On voit pousser ces balises à foison sur tous les chantiers routiers. Mais quelle est leur origine ? Qui les fabrique ? Répondent-elles à des normes ? Voici tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les furoncles orange – fort utiles au demeurant.

Il y a d’abord trois choses à savoir sur les cônes orange.

Ce ne sont pas des cônes.

Ils ne sont pas toujours orange.

Ils sont connus sous un autre nom : balise T-RV-7.

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Les véritables cônes orange

Dans le langage courant, les hautes balises qui délimitent les zones de travaux routiers ont conservé le nom de leurs petits frères et prédécesseurs, qui eux méritaient la désignation de cônes. Mais en termes géométriques, ces gros machins orange sont en fait des cylindres à degrés.

À lui seul, le ministère des Transports du Québec conserve quelque 4000 de ces balises dans ses centres de service. « Cette année, il y a 3000 chantiers en cours sur le territoire du Québec », rappelle Nicolas Vigneault, porte-parole du Ministère.

Les entreprises de signalisation et de construction en utilisent des dizaines de milliers d’autres.

Ces grosses balises sont désignées par le ministère des Transports sous le nom de code T-RV-7.

Nicolas Vigneault en dévoile ici la signification. T pour Travaux.

RV pour Repère visuel.

7 pour 7e génération.

Mais comment cette génération est-elle née ?

Les origines

À la fin des années 1990, Robert Laforce était devenu agent manufacturier, après avoir travaillé pour une grande entreprise de signalisation. Il avait alors contacté Serge Daigneault, propriétaire d’une entreprise de marquage routier, pour lui faire part de quelques idées.

Il était au téléphone avec lui quand il s’est aperçu que les deux entreprises étaient voisines. « Je lui ai demandé si je pouvais le mettre en attente cinq minutes et je suis allé cogner à sa porte. »

Il s’agissait du premier jalon posé sur le sentier de la balise T-RV-7.

À l’époque, les balises de chantiers routiers standards étaient constituées d’une plaque rectangulaire munie d’un poteau en acier et d’une enseigne en aluminium, souvent surmontée d’un clignotant.

« Je lui ai dit : ça serait intéressant de remplacer les fameuses balises de métal par quelque chose de moins dommageable pour les voitures », raconte Robert Laforce.

Ils ont conçu une balise cylindrique en plastique, à laquelle ils ont donné les dimensions hors-tout des balises métalliques réglementaires.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Robert Laforce, président de Trafic Innovation et co-inventeur de la balise cylindrique routière qu’on appelle communément « cône orange »

Je me suis inspiré un peu des gros barils qu’il y avait aux États-Unis. On a fait un moule, on a fait des essais, et on s’est rendu compte que c’était vraiment moins dommageable pour les véhicules. Et le fait d’avoir quelque chose de circulaire procurait une visibilité sur 360 degrés.

Robert Laforce, président de Trafic Innovationet co-inventeur de la balise cylindrique routière dite « cône orange »

L’invention de ces bienfaiteurs de l’humanité a été commercialisée par la société qu’ils ont fondée en 1999, Trafic Innovation, dont Robert Laforce est toujours président.

Forte croissance

« La première année, on en avait fabriqué 5000, poursuit-il. Quand le ministère du Transport a vu la performance du produit, il a donné cinq ans aux entreprises pour se conformer. La deuxième année, on était à environ 15 000 unités, et la troisième année, on avait fabriqué 35 000 unités. »

Au milieu des années 2010, Robert Laforce a vendu à Spectralite/Signoplus sa division Route sécuritaire, au sein de laquelle la balise T-RV-7 était distribuée.

« J’étais tanné de me faire appeler monsieur Baril, sans savoir si c’était à propos de mon tour de taille ou du produit », lance-t-il à la blague.

Plus sérieusement, il voulait concentrer ses activités autour de la signalisation électronique intelligente pour les villes, alors que le marché de la balise T-RV-7 atteignait un plateau.

« Il n’y avait plus d’évolution, explique-t-il. Parce que ce baril-là n’est pas conforme en Ontario et aux États-Unis, on était voués à rester locaux. J’avais été seul sur le marché pendant cinq ans, mais une entreprise de l’époque avait décidé de nous copier et de passer outre à notre protection intellectuelle. »

Protection un peu légère, a-t-il réalisé.

De petites modifications esthétiques au sommet de la balise — un angle ou une poignée, par exemple — suffisaient pour contourner l’enregistrement de dessin industriel.

Qui ? Comment ? Combien ?

Bon an, mal an, on fabrique entre 55 000 et 60 000 balises T-RV-7 au Québec.

Goliax

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Simon Bélair, ingénieur et chef de section chez Goliax Signalisation, à Sherbrooke

« On est trois entreprises au Québec qui les fabriquent », explique Simon Bélair, ingénieur et chef de section chez Goliax Signalisation, à Sherbrooke. « Il y a nous chez Goliax, il y a Signel, sur la Rive-Sud, et il y a Spectralite/Signoplus. »

« On voit beaucoup de balises sur le chemin, mais avec le prix des moules de blow-molding, on n’en trouvera pas d’autres qui vont se lancer là-dedans », ajoute-t-il.

Goliax Signalisation fabrique des balises T-RV-7 depuis le milieu des années 2010.

La production « tourne autour d’une dizaine de milliers par année », estime Simon Bélair.

L’entreprise sherbrookoise en conserve pour ses propres contrats de signalisation, mais « la moitié, et peut-être même plus, est vendue à des municipalités, des entreprises de signalisation, des entreprises de construction », indique l’ingénieur.

Signoplus

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Steve Brousseau, directeur du développement des affaires de Sprectralite/Signoplus

Depuis son rachat du moule de Trafic Innovation, Sprectralite/Signoplus fabrique quelque 30 000 balises T-RV-7 par année dans son usine de Boisbriand, estime Steve Brousseau, directeur du développement des affaires. « On n’est pas l’utilisateur. On fournit le produit. Les utilisateurs, c’est toutes les entreprises en signalisation routière, les entrepreneurs. »

Et le ministère des Transports, dont il est fournisseur.

PHOTO FOURNIE PAR SIGNEL

Signel fabrique environ 15 000 balises par année.

Signel

Signel, entreprise située à Saint-Mathieu, complète le trio.

« On en fabrique pour nous depuis 2015, précise Laurence Morielli, directrice des ventes. Avant, on les achetait à l’entreprise SSS, qui n’existe plus aujourd’hui. »

Propriétaire de son moule, Signel fabrique environ 15 000 balises par année, estime la directrice. « Dans les grosses années, on est plus autour des 20 000, et les petites, ça tourne autour de 15 000. »

L’entreprise, qui ne fait pas de signalisation temporaire, vend ou loue ses balises.

Le prix

Les balises ne sont pas comestibles, mais voilà au moins un produit que l’inflation n’a pas frappé.

Un article paru dans La Presse en 2011 signalait que la Société de services en signalisation SSS vendait ses balises entre 75 $ et 85 $.

Qu’en est-il en 2022 ? « En ce moment, une T-RV-7 va se vendre entre 70 et 80 $, en fonction de la quantité », constate Simon Bélair, de Goliax Signalisation.

Cette estimation est confirmée par son concurrent Signoplus. « Le prix vendant aux entrepreneurs, selon la quantité : mettons entre 68 $ et 78 $ », évalue Steve Brousseau.

Résumons : dans le secteur des balises T-RV-7 au Québec, le taux d’inflation s’est maintenu légèrement sous la barre du 0 % par année depuis 11 ans.

Étonnamment, ce sont les bandes réfléchissantes blanches et orange qui sont les plus coûteuses. Steve Brousseau le confirme en consultant sa liste de coûts de revient. « La pellicule, c’est 52 %. Le tube, c’est 44 %. Pour le reste, on parle de main-d’œuvre et de transport. »

Homologation

Il faut être physionomiste pour distinguer les silhouettes des trois balises concurrentes, similaires sans être parfaitement identiques.

« Peu importe le modèle, il faut mettre le même nombre de pellicules, explique Steve Brousseau. Il faut respecter les normes du Ministère. »

Pendant des années, les fabricants ont dû faire homologuer leurs balises T-RV-7 auprès du ministère des Transports en s’assurant qu’elles répondaient à la norme HOM 6310-501.

« Le Ministère n’avait plus de ressources pour faire maintenir son programme d’homologation et il l’a juste aboli, indique Simon Bélair, de Goliax Signalisation. Maintenant, au lieu de faire homologuer leur balise, les fabricants doivent respecter un cahier de normes — des spécifications, finalement. »

Les mensurations

  • Hauteur : 1,2 m
  • Diamètre à sa base : 400 mm
  • Diamètre au sommet : 305 mm
  • Nombre de degrés : 5
  • Poids sans stabilisateur : 3,6 kg

Source : Spectralite/Signoplus

Durée de vie

Vous vous inquiétez certainement à leur propos : quelle est l’espérance de vie des balises T-RV-7 ?

« Dans notre propre parc, on estime qu’on en remplace 20 % par année », soutient Simon Bélair, de Goliax. Ça doit avoir une durée de vie moyenne de cinq ans. »

Chez Signoplus, Steve Brousseau fait la même estimation pour l’ensemble de sa clientèle. « Dans le marché, annuellement, on remplace de 15 à 20 % », dit-il.

Des balises bien de chez nous

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Les balises T-RV-7 sont généralement faites en polyéthylène.

Il y a tout de même des bornes aux balises, diront certains. Mais on se consolera peut-être de leur ubiquité dans le paysage en se rappelant qu’aucune balise T-RV-7 n’est pour l’instant importée d’Asie.

Toutes sont fabriquées en Amérique du Nord, et la majorité au Québec.

Une fabrication en Asie ? « Ça ne vaut pas la peine », soutient Steve Brousseau, de Sprectralite/Signoplus. « D’abord, tu ne sais pas quel genre de marché tu vas avoir. Il faudrait passer les commandes à l’avance, et les clients en signalisation commandent à la dernière minute. Les entrepreneurs ne savent pas quel chantier va décoller. »

Les balises T-RV-7 sont habituellement fabriquées en polyéthylène par extrusion-soufflage.

Le procédé consiste à produire une extrusion tubulaire, dont la membrane est poussée par pression d’air interne contre les parois intérieures d’un moule, afin de lui donner la forme désirée.

Les balises de Signoplus sont fabriquées sur un moule qui lui appartient par Plastiques Anchor, à L’Assomption.

« On paie les matières premières et le moulage », informe Steve Brousseau.

« Ils commencent à fabriquer en janvier, puis ils arrêtent en septembre. Avec deux quarts de travail, ça prend quatre jours pour faire 1000 tubes vierges de T-RV-7. »

Ces cylindres sont ensuite transportés dans l’usine de Boisbriand, où des bandes de pellicule réfléchissante blanches et orange sont appliquées manuellement sur chacun des cinq degrés.

Pour laminer mes tubes, à quatre personnes, ça prend encore trois ou quatre jours. Au total, j’ai deux semaines de production pour mettre le produit sur le marché.

Steve Brousseau, directeur du développement des affaires de Sprectralite/Signoplus

Signel

Signel fait elle aussi mouler ses balises en sous-traitance chez un mouleur québécois sur un moule dont elle est propriétaire.

La pose des bandes réfléchissantes est faite chez elle, avec un dispositif que l’entreprise a mis au point pour accélérer la production.

« On prend le baril, on le tourne et on le chauffe à la flamme, et une petite machine à côté vient coller la pellicule », décrit Laurence Morielli.

Le traitement thermique sur la surface paraffinée du polyéthylène améliore l’adhérence des bandes. « C’est une personne qui tourne le baril au fur et à mesure pour poser la pellicule », précise-t-elle.

Goliax

Goliax Signalisation, qui possède elle aussi son propre moule, a d’abord fait fabriquer ses balises au Québec, mais a déplacé le moulage d’abord en Ontario, puis maintenant aux États-Unis.

« Je ne fais plus faire au Québec, simplement parce que le service était moins efficace, explique Simon Bélair. C’est beau, être proche, mais il faut que le prix et le service soient au moins aussi bons qu’ailleurs. Pour l’instant, mon moule n’est plus au Québec. »

Pas question de faire fabriquer ses balises en Asie, toutefois. « On expédierait de l’air ! », dit-il.

Les cônes orange ne sont pas tous orange

Sous leurs bandes réfléchissantes, les cônes orange ne sont pas toujours orange. Les fabricants proposent habituellement une version en noir, mais ils offrent également de mouler les balises dans des couleurs personnalisées. On a vu par exemple des balises mauves, blanches ou rouges. On pourrait soupçonner qu’elles permettent à certaines administrations municipales de soutenir que le nombre de cônes orange est enfin en baisse sur leur territoire. L’explication est plus prosaïque : « Chaque entreprise de signalisation a sa propre couleur, question de reconnaître ses T-RV-7 », informe Simon Bélair. L’origine remonte encore une fois à Trafic Innovation : « On avait demandé au ministère des Transports si on pouvait avoir des couleurs de plastique différentes, pour que les entrepreneurs en signalisation arrêtent de se voler les balises entre eux », confie son président Robert Laforce.