Beaucoup d’experts et d’écoles de gestion proclament la fin de la verticalité dans l’exercice du pouvoir dans les organisations. Les vieux modèles verticaux d’inspiration militaire et tayloristes sont révolus. Notre époque célèbre l’idée d’un rapprochement du dirigeant avec sa base, voire une évolution de la figure et de la fonction d’autorité dans l’entreprise vers un partage en profondeur du pouvoir, vers une plus grande humanité.

À observer l’émergence de modèles progressistes des années 1990 (surtout allemands et japonais) jusqu’aux nombreuses récentes start-up propulsées par le succès, la preuve n’est plus à faire que la créativité, la motivation et la responsabilisation des troupes sont des éléments-clés de succès.

À cet effet, pour bien des organisations, l’implantation d’une structure horizontale (ou aplatie) apparaît une évidence. Elle suit généralement une prise de conscience de la haute direction, selon des impératifs financiers parfois maquillés en gages de vertu, qui se concrétise par une restructuration menant à l’abolition de paliers de gestionnaires et à un décloisonnement des fonctions.

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Pascal Leduc, président chez Leduc Stratégie et Conseil en gestion commerciale

Ces efforts n’auront d’égal que les initiatives pour stimuler la création de réseaux informels, la créativité et l’entrepreneuriat de chacun. On accompagnera souvent la concrétisation de nouveaux modèles de gestion horizontale par des bureaux réorganisés suivant un « concept ouvert ». Ce dernier signifie la fin d’une organisation isolant les différentes fonctions et cette organisation de l’espace qui récompensait essentiellement les cadres de grands bureaux fermés et les employés d’étroits cubicules côtoyant la bruyante imprimante. Pour appuyer cette transformation et stimuler la fluidité des communications recherchée, on verra une multiplication des activités de team building, de « mentorats inversés » et autres véhicules visant la création de réseaux informels dans l’entreprise.

Par ailleurs, dans un monde où la recherche d’égalité tous azimuts et la méfiance envers les élites dépassent largement le secteur des affaires, on a tendance à diaboliser des symboles de la structure verticale, comme la distance et la solitude du décideur, perçues comme les vestiges rappelant la froideur et la condescendance.

On attend de nos leaders plus d’authenticité, de transparence et même parfois des aveux de vulnérabilité. Légitimement, on attend qu’ils convainquent plutôt qu’ils contraignent. Mais oublie-t-on que la distance (à ne pas confondre avec l’ignorance) et la solitude du décideur sont parfois nécessaires et consubstantielles à des décisions dénudées de partis pris personnels, lors de crises internes, de licenciements massifs ? Des décisions difficiles sur lesquelles le décideur sera jugé responsable, sans droit à l’erreur. La crise sanitaire n’est pas sans nous le rappeler, d’aucuns réalisent que l’autorité bien exercée pourrait être bien plus une obligation qu’un privilège, qu’elle est assortie de grandes responsabilités décisionnelles qui ont pour but de protéger à la fois l’organisation et ses membres/employés.

La mise en place d’une structure horizontale peut donc être une idée noble, à condition d’être pertinente au contexte de l’organisation et pour moderniser l’autorité managériale sans l’abolir ou la noyer. L’erreur la plus fréquente consiste à abolir des postes et niveaux de gestionnaires et d’omettre d’adapter les processus administratifs et d’approbation.

La conséquence est immédiate : les quelques gestionnaires « survivants » se voient submergés de paperasse et sollicités pour une série de décisions pour lesquelles ils n’ont souvent ni l’expérience ni l’expertise requise.

Ironiquement et cruellement, les patrons à bout de souffle ne seront pas plus disponibles ni accessibles que ceux dans l’ancienne structure verticale ! La formation, le développement et la communication en souffriront. Quel intérêt pour des jeunes gestionnaires de travailler pour une entreprise où les possibilités de développement et d’avancement vers des postes de cadres sont limitées ? Avec un vain espoir de remplacer des cadres dans des postes où la charge de travail est insoutenable ?

Bref, dans un monde où les talents sont convoités, il faut y penser à deux fois avant de mettre en place une structure mal réfléchie sous la seule impulsion de l’ère du temps. Elle finira par se retourner contre l’organisation, ses actionnaires et ses employés. Et ces derniers n’hésiteront pas à planter le dernier clou dans le cercueil de la structure horizontale ratée lorsqu’ils évalueront l’entreprise sur le populaire site de recherche d’emploi Glassdoor.