Enfant chéri du jeu vidéo entre 2009 et 2015, Montréal est plus discret sur la scène internationale ces dernières années. L’âge d’or où les Assassin’s Creed et les Batman développés ici raflaient tout semble bien loin. Mais le nombre de studios et d’employés dans les studios québécois a explosé depuis 2011. En panne ou en pleine forme, le jeu vidéo ?

« L’écosystème n’est plus le même »

Il y a à peine une décennie, « tout ce que Montréal touchait se changeait en or », rappelle Stéphane d’Astous.

Ce vétéran de l’industrie a notamment occupé des postes de direction dans les studios montréalais d’Ubisoft, d’Eidos et de Quantic Dream. « On peut tout nommer ce qu’Ubisoft faisait, c’était hit après hit. On a eu Deus Ex chez Eidos. On était habitués à l’arrivée de gros éditeurs qui faisait les manchettes, de Gameloft à EA en passant par WB et THQ. »

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Stéphane d’Astous, vétéran de l’industrie du jeu vidéo

Ces studios, appuyés par de gigantesques moyens financiers, ont tenu leurs promesses si on relève les prix internationaux remportés. Jusqu’en 2015, selon une compilation de La Presse, Montréal a remporté 11 Game Awards, l’équivalent des Oscars pour le jeu vidéo. Depuis ? Deux, auxquels on pourrait ajouter celui de Beenox, de Québec, en 2019.

En entrevue avec La Presse l’été dernier, le directeur général de la Guilde du jeu vidéo du Québec, Jean Jacques Hermans, avait admis que l’industrie avait pris bonne note de ce constat. « J’ai l’impression qu’on est plus dans un cycle de développement et que dans les mois et les années qui viennent, les jeux vont sortir et qu’on va retrouver notre lancée. »

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Jean Jacques Hermans, directeur général
de la Guilde du jeu vidéo
du Québec

Interrogé plus récemment pour ce dossier, il a tenu à nuancer cette analyse. « L’écosystème n’est plus le même. Depuis 2019, il y a eu une augmentation de 33 % du nombre de studios au Québec, et 35 % de ces nouveaux studios sont hors de Montréal. On a une vingtaine de grandes filiales, mais 85 % de nos studios sont détenus par des Québécois. Ça s’est vraiment fragmenté. »

Petits studios en explosion

Effectivement, les statistiques montrent clairement une bonne croissance de l’industrie du jeu vidéo au Québec, dont Montréal demeure la locomotive.

L’industrie globale du jeu vidéo a elle-même changé, convenait le PDG d’Ubisoft, Yves Guillemot, quand La Presse lui a demandé d’expliquer l’accueil critique plus tiède des derniers Assassin’s Creedqui ont tout de même trouvé un nombre record d’acheteurs.

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Yves Guillemot, PDG d’Ubisoft

Si vous regardez l’industrie, il se produit moins de nouveaux jeux depuis un moment. Les jeux, par contre, génèrent des revenus plus importants. L’écosystème a changé : vous avez beaucoup plus de jeux multijoueurs, vous devez apporter une diversité importante. Ça fait que les jeux prennent plus de temps à réaliser.

Yves Guillemot, PDG d’Ubisoft

Au Québec, le principal changement depuis 2011, c’est l’explosion du nombre de petits studios de moins de cinq employés. Ils étaient 9 sur 87 en 2011, soit 10 %, et sont maintenant 148 sur 291, plus d’un sur deux.

Selon Pascal Nataf, cofondateur du collectif Indie Asylum et président du studio indépendant Affordance, c’est signe d’un nouvel écosystème plus mature et diversifié. « L’industrie est en santé, on sent l’effervescence. C’est facile d’attirer du monde à Montréal. C’est bien cool de gagner plus de prix, mais si ce sont tout le temps des studios internationaux avec des artisans montréalais… »

Les petits studios, convient-il, sont moins bien placés pour développer de grandes productions qui vont marquer l’imaginaire et gagner des prix. Mais le terreau au Québec est plus que jamais fertile pour voir naître de futurs grands studios, estime-t-il.

« On a la meilleure formation au monde, on forme de la main-d’œuvre et on a 25 ans d’expérience […]. Ça prend plus de studios québécois, de Behaviour [le plus important studio indépendant au Canada, avec un millier d’employés]. »

33 programmes

Le principal obstacle, souligne son collègue Christopher Chancey, PDG du studio indépendant ManaVoid, c’est le manque de financement privé et l’incapacité pour les petits studios de faire connaître leurs jeux.

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Christopher Chancey, PDG du studio indépendant ManaVoid

« De nouveaux jeux, il y en a, mais les gens n’en parlent pas. On a des gens qui vendent des millions d’exemplaires, mais les studios indépendants, on n’est pas bons pour parler de nos bons coups. »

Un autre signe que les temps ont bien changé depuis 1997, alors qu’Ubisoft devait former la majorité de ses nouveaux employés : on compte aujourd’hui 33 programmes de formation exclusivement consacrés au jeu vidéo, précise Brigitte Monneau, directrice générale de Synthèse Pôle Image Québec, un organisme mis sur pied par Québec en 2018.

En formation comme dans les studios, le défi en ce moment est de trouver des professionnels expérimentés, des « seniors », pour transmettre leurs connaissances. L’implantation plus systématique de stages pourrait aider à atténuer la pénurie de main-d’œuvre, estime-t-elle. « Ça existe dans d’autres domaines, les gens de la santé sont formés comme ça. »

Cette pénurie, aggravée par le nombre croissant de studios et le recrutement d’artisans québécois par des studios hors Québec, ne pourrait-elle pas faire baisser la qualité des productions d’ici ? « On en parle, mais catégoriquement, je dirais non, pour l’instant, répond Jean Jacques Hermans, de la Guilde. Mais c’est un enjeu que l’on garde à l’œil. Mais les ambitions du Québec sont grandes : on a ce qu’il faut pour devenir le premier pôle mondial. »

Sept jeux et studios marquants pour Montréal

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Assassin’s Creed

Sans contredit la franchise qui a propulsé Montréal dans le peloton de tête des pôles du jeu vidéo, Assassin’s Creed a été vendu à plus de 200 millions d’exemplaires à partir de 2007. Le concept : un assassin combine discrétion et combats dans des missions établies dans différentes époques, de l’Égypte antique au Paris de 1789 en passant par les Caraïbes du XVIIIsiècle. À elle seule, cette franchise a remporté 5 des 13 Game Awards de la métropole.

Far Cry

Il s’agit de l’autre franchise pilotée par Ubisoft Montréal qui a remporté du succès, avec deux trophées internationaux en 2013 et en 2014. Far Cry, qui en est rendu à sa sixième édition principale, est techniquement un jeu de tir à la première personne qui démarre chaque fois dans un scénario étoffé. Du premier opus, se déroulant dans une île où ont lieu des expériences génétiques atroces, au cinquième, dans lequel on suit une secte du Montana, la série se serait écoulée à quelque 30 millions d’exemplaires.

Lara Croft GO

Ce jeu est un des trois grands succès du studio Square Enix Montréal, avec Hitman GO et Hitman Sniper. Sortis en 2014 et en 2015, les deux « GO » offraient un graphisme léché, originalement destiné aux appareils mobiles, et une mécanique de jeu hypnotique. Il s’agissait essentiellement d’un jeu de puzzle où il fallait avancer une case à la fois tout en évitant les pièges. Il a fallu près de sept ans pour que le studio montréalais lance un nouveau jeu, en mars dernier, Hitman Sniper : The Shadows.

Eidos-Montréal

Fondé en 2007, le studio a hérité dès le départ d’une franchise culte, Deus Ex, dont il a livré le troisième opus, Human Revolution, en 2011, puis deux autres jusqu’en 2016. On y incarne un agent à moitié robot dans une ambiance cyberpunk. En 2018, le studio montréalais a conclu le reboot des nouvelles aventures de Lara Croft avec le magnifique Shadow of the Tomb Raider. Il faudra cependant attendre 2021 avec Marvel’s Guardians of the Galaxy pour hériter d’un premier Game Award, celui de la meilleure narration.

The Messenger

Ce titre du studio Sabotage est le seul Game Award obtenu, en 2018, par un studio indépendant québécois. D’autres jeux indépendants québécois ont eu une sortie remarquée, à commencer par Dead by Daylight, de Behaviour, qui attire 50 millions de joueurs en ligne. Ancestors : The Humankind Odyssey, du studio Panache de Patrice Désilets, s’est notamment écoulé à plus de 1 million d’exemplaires et Outlast, de Red Barrel, a atteint les 15 millions.

Note : Dans une version précédente, nous avons écrit qu’Outlast s’était écoulé à 4 millions d’exemplaires.

Batman : Arkham City

L’année 2011 a été particulièrement faste pour Montréal, avec quatre Spike Video Game Awards, dont trois pour Batman : Arkham City, développé par les studios Rocksteady et WB Montréal. On y découvre une ville fondée par le maire de Gotham où les criminels sont libres, à la condition de ne pas s’en échapper. Montréal a par ailleurs été le chef d’orchestre par la suite de Batman : Arkham Origins. Discret depuis 2013, WB Montréal reviendra en force le 21 octobre avec un nouveau jeu très attendu de cette franchise, Gotham Knights.

Splinter Cell

Splinter Cell a indéniablement donné son envol au tout nouveau studio d’Ubisoft à Montréal à partir de 2002. Spécialisé au début dans des jeux enfantins de la licence Playmobil, Ubisoft Montréal inaugure avec Tom Clancy’s Splinter Cell une nouvelle franchise basée sur l’univers de l’auteur américain, alternant entre infiltration et combats et qui donnera sept jeux vendus à 32 millions d’exemplaires. L’univers de Tom Clancy sera repris pour Rainbow Six, sur lequel mise énormément Ubisoft depuis 2015.