En s’associant à General Dynamics pour concevoir un avion militaire de surveillance, Bombardier espère forcer Ottawa à lancer un appel d’offres pour ce contrat multimilliardaire également convoité par Boeing. Dans le secteur de la défense, on se demande si la proposition de l’avionneur, bien qu’ambitieuse, est réalisable.

Le projet des deux partenaires ? Un jet privé Global 6500 de l’entreprise québécoise équipé des systèmes et capteurs conçus par la filiale canadienne du géant de la défense, qui est établie à Ottawa. L’avion serait capable de lancer des torpilles. Il serait capable de réaliser des missions de surveillance et de lutte anti-sous-marine.

« Ce nouveau partenariat offre une occasion historique d’allier nos systèmes de dernière génération aux avions canadiens ultramodernes de Bombardier afin de fournir une solution construite au Canada », affirme le vice-président et directeur général de General Dynamics Mission Systems-International, Joel Houde.

Le remplacement des 14 Aurora CP-140 vieillissants de l’Aviation royale canadienne (ARC) a pris une tournure politique. Le ministère de la Défense n’est pas chaud à l’idée d’acheter les avions de l’entreprise établie à Montréal. Le Poseidon P-8A de Boeing – un avion qui s’apparente à la famille d’avions 737 et qui peut lancer des torpilles – a été identifié comme l’unique appareil qui pourrait répondre aux exigences canadiennes.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministère de la Défense doit remplacer ses avions de surveillance Aurora CP-140.

À la chasse aux contrats militaires, Bombardier – qui compte notamment les États-Unis et l’Allemagne comme clients dans le créneau de la défense – craint de voir un contrat potentiel de 9 milliards lui glisser entre les doigts s’il est accordé sans appel d’offres à Boeing. La multinationale demande un appel d’offres en bonne et due forme, ce que réclame aussi General Dynamics.

Des questions

Il n’a pas été possible d’obtenir tous les détails de la proposition de Bombardier et General Dynamics, propriétaire de Gulfstream – une rivale de l’avionneur québécois dans le créneau des jets privés. Les deux partenaires en diront davantage le 31 mai prochain dans le cadre du salon militaire CANSEC, le rendez-vous du secteur de la défense qui a lieu annuellement à Ottawa.

De son côté, par l’entremise de Services publics et Approvisionnement Canada, le gouvernement Trudeau s’est dit « au courant » du rapprochement entre Bombardier et General Dynamics, sans aller plus loin.

Néanmoins, le projet présenté jeudi étonne les spécialistes de la défense interrogés par La Presse.

Pierre Rochefort, chef de la direction de la firme Cirrus Research Associates, estime qu’il y a des enjeux de temps, de coûts et d’intégration pour Bombardier et General Dynamics.

« C’est un effort louable, mais on compare un avion qui est encore en version papier à un autre [celui de Boeing] qui vole déjà et qui est utilisé par des pays alliés, affirme l’ex-commandant d’un escadron de chasseurs CF-18 pour l’ARC. Le gouvernement canadien ne payera pas pour le développement d’un nouvel appareil. Qui va payer pour cela ? Ça prendra de l’argent et c’est un risque, à mon avis, pour Bombardier. »

Interrogé à propos de la facture pour développer une version du Global 6500 capable d’effectuer la même besogne que les CP-140, le constructeur d’avions d’affaires, toujours en train de réduire sa dette, n’a pas offert d’estimation. Son porte-parole, Mark Masluch, a répondu que cette « équation » serait déterminée lors du processus d’appel de propositions. Bombardier et General Dynamics ont « toutes les aptitudes » à l’interne pour « mener à bien ce programme », a-t-il ajouté.

Difficile de prévoir

De son côté, Richard Shimooka, chercheur à l’Institut canadien Macdonald-Laurier, qui se spécialise notamment dans les dossiers en matière de défense, ne s’attendait pas à voir l’entreprise québécoise combiner les fonctions de surveillance et de guerre anti-sous-marine.

« Je suis surpris qu’ils [les deux partenaires] tentent de rafler tout le programme, dit l’expert. Bombardier a de l’expérience pour convertir des jets d’affaires, mais on parle d’importants changements dans ce dossier. Il y a des risques et c’est difficile de prévoir s’il y aura des dépassements de coûts. »

Boeing a déjà affiché ses couleurs avec le P-8A – dont les premières livraisons ont eu lieu en 2012 – en s’alliant à des entreprises déjà enracinées dans le marché canadien comme CAE, GE Aviation Canada ainsi que le conglomérat propriétaire du constructeur de moteurs Pratt & Whitney Canada. Le géant américain a déjà laissé entendre que la production de l’appareil pourrait cesser après 2025 s’il n’obtient pas suffisamment de nouvelles commandes.

L’histoire jusqu’ici :

2022 : Ottawa met en place un processus pour remplacer ses avions de surveillance Aurora CP-140, dont la mise en service remonte aux années 1980.

27 mars : Le Poseidon P-8A de Boeing est identifié comme l’unique appareil qui répond aux exigences canadiennes. Le contrat pourrait être accordé de gré à gré.

18 mai : Bombardier, qui milite depuis des mois pour un appel d’offres pour offrir une version modifiée de son Global 6500, s’associe à General Dynamics.

En savoir plus
  • 1 milliard US
    Chiffre d’affaires annuel que voudrait générer à terme Bombardier avec le secteur de la défense.
    Source : bombardier