Un nouveau pan de la « loi 96 » est entré en vigueur ce jeudi, au terme d’une « course contre la montre » de trois mois qui aura monopolisé tous les grands cabinets d’avocats de Montréal et forcé des milliers de notaires à revoir leurs façons de faire.

Il est désormais illégal pour les notaires de publier des actes en anglais au registre foncier et au registre des droits personnels et réels mobiliers (RDPRM). Les documents devront systématiquement être traduits et inscrits en français aux registres, même si les transactions ont été réalisées entre anglophones.

Les notaires déplorent le court délai qui leur a été accordé pour opérer ces changements. Ils ont bénéficié de trois mois après la sanction de la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français par l’Assemblée nationale du Québec, le 1er juin 2022, alors qu’ils réclamaient une période « intérimaire » d’un an.

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Me Hélène Potvin, présidente de la Chambre des notaires du Québec, qui regroupe 3800 membres

Certains notaires, je ne vous le cacherai pas, sont inquiets de l’entrée en vigueur aussi rapide et du fait qu’ils devront adapter leur pratique.

Me Hélène Potvin, présidente de la Chambre des notaires du Québec

« C’est complètement un mauvais timing [pour nous], mais c’est un bon timing avant les élections », lance pour sa part Kevin Houle, président de l’Association professionnelle des notaires du Québec.

Selon nos informations, des bataillons d’avocats de plusieurs grands cabinets montréalais ont travaillé d’arrache-pied tout l’été pour permettre aux notaires et aux institutions financières de se conformer à la loi. Le travail s’est poursuivi jusqu’à la toute dernière minute, et plusieurs divergences d’interprétation persistent.

« C’était comme une course contre la montre », résume l’avocate Melissa Tehrani, associée au cabinet d’avocats Gowlings, qui a conseillé plusieurs clients dans ce dossier.

Les clients anglophones touchés

Bon an, mal an, 13 % des ventes immobilières sont faites par des anglophones au Québec, selon les données fournies par l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec. Cela a représenté 14 154 transactions l’an dernier – et des milliers d’actes notariés déposés en anglais dans les registres publics.

Plusieurs notaires qui travaillent surtout avec des clients anglophones, comme MLorena Lopez Gonzalez, s’inquiètent de certaines conséquences de la « loi 96 ». Elle redoute de possibles « conflits d’interprétation » entre les versions anglaise et française des actes, qui pourraient émerger des années après leur dépôt.

Malheureusement, je vous dirais que nous, les notaires, nous sommes un peu dans le néant. J’ai des clients unilingues anglophones qui vont signer des actes dans une langue qu’ils ne comprennent pas. Je crains que ça puisse entraîner des problèmes plus tard.

Lorena Lopez Gonzalez, notaire montréalaise

Les notaires appréhendent aussi les délais et les coûts supplémentaires qu’entraînera la traduction de montagnes de documents de l’anglais vers le français.

Les traducteurs relativisent

Donald Barabé, président de l’Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec (OTTIAQ), relativise ces craintes. La province bénéficie d’un nombre amplement suffisant de traducteurs certifiés – 2700, dont 500 spécialisés en affaires juridiques – pour répondre à la nouvelle demande, estime-t-il.

Les traducteurs sont rompus à ça, faire des textes en urgence. Ça arrive très fréquemment et ça peut se faire en quelques heures.

Donald Barabé, président de l'OTTIAQ

Les coûts de traduction varient entre 40 $ et 120 $ pour une page de 300 mots, ajoute-t-il, ce qui équivaut à une facture de 400 $ à 1200 $ pour un acte de 10 pages. « Je dirais que ce n’est pas vraiment un coût important. N’oubliez pas qu’au bout du compte, c’est pour permettre aux francophones d’avoir accès aux documents dans leur langue. »

« Fondamental », dit Jolin-Barrette

Le ministre sortant responsable de la Langue française, Simon Jolin-Barrette, qui tente de se faire réélire dans la circonscription de Borduas, juge « fondamental » que tous les documents inscrits dans les registres de l’État soient en français.

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Simon Jolin-Barrette. ministre de la Langue française

« Les États, dans leurs documents officiels, ils font ça dans la langue officielle de leur État, a-t-il dit à La Presse. Le français est la langue officielle de l’État québécois, donc c’est tout à fait normal, si on veut être cohérent, notamment au niveau de l’exemplarité de l’État, que les documents qui sont publiés soient en français. »

Deux dispositions de la « loi 96 » qui devaient aussi entrer en vigueur ce jeudi ont été temporairement suspendues par la Cour supérieure du Québec, à la mi-août.