Pendant qu’une pénurie de main-d’œuvre historique sévit au Québec, nos gouvernements avancent à reculons sur la question de l’immigration. Dans un rapport intitulé État d’équilibre du marché du travail, publié dernièrement par le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, on prévoit que d’ici 2025, plus de 50 % des professions seront en pénurie de main-d’œuvre. C’est la première fois que le nombre de professions en déficit de travailleurs dépassera le nombre de professions en situation d’équilibre.

Ici, il devient important de mettre les choses en perspective. S’il semble que la situation sera plus « critique » en 2025, ça ne prend pas un doctorat en économie (ou un rapport ministériel) pour remarquer que la pénurie est bel et bien en cours, en ce moment, et ce, dans tous les secteurs. D’ailleurs, qu’il s’agisse de l’hôtellerie, de la santé ou encore des technologies de l’information (TI), secteur dans lequel j’œuvre, ce phénomène date de bien avant la pandémie. Cinquante ans après le plus important baby-boom de l’histoire du Québec, c’était, à mon sens, un défi prévisible.

Je salue tout de même la pertinence de l’étude, qui permet d’avoir un portrait plus clair et chiffré des dommages potentiels de cette pénurie pour notre économie. Ce que je déplore, c’est le manque d’action gouvernementale face à cette situation, que nous voyons venir depuis plusieurs années déjà. Je me surprends à me demander ce qu’attendent les gouvernements pour trouver des solutions à cet enjeu qui fragilise notre économie et menace nos PME. Les solutions ne reposent pas que sur leurs épaules. Mais les nombreux secteurs touchés actuellement par cette pénurie ne justifient-ils pas des actions concrètes dès maintenant ? Faudra-t-il attendre que nos entreprises disparaissent une à une, faute de relève, pour qu’on agisse ?

Dans une lettre ouverte publiée en décembre dernier, j’écrivais qu’une des solutions les plus efficaces à court terme est d’augmenter les seuils d’immigration et de faciliter le processus pour les entreprises qui désirent embaucher du personnel à l’étranger. Qu’est-ce qui a changé depuis ce jour ? Rien.

Lisez la lettre de décembre dernier

Les gouvernements continuent de se passer la balle, alimentant au passage un débat stérile sur leurs pouvoirs respectifs en immigration. Ce n’est pas le bon combat. En ce moment, des milliers d’entreprises, et particulièrement les PME, peinent à recruter. Par ailleurs, le ministère de l’Économie et de l’Innovation dévoilait récemment son plan visant à augmenter le nombre d’entreprises au Québec, sous prétexte que ce nombre est en déclin et que notre province est celle qui en compte le moins au pays. Je me demande : comment arriverons-nous à convaincre les gens d’entreprendre, s’il n’y a personne pour travailler dans les entreprises et si on manque déjà de relève ?

Étant moi-même entrepreneure, dans le domaine du recrutement en TI de surcroît, je suis aux premières loges pour constater les effets de la pénurie de main-d’œuvre sur mon entreprise, mes clients et les travailleurs à la recherche d’un emploi. DELAN, l’entreprise que j’ai fondée en 1997, est une PME en croissance spécialisée dans le recrutement et le placement dans l’industrie des technologies de l’information, un secteur d’activité majeur au Québec, représentant plus de 3 % du marché de l’emploi et 5 % du PIB.

En avril dernier, DELAN a déposé une demande au Ministère afin de procéder à l’embauche d’un recruteur qualifié provenant de l’étranger. Presque deux mois plus tard, nous attendons toujours que le dossier soit traité. Déjà sept semaines se sont écoulées et nous n’avons même pas reçu d’accusé de réception. C’est déplorable de ne pas pouvoir concrétiser cette embauche, alors que le travailleur en question a besoin d’un emploi et DELAN, d’un employé. Ceci n’est qu’un exemple des situations dont nous avons été témoins dans les dernières années.

DELAN n’est pas la seule victime de la lourdeur administrative et des seuils d’immigration trop bas : plusieurs collègues de l’industrie des TI, mais également des propriétaires d’entreprise, m’ont fait part de leurs défis de recrutement. Il faut à tout prix ouvrir les valves de l’immigration, simplifier et accélérer le traitement des demandes, si on veut espérer sauver nos entreprises.