(New York) La banque américaine JPMorgan Chase va verser 290 millions de dollars à des victimes présumées du financier décédé Jeffrey Epstein, accusé d’exploitation sexuelle de mineures, en vertu d’un accord annoncé lundi qui lui évite un procès médiatique.

La somme, initialement rapportée par le Wall Street Journal, a été confirmée à l’AFP par l’un des avocats des victimes, David Boies.

« Les parties estiment que cet accord (qui doit encore être validé par un juge) est dans l’intérêt de tous, en particulier des victimes ayant survécu aux terribles abus de M. Epstein », a indiqué un communiqué commun à la banque et aux victimes présumées.

L’action initiée en 2022 par une femme, dont l’identité n’a pas été dévoilée, reprochait à JPMorgan Chase d’avoir facilité les agissements de Jeffrey Epstein en lui permettant de financer ses activités. Des accusations niées par la banque.

Le financier, dont l’origine de la fortune est opaque, a été client de JPMorgan Chase entre 1998 et 2013, avant que l’établissement ne décide finalement de rompre leur relation commerciale.

Jeffrey Epstein avait été condamné en 2008 à une peine aménagée de prison de 13 mois pour avoir conduit des jeunes filles à se prostituer en Floride, selon un accord secret passé avec un procureur lui permettant d’échapper à des poursuites fédérales.

Mais en 2019, le procureur fédéral de Manhattan était passé outre ce marché et avait inculpé le sexagénaire pour des faits similaires.

Jeffrey Epstein était accusé d’avoir organisé, pendant plusieurs années, un réseau constitué de dizaines de jeunes filles, mineures pour la plupart, payées pour avoir des rapports sexuels avec lui dans ses nombreuses propriétés.

Cet ancien enseignant s’était suicidé en détention quelques semaines plus tard, avant d’être jugé. La fille du magnat britannique des médias Robert Maxwell, Ghislaine Maxwell, a été condamnée, en juin 2022, à 20 ans de prison pour avoir collaboré à ce système d’exploitation sexuelle.

L’accord financier annoncé lundi intervient après une première transaction, mi-mai pour un montant de 75 millions de dollars, entre Deutsche Bank et des victimes. Elles affirmaient que l’établissement allemand avait permis au prédateur sexuel présumé de rester actif grâce aux services financiers qu’elle lui avait fournis à partir de 2013.

« Ces accords sont historiques et vont changer la vie des survivantes », a réagi Sigrid McCawley, l’une des avocats de victimes présumées. « L’argent qui a, pendant bien trop longtemps, circulé entre le réseau de prostitution de Jeffrey Epstein et des banques majeures de Wall Street, est maintenant utilisé à bon escient. »

Selon l’avocate, ces décisions « signalent que les institutions financières ont un rôle important à jouer pour repérer et mettre un terme au trafic sexuel ».

« Erreur »

Cette résolution amiable évite à la banque un procès au civil qui aurait vraisemblablement occupé la scène médiatique et associé, à tort ou à raison, JPMorgan Chase à l’image de Jeffrey Epstein.

L’annonce a été faite le jour de la décision du juge fédéral Jed Rakoff, qui a autorisé la classification de l’action en nom collectif, ou action de groupe, ce qui signifie qu’elle aurait été ouverte à l’ensemble des victimes présumées de Jeffrey Epstein.  

L’affaire avait même atteint le PDG emblématique de la banque, Jamie Dimon, longuement auditionné en mai en qualité de témoin, même s’il n’est pas mis en cause dans le dossier.

Les avocats de la victime présumée avaient demandé à ce que le patron soit de nouveau auditionné.

Un ancien cadre de JPMorgan Chase, James « Jes » Staley, est au centre des relations entre la banque et Jeffrey Epstein, avec lequel il était ami.

Cet ancien patron des activités de banque privée du groupe (destinée aux clients fortunés et institutionnels), qui a quitté la banque en 2013, a affirmé avoir évoqué Jeffrey Epstein avec Jamie Dimon, ce que dément ce dernier. JPMorgan Chase l’a assigné devant la justice civile.  

PHOTO UMA SANGHVI, ASSOCIATED PRESS

Jeffrey Epstein en 2008

« Toute association avec lui (Epstein) a été une erreur et nous le regrettons », a indiqué la banque dans une déclaration transmise à l’AFP. « Nous n’aurions jamais poursuivi notre relation avec lui si nous avions pensé qu’il utilisait notre banque pour faciliter des crimes odieux. » 

JPMorgan reste visé par une action en justice du gouvernement des îles Vierges américaines, qui accuse également l’établissement d’avoir fourni à Jeffrey Epstein des services bancaires lui ayant permis de maintenir son réseau de prostitution.  

Les étapes clés de l’affaire Jeffrey Epstein

Rappel des étapes clés de l’affaire Jeffrey Epstein, après l’accord annoncé lundi entre la banque américaine JPMorgan Chase et des victimes du financier décédé, accusé d’exploitation sexuelle de mineures.

L’arrestation

Le 6 juillet 2019, le milliardaire Jeffrey Epstein est arrêté aux États-Unis. Ce financier de 66 ans est inculpé deux jours plus tard d’exploitation sexuelle de mineures et d’association de malfaiteurs, passibles au total de 45 années d’emprisonnement.

Il est accusé d’avoir, entre 2002 et 2005 au moins, fait venir des mineures dans ses résidences de Manhattan et de Palm Beach (Floride) « pour se livrer à des actes sexuels avec lui, après quoi il leur donnait des centaines de dollars en liquide ».

Déjà accusé plus de dix ans auparavant en Floride de recourir aux services de prostituées mineures, M. Epstein avait été condamné en 2008 à une peine aménagée de prison de 13 mois, selon un accord secret passé avec un procureur lui permettant d’échapper à des poursuites fédérales.

Suicide en prison

Le 10 août, Jeffrey Epstein est retrouvé pendu dans sa cellule. La procédure le visant se termine de facto.

L’autopsie confirme un suicide par pendaison.

Enquête en France

Alertée sur l’existence potentielle de victimes françaises du financier, propriétaire d’un appartement à Paris, la justice française ouvre une enquête le 23 août 2019 pour « viols » et « agressions sexuelles », notamment sur mineures.

Des perquisitions sont effectuées au sein de l’agence de mannequins Karin Models, fondée par un ancien proche d’Epstein, Jean-Luc Brunel, suspecté d’avoir joué un rôle de rabatteur.

Le prince Andrew dans la tourmente

Proche de Jeffrey Epstein, le prince Andrew dément « catégoriquement », le 17 novembre 2019 dans un entretien avec la télévision britannique, les accusations d’agressions sexuelles d’une Américaine, Virginia Giuffre, qui était alors mineure.

Le 20, il met « fin à ses engagements publics ».

Ghislaine Maxwell inculpée

Le 2 juillet 2020, Ghislaine Maxwell, l’ex-compagne de Jeffrey Epstein accusée par plusieurs victimes présumées de ce dernier d’avoir aidé à les recruter, est arrêtée aux États-Unis, inculpée de trafic de mineures et placée en détention.

Brunel mis en examen

Le 17 décembre, Jean-Luc Brunel est interpellé près de Paris. Il est mis en examen le lendemain pour « viols sur mineur de plus de 15 ans » et « harcèlement sexuel » et placé en détention provisoire. Il sera de nouveau mis en examen six mois plus tard.

Relations embarrassantes

La société d’investissement Apollo Global Management annonce en mars 2021 le départ de son patron Leon Black, qui avait des liens d’affaires avec Jeffrey Epstein.

La banque britannique Barclays annoncera en novembre le départ de son patron Jes Staley, visé par une enquête des autorités financières sur ses liens avec Jeffrey Epstein.

Accord entre le prince Andrew et son accusatrice

En août 2021, l’accusatrice du prince Andrew porte plainte au civil à New York.

Le 12 janvier 2022, la justice américaine refuse de classer la plainte.

Trois jours plus tard, les avocats de Virginia Giuffre annoncent un accord à l’amiable, pour un montant confidentiel, mais estimé par la presse britannique à plus de 14 millions d’euros.

En mars, l’action en justice à New York contre le prince sera officiellement abandonnée.

Décès de Brunel

L’ancien agent de mannequins Jean-Luc Brunel est retrouvé mort pendu dans sa cellule de prison à Paris dans la nuit du 18 au 19 février 2022.

Maxwell condamnée

Reconnue coupable en décembre 2021 de cinq chefs d’accusation de crimes sexuels, dont le trafic de mineures, Ghislaine Maxwell est condamnée le 28 juin 2022 à 20 ans de prison. Elle fait appel.

Accords avec des banques

Accusées par des victimes d’avoir facilité les agissements de Jeffrey Epstein en lui permettant de financer ses activités, deux banques annoncent au printemps 2023 des accords financiers :

  • La Deutsche Bank accepte de verser 75 millions de dollars pour régler le litige, rapporte le 18 mai le Wall Street Journal.
  • La banque américaine JPMorgan Chase annonce le 12 juin un « accord de principe » avec des victimes, sans révéler ses termes financiers.