Le gouvernement fédéral a les moyens d’intervenir pour éviter que la facture d’épicerie des consommateurs ne cesse de gonfler. C’est du moins ce que conclut le rapport du Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire, qui recommande notamment de taxer davantage les grandes chaînes d’épicerie dans le cas où il serait prouvé qu’elles engrangent des profits excessifs.

Ce qu’il faut savoir

  • En octobre 2022, le NPD a déposé une motion demandant au gouvernement de mettre en place une « stratégie alimentaire abordable et équitable qui s’attaque à la cupidité » des détaillants en alimentation.
  • Entre le 21 novembre 2022 et le 17 avril 2023, le Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire de la Chambre des communes a rencontré 58 témoins de l’industrie.
  • Le 13 juin, le Comité a déposé son rapport, dans lequel il fait 13 recommandations au gouvernement « portant sur les manières de lutter contre les facteurs et les impacts de l’inflation des produits alimentaires ».

Avoir accès à plus d’informations sur l’évolution des prix tout au long de la chaîne d’approvisionnement et mettre en place un code de conduite obligatoire et exécutoire pour encadrer les relations entre détaillants et fournisseurs, voilà d’autres recommandations émises par le Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire de la Chambre des communes, chargé de se pencher sur l’augmentation des prix en supermarché.

Avec la hausse importante de la facture d’épicerie, le Comité avait été mandaté, à la suite d’une motion déposée par le Nouveau Parti démocratique (NPD) l’automne dernier, pour entreprendre « une étude sur l’inflation dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire et l’augmentation du coût des produits d’épicerie, alors que les grandes chaînes font des profits ».

Le rapport du Comité, intitulé L’abordabilité de l’épicerie : un examen de l’augmentation du coût des aliments au Canada, a finalement été déposé en Chambre mardi.

« Ça frappe fort. Les gens se plaignent du coût de l’épicerie. Chaque semaine, ils doivent réduire leurs achats. Et le rapport démontre que le gouvernement peut jouer un plus grand rôle pour aider les familles, pour réduire le coût de l’épicerie », a affirmé le chef du NPD, Jagmeet Singh, au cours d’un entretien téléphonique avec La Presse.

Après avoir entendu les témoignages de 58 intervenants, dont les dirigeants des grandes chaînes comme Metro, Loblaw (Maxi, Provigo) et Sobeys (IGA), entre novembre 2022 et avril 2023, le Comité a présenté au gouvernement 13 recommandations « pour lutter contre les facteurs et les impacts de l’inflation des produits alimentaires ».

Parmi elles, les députés suggèrent notamment qu’Ottawa envisage, dans le cas où il serait prouvé que les grandes enseignes réaliseraient des profits excessifs, « l’instauration d’un impôt sur les bénéfices exceptionnels applicables aux grandes entreprises qui fixent les prix afin de dissuader les hausses excessives des marges bénéficiaires pour ces produits ». Lors de leur passage devant le comité, les patrons des grandes chaînes avaient tous affirmé qu’ils n’avaient pas profité de l’inflation pour gonfler les prix sur les tablettes.

« Les grandes entreprises font des profits records [alors qu’au même moment] les gens ont plus de misère que jamais à joindre les deux bouts et à payer l’épicerie », martèle le chef néo-démocrate. « Les entreprises ont le droit de faire des profits, mais ont-elles le droit de faire des profits records en même temps que les gens subissent l’inflation ? », demande-t-il.

Se disant « rassuré » par les conclusions du rapport qui reconnaît que le prix des aliments sur les étagères dépend de beaucoup de facteurs « en amont », le Conseil canadien du commerce de détail (CCCD) estime tout de même qu’il serait « délicat » que le gouvernement intervienne dans une industrie déjà complexe.

L’association, qui représente notamment les principales enseignes d’épicerie comme Metro, Sobeys, Loblaw, Costco et Walmart, ne cache pas sa réticence face à la recommandation du rapport proposant d’imposer davantage les grandes chaînes s’il est prouvé qu’elles engrangent des profits excessifs.

« Les faits montrent que le coût des aliments a augmenté dans une moindre mesure au Canada qu’ailleurs dans le monde. Si on veut modifier une situation qui n’est pas parfaite, mais moins pire que chez nos voisins, il faut se poser la question : est-ce que ça prend plus d’intervention ? demande Michel Rochette, président pour le Québec du CCCD. On va toujours être ouverts aux commentaires. Dans ce cas-ci, le problème, c’est quand le gouvernement interfère à travers les processus commerciaux dans lesquels il y a un paquet d’informations [à connaître] pour bien comprendre l’écosystème. À quel moment et de quelle façon le gouvernement pourrait s’y immiscer ? C’est toujours très délicat. »

En ce qui concerne une plus grande transparence sur l’évolution des prix tout au long de la chaîne d’approvisionnement – une autre recommandation du rapport –, M. Rochette met également un bémol. « Il y a des compétiteurs dans cet univers-là, rappelle-t-il. De demander [aux enseignes] de rendre accessible aux compétiteurs voisins l’ensemble de l’équation de toute leur chaîne d’approvisionnement, de négociation et de distribution, ça peut devenir un peu complexe. »

« Il y a une limite des fois à s’immiscer dans des processus commerciaux, ajoute-t-il. Il faut préserver la concurrence, le libre marché. Il faut faire attention avant d’encadrer au point que ça devient des fonctionnaires qui prennent des décisions sur des prix dans un écosystème qui est planétaire. »

Plus cher, le coût de production

Dans son rapport, le comité note aussi que ceux qui produisent nos aliments doivent composer avec de fortes hausses d’opération eux-mêmes, qu’il s’agisse du prix des céréales ou de celui du carburant. Même chose pour les transformateurs. Dans les deux cas, il faut aussi tenir compte de la rareté de la main-d’œuvre, qui ne facilite pas les opérations.

Des représentants de ces industries qui ont participé aux travaux du Comité l’ont bien noté : leurs dépenses ont augmenté plus que les prix des aliments dans leur version finale.

Bonne nouvelle, une des recommandations du rapport est de mieux aider les agriculteurs et l’industrie agroalimentaire à avoir des liquidités « suffisantes » en période inflationniste. « Les changements climatiques font en sorte que les risques sont de plus en plus importants. Les marges bénéficiaires diminuent et le risque augmente. Et il n’y a pas d’accès à du crédit à court terme », dit Patrice Léger Bourgoin, directeur général de l’Association des producteurs maraîchers du Québec, qui est très content des recommandations du rapport. Il souhaite qu’elles soient bien reçues d’Ottawa et rapidement mises en place.

Comme celle où il est question de faciliter l’emploi de travailleurs étrangers temporaires.

« Il commence à être temps que le gouvernement aboutisse, dit Patrice Léger Bourgoin. Ça fait longtemps qu’on en parle et ça n’est pas une mesure complexe en soi. »

De plus, ça ne coûtera pas un sou au Trésor, dit-il.

Chose certaine, « rien dans ce rapport n’indique qu’il y a eu de l’abus ou que l’on a profité de la vague inflationniste pour augmenter les prix », note Sylvain Charlebois, du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie, à propos du comportement des grandes chaînes canadiennes.

Selon lui, la priorité est donc de d’abord convaincre de nouveaux joueurs de se lancer dans le commerce en alimentation et de protéger les petits joueurs.

Bureau de la concurrence

Par ailleurs, en plus du dépôt de ce rapport, le Bureau de la concurrence du Canada se penche également sur le dossier. En octobre 2022, il a annoncé qu’il scruterait à la loupe la hausse des prix en supermarché et qu’il s’intéresserait à la concurrence entre les principaux détaillants. Les conclusions de l’étude devraient être publiées sous peu.

Les fameuses dates de péremption…

Les mentions de type « meilleur avant » sur une partie des aliments sont de plus en plus contestées, car elles peuvent contribuer au gaspillage alimentaire. Le comité recommande que le gouvernement se penche sur la question et examine la possibilité de les éliminer. Il demande aussi que l’on facilite le réacheminement des surplus alimentaires vers des organismes qui aident les Canadiens qui en ont besoin.

Moins d’aliments sains

La hausse du coût des aliments crée un stress dans une partie de la société qui peine à suivre cette inflation. Dans le cadre de ses travaux, le Comité a entendu plusieurs témoignages en ce sens et a retenu que les banques alimentaires du pays sont débordées et fréquentées par des gens qui ont des emplois, mais n’arrivent plus à acheter leurs paniers d’épicerie complets.

La directrice générale des Producteurs de fruits et légumes du Canada, Rebecca Lee, a indiqué que cette hausse conduisait à une diminution globale de la consommation de fruits et légumes, au pays.

Aide aux Premières Nations

Les Autochtones sont particulièrement touchés par l’insécurité alimentaire. Le chef Byron Louis, de la Bande indienne d’Okanagan, a indiqué aux membres du Comité que des changements de mode de vie affectaient grandement la souveraineté alimentaire dans les communautés. Il a été entendu : le Comité recommande qu’Ottawa fournisse « un financement supplémentaire aux initiatives gérées par les Autochtones des régions éloignées et du Nord, visant l’amélioration des infrastructures qui favorisent la sécurité alimentaire de leurs communautés ».

Presque la moitié (47,1 %) des ménages des Premières Nations vivant dans des réserves connaissent l’insécurité alimentaire, selon une étude menée entre 2011 et 2018 à laquelle a participé l’Université de Montréal.

En savoir plus
  • 11,4 %
    En septembre 2022, la hausse d’une année à l’autre des prix des aliments achetés en magasin au Canada a atteint 11,4 %, un sommet depuis 1981. Le taux d’inflation était de 6,9 %, pour la même période.
    3/4
    En 2019, les Canadiens ont acheté les trois quarts de leur nourriture dans les commerces en alimentation.