Le chantier maritime de Lévis sera intégré à la stratégie de construction navale

(Ottawa) Après de nombreux délais et une intense campagne de lobbying, le gouvernement Trudeau s’apprête à corriger « une erreur historique » en intégrant le chantier de la Davie à sa stratégie de construction navale, a appris La Presse. Québec est prêt à cautionner une partie des centaines de millions requis afin de moderniser les installations du groupe, condition sine qua non à l’attribution des contrats, selon nos informations.

Les contrats fédéraux, réclamés depuis des années par Davie, pourraient dépasser les 10 milliards de dollars au cours des prochaines années. Si l’entreprise franchit toutes les étapes jusqu’au feu vert final, elle sera responsable de construire sept nouveaux brise-glaces pour la marine fédérale – de quoi procurer du travail à ses employés et sous-traitants pendant de nombreuses années. À lui seul, le chantier Davie compte plus de 900 fournisseurs au Québec répartis dans plusieurs régions de la province.

En outre, le contexte géopolitique mondial, qui a été grandement bouleversé à cause de la guerre que mène la Russie en Ukraine, pourrait forcer le gouvernement Trudeau à revoir à la hausse son carnet de commandes, ouvrant la porte à d’autres contrats lucratifs pour la Davie, a-t-on indiqué.

Le gouvernement Trudeau devrait confirmer jeudi qu’il a conclu une entente de principe avec la Davie, selon nos informations.

Il n’était pas dans l’intérêt du pays de voir le chantier de la Davie, qui représente 50 % des capacités de production navale au pays, continuer d’être exclu de la stratégie de construction navale. On va corriger cette erreur historique.

Une source gouvernementale qui a requis l’anonymat parce qu’elle n’était pas autorisée à parler publiquement de ce dossier

Le ministre fédéral de la Santé, Jean-Yves Duclos, qui représente la région de Québec à la table du Cabinet, et le lieutenant politique de Justin Trudeau au Québec, Pablo Rodriguez, également ministre du Patrimoine canadien, ont joué un rôle de premier plan dans les rangs ministériels pour mettre fin à l’exclusion de la Davie de la stratégie de construction navale.

« Les chantiers de Seaspan à Vancouver et Irving à Halifax ne parviennent pas à répondre à la demande en matière de construction navale. La Davie a une main-d’œuvre reconnue à travers le monde. Il fallait l’inclure dans la stratégie de construction navale », a ajouté cette source gouvernementale.

Québec se porte garant

Les propriétaires du chantier Davie et plusieurs élus québécois criaient à l’injustice depuis des années dans ce dossier. L’ancien gouvernement de Stephen Harper avait exclu le chantier de Lévis lorsqu’il a annoncé sa Stratégie nationale de construction navale, il y a plus de 10 ans, attribuant la totalité des contrats aux chantiers Seaspan de Vancouver et Irving d’Halifax. À l’époque, Chantier Davie venait d’être racheté par un groupe monégasque, après avoir frôlé une fois de plus la faillite.

« Une méfiance s’était installée entre les fonctionnaires et la Davie à la suite de son exclusion de la stratégie de construction navale. Il a fallu travailler pour rebâtir la relation. Essentiellement, c’est comme si on avait lancé un vase à terre et qu’il fallait recoller les morceaux », a confié une source.

Le vent a tourné pour la Davie après l’élection du gouvernement Trudeau. Ottawa a lancé en mai 2019 un nouveau « processus concurrentiel » pour la construction de brise-glaces, et Davie a finalement été « préqualifiée » en décembre 2019 afin de pouvoir soumissionner.

Le processus d’évaluation a depuis traîné en longueur, entre autres en raison de la vétusté de certaines installations de Davie. Des investissements d’environ 400 à 500 millions seraient requis pour les remettre à niveau, a-t-on appris.

Selon nos informations, le gouvernement de François Legault a contribué à dénouer cette impasse. Québec est prêt à cautionner des prêts, ou à prêter lui-même des sommes à la Davie, pour effectuer ces mégatravaux d’environ un demi-milliard.

Une telle démarche ne serait pas unique. À Vancouver, Seaspan a dû investir 188 millions pour moderniser ses installations tandis qu’à Halifax, Irving Shipbuilding a obtenu une subvention de 260 millions du gouvernement de la Nouvelle-Écosse pour retaper ses installations.

Plusieurs ficelles restent à attacher, indique-t-on. Mais en gros, Investissement Québec est prêt à se porter garant d’une partie des centaines de millions requis, afin d’aider Davie à obtenir son financement auprès de prêteurs privés. Québec attend le feu vert officiel d’Ottawa avant de faire son annonce. On s’attend à ce qu’une entente formelle soit conclue au plus tard à l’automne.

Des études plus approfondies seront nécessaires avant que Québec débloque les fonds, souligne une source gouvernementale bien informée du dossier. Dans tous les cas, les retombées seront énormes pour Davie et ses fournisseurs, si le groupe franchit bel et bien toutes les étapes requises après le feu vert d’Ottawa.

Pourquoi autant de temps ?

Toutes sortes d’hypothèses circulent pour expliquer les longs délais entre la préqualification de Davie, en décembre 2019, et la signature d’une entente-cadre, deux ans et demi plus tard. Ce processus avait pris environ 18 mois avec Irving et Seaspan, au début des années 2010.

Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC), le ministère qui gère les contrats attribués par le gouvernement fédéral, s’est défendu ces dernières semaines d’avoir fait traîner en longueur le processus d’accréditation du chantier Davie.

« Il s’agit d’un processus de qualification complexe, qui se déroule en plusieurs étapes, et il est impératif que le Canada dirige ce processus en toute probité », a fait valoir une porte-parole de SPAC à La Presse. « Tous les efforts sont déployés pour finaliser ce processus, tout en assurant la meilleure valeur pour le gouvernement du Canada et pour tous les Canadiens. »

Malgré son exclusion initiale de la stratégie navale canadienne, Davie a obtenu plus de 2,2 milliards de dollars en contrats de diverses natures du gouvernement fédéral depuis 2014.

Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse