël Hainault.

Nadia a le luxe du temps.

Elle est heureuse dans son six et demie au rez-de-chaussée avec cour arrière. Où est l’urgence d’acquérir un quatre et demie au troisième étage ?

* Bien que le cas mis en lumière dans cette rubrique soit réel, les prénoms utilisés sont fictifs.

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