Les tablettes des entrepôts de la SAQ débordent, un sondage interne indique que les agences d’importation privée sont mécontentes et les saisies dans les restaurants sont au sommet : l’année 2022 n’a pas été de tout repos pour le monopole d’État.

Plus de 80 000 bouteilles d’alcool ont été saisies au Québec par les policiers ou les syndics dans des bars et des restaurants en 2022, le plus gros volume enregistré au cours des cinq dernières années, a appris La Presse. La grande majorité de ces produits, acheminés aux entrepôts de la Société des alcools du Québec (SAQ), a été ou sera détruite.

Faillites d’établissements, révocations de permis d’alcool, absence de timbre sur les bouteilles (obligatoires pour la vente dans les bars et les restaurants) sont autant de raisons pouvant justifier des saisies par les forces policières ou des syndics en cas d’insolvabilité.

Ainsi, chaque année, des milliers de bouteilles de vin et d’autre alcool sont saisies et prennent ensuite le chemin de l’entrepôt de la SAQ, qui agit à titre de « dépositaire ». L’année dernière aura toutefois déjoué toutes les prédictions : 84 580 bouteilles ont été ainsi obtenues, selon un bilan provisoire calculé au début du mois de décembre, obtenu après une demande d’accès à l’information.

Destruction : c’est le sort qui attend la majorité de ces bouteilles, confirme la société d’État dans un document. Celles-ci seront détruites dans les mois ou les années à venir, selon le moment où un jugement est rendu.

À l’Association Restauration Québec (ARQ), le vice-président aux affaires publiques et gouvernementales, Martin Vézina, avait du mal à expliquer pourquoi la « récolte » avait été aussi abondante en 2022, ajoutant dans la foulée que le nombre de faillites n’avait pas explosé l’an dernier. « Peut-être qu’il y a eu beaucoup d’erreurs de timbrage, avance-t-il. Après la pandémie, les policiers sont peut-être revenus au mode traditionnel d’inspections. »

Qu’advient-il des bouteilles qui ne sont pas détruites ? « Si les produits proviennent d’un syndic et sont propres à la consommation, ils peuvent être retournés dans notre réseau de succursales, indique le document fourni par la société d’État. En aucun cas les bouteilles remises à la SAQ ne sont proposées aux employés ou consommées par ces derniers. »

Les reprises

Il n’y a pas que les saisies qui mènent à la destruction de bouteilles au Québec. Les agences d’importation privée, dont les produits sont obligatoirement stockés dans les entrepôts de la SAQ, disposent d’un délai de 211 jours pour les vendre. Si les bouteilles ne sont pas vendues à l’intérieur de ce laps de temps, la SAQ peut légalement les récupérer. Certaines, remplies de leur contenu, prendront néanmoins le chemin du recyclage.

C’est ce qui est arrivé à 1200 caisses d’alcool, ou 14 400 bouteilles, qui ont été récupérées par la SAQ pour la période du 13 mars 2020 à décembre 2022. De ce nombre, 700 bouteilles ont déjà été détruites, pour une valeur de 20 491 $, confirme le monopole d’État.

Les bouteilles sont détruites par une entreprise indépendante.

À la SAQ, nous cherchons toujours à réduire le plus possible notre empreinte environnementale, c’est pourquoi ces produits sont directement acheminés à une firme de recyclage spécialisée qui traite les boissons alcooliques.

Geneviève Cormier, porte-parole de la SAQ

Des produits périmés ou présentant des défauts sont aussi jetés. « La majorité des produits détruits sont des prêts à boire, considérant qu’ils sont propres à la consommation sur une plus courte période et les frais liés à la destruction sont assumés par les agences », précise la porte-parole.

Contrairement aux saisies, les bouteilles invendues qui ne sont pas réduites en poussière peuvent être achetées par les employés de la société d’État. « Tous les fonds engendrés par ces ventes sont remis à l’organisme Entraide », souligne Mme Cormier.

Des règles claires

Au Québec, dans les faits, une agence « d’importation privée » n’importe pas réellement l’alcool. C’est la SAQ qui paie le vigneron et s’occupe du transport des bouteilles (sauf exception, dans certains pays) depuis le lieu de production jusqu’à ses entrepôts, au Québec.

Le vin (ou un autre alcool) de cette agence d’importation privé peut se retrouver sur les tablettes des succursales de la SAQ, en restaurant ou être vendu à des clients de l’agence, directement. Si l’agent n’arrive pas à vendre son vin dans les délais réglementaires, pour quelques raisons que ce soit, elle a la possibilité de racheter sa marchandise pour éviter qu’elle soit pilonnée. Toutefois, si elle le fait, il ne pourra plus la vendre en toute légalité.

Cette situation n’est pas courante. Mais voilà : la pandémie a bousculé le commerce de l’alcool ces dernières années. Les restaurants ont été fermés, puis rouverts, puis fermés encore. Les agences d’importation privée qui ont les restaurants comme principaux clients ont dû revoir leur modèle d’affaires ou, à tout le moins, leur planification.

Plusieurs ont aussi dû composer avec des délais de livraison complexes à gérer. La SAQ a donné un délai de grâce aux agences, en raison de ces circonstances exceptionnelles, mais applique désormais les règles habituelles qui prévoient d’ailleurs des frais supplémentaires après 150 jours d’entreposage, frais qui ont plus que triplé en 2021.

Malgré cela, depuis le printemps dernier, il y a embouteillage dans les entrepôts de la SAQ, dont les tablettes débordent. Certaines agences se sont ainsi retrouvées coincées, sans stock et sans possibilité de commander de nouvelle marchandise puisque la capacité maximale d’entreposage de la SAQ est atteinte. Certaines sont toujours dans cette situation.

Les relations entre les agences et la SAQ sont parfois tendues et, globalement, le niveau de satisfaction est faible. Selon un sondage réalisé l’été dernier auprès de ses partenaires, dont les agences d’importation privée, la SAQ n’obtient la note de passage pour aucun des critères évalués, obtenant une note de 47 % pour la relation d’affaires et de 54 % pour son leadership et ses communications. Cela lui donne une note de 53 % de satisfaction générale des agents pour qui elle est une partenaire d’affaires obligée.

Le monopole d’État a refusé de transmettre à La Presse les détails de ce sondage et toutes les agences contactées pour ce reportage ont refusé de s’exprimer publiquement.

Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse