Un important projet immobilier est en péril

L’enjeu de la densification urbaine atterrit à l’avant-scène dans la banlieue cossue de Saint-Lambert. La nouvelle administration déposera lundi soir un projet de règlement de zonage qui pourrait compromettre la réalisation d’un complexe de 1135 logements évalué à 500 millions de dollars, a appris La Presse. Les promoteurs crient au syndrome du « pas dans ma cour ».

« La Ville de Saint-Lambert agit complètement à sens contraire du développement durable, c’est totalement irresponsable », fulmine Philippe Bernard, coprésident et fondateur de Pur Immobilia.

Son entreprise a conclu en 2021 des ententes pour redévelopper deux des derniers terrains disponibles à Saint-Lambert : celui de la biscuiterie Dare et celui de l’ancienne quincaillerie Matériaux Coupal (Rona). Le groupe espère y construire une série d’immeubles de trois à huit étages tout près de la gare de train, ainsi que des commerces de proximité et plusieurs espaces verts.

Le complexe respecte les balises du projet particulier d’urbanisme (PPU) proposé par l’ancienne administration en 2021, en vue de requalifier ce secteur industriel qui a plutôt grise mine. La nouvelle mairesse Pascale Mongrain et son équipe craignent toutefois une trop forte densification et prendront des moyens concrets pour renverser la vapeur.

Ils proposeront deux motions à la séance du conseil municipal de lundi soir pour réviser en profondeur le plan d’urbanisme et le règlement de zonage de toute la municipalité. La Ville pourra « régir, dans chaque zone, l’occupation du sol, notamment en prohibant ou en autorisant les constructions et les usages », indique une ébauche du document obtenue par La Presse.

PHOTO FOURNIE PAR PASCALE MONGRAIN

La mairesse de Saint-Lambert, Pascale Mongrain

Sans entrer dans les détails, la mairesse Mongrain a dit en entrevue que les propositions de la Ville représenteraient un « compromis » entre les visées du promoteur et ce que les résidants actuels du quartier sont prêts à accepter.

« Dans notre projet de refonte, on est allés avec une certaine densification. Est-ce que ça conviendra à Pur Immobilia ? On ne le sait pas », indique Mme Mongrain.

Brûlant d’actualité

Le bras de fer qui se dessine à Saint-Lambert survient alors que le dossier de l’étalement urbain – et de la densification nécessaire pour le limiter – occupe une place centrale dans l’actualité québécoise. Le ministre des Transports, François Bonnardel, a affirmé en avril que la densification était une « mode », une déclaration surprenante qui a amené les maires de plusieurs grandes villes à faire front commun dans les pages de La Presse la semaine dernière.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre des Transports et ministre responsable de la région de l’Estrie, François Bonnardel, pendant une mêlée de presse récente

Au-delà du choix du vocabulaire, la question soulève son lot d’enjeux concrets dans plusieurs villes québécoises. Devrait-on construire des immeubles plus ou moins hauts sur les rares terrains disponibles ? Intégrer des logements sociaux à chaque projet, et si oui, combien ? Quelle place devrait être réservée aux parcs et autres services communautaires ?

À quelques kilomètres de Saint-Lambert, dans le secteur montréalais de Bridge-Bonaventure, ces questions s’entrechoquent avec fracas depuis plusieurs semaines. L’administration de Valérie Plante propose d’y ériger 3800 logements (dont 1270 sociaux), alors que les promoteurs immobiliers en voudraient au moins 12 000. Ils craignent une sous-utilisation de ces terrains de 2,3 km⁠2 stratégiquement situés, parmi les derniers disponibles près du centre-ville.

Pur Immobilia redoute un scénario similaire à Saint-Lambert. Philippe Bernard craint que la Ville opte pour le minimum de densité actuellement requis dans ce secteur, soit 60 habitations par hectare – très loin de ce que son groupe propose. « La nouvelle administration veut couper 80 % de ce projet, littéralement, lance-t-il. On passerait d’un projet de 1135 logements à 225 logements, sur les deux terrains au total. »

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Philippe Bernard et Yann Lapointe, coprésidents de Pur Immobilia, espèrent construire un projet de 1135 logements sur deux terrains industriels de Saint-Lambert en voie de requalification.

Une telle réduction rendrait le projet non viable, affirme-t-il, d’autant plus que « des millions » devront être investis pour décontaminer les deux terrains industriels totalisant 61 000 mètres carrés. Le promoteur ne mâche pas ses mots au sujet de la position de la Ville et des citoyens farouchement opposés au chantier. « C’est le classique ‟pas dans ma cour”. »

Citoyens inquiets

Il reste que le projet de Pur Immobilia soulève des inquiétudes bien réelles chez des riverains depuis son annonce, en mai 2021. Il est même devenu l’un des thèmes centraux de la campagne municipale de l’automne dernier.

Plusieurs craignent une explosion de la circulation automobile dans le secteur Saint-Charles, enclavé par une voie ferrée où passent des dizaines de trains chaque jour. D’autres s’inquiètent de la disparition des espaces de stationnement sur rue, de la surutilisation des infrastructures souterraines désuètes, ou encore de l’ombrage qui sera généré par les immeubles. Certains préféreraient enfin que les terrains fassent place à une école et à une garderie – deux services qui manquent dans la ville de 22 000 habitants.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

La biscuiterie Dare de Saint-Lambert devrait définitivement cesser ses activités dans les prochains mois.

Le Lambertois Karl Villeneuve, qui a tenté de se faire élire à la mairie l’an dernier, estime que le travail a été fait « à l’envers » dans la conversion de ce secteur industriel. « On veut densifier, mais on n’a rien pour supporter [ce projet] au niveau des infrastructures, des CPE, des écoles et de la circulation. »

Le dossier est ultrasensible pour la mairesse Mongrain, en poste depuis six mois. Elle reconnaît que le redéveloppement urbain est « la question de l’heure au Québec » et croit que « la densification fait partie de l’équation ». Mais trouver le bon équilibre sera délicat dans sa ville où les (grosses) maisons avec piscine occupent le haut du pavé.

IMAGE TIRÉE DU SITE PROJETDARECOUPAL.COM

Une vision préliminaire de ce à quoi pourrait ressembler le projet de Pur Immobilia

« C’est fini, l’idée de construire des cottages avec de belles grandes cours en arrière, dit-elle. Il faut permettre plus de hauteur, mais on est sensibles aux considérations de nos citoyens. On ne veut pas construire des tours de 15, 20 étages. »

L’élue reconnaît du même souffle que Saint-Lambert doit à tout prix accroître ses sources de revenus. La municipalité s’est défusionnée de Longueuil en 2006 tout en continuant à payer une importante quote-part à l’agglomération. Elle n’a aucune industrie lourde pour garnir ses coffres ; l’essentiel de ses recettes provient des impôts fonciers résidentiels, déjà élevés. Les infrastructures craquent de partout au moment où la Ville est au bord du gouffre financier, résume la mairesse.

On n’a plus une cenne, on n’a pas de coussin, on n’a pas de buffer.

Pascale Mongrain, mairesse de Saint-Lambert

Le groupe Pur Immobilia est très conscient de cette réalité et estime à des dizaines de millions de dollars les retombées de son projet pour la Ville dans les prochaines années. La mairesse Mongrain réitère pour sa part que Saint-Lambert fera « des compromis de densification », mais « pas pour faire plaisir à un promoteur ». Ni le projet de Pur Immobilia ni le PPU du secteur Saint-Charles n’ont été approuvés par l’administration précédente, précise-t-elle.

Les citoyens pourront se prononcer au cours des prochains mois sur les nouvelles règles de zonage et d’urbanisme qui seront proposées par la Ville. Pascale Mongrain espère que toutes les étapes auront été franchies en vue de leur adoption d’ici la fin de 2022.

Pas de logements sociaux

Le projet que souhaite réaliser Pur Immobilia à Saint-Lambert comporterait environ 730 appartements locatifs et 390 copropriétés, de même que 15 maisons de ville, selon les plans initiaux. Une partie des logements seraient considérés comme « abordables » en vertu des critères assez élastiques de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), mais aucun logement social n’y est prévu. Les promoteurs croient que le complexe permettra surtout de répondre à la demande provenant de personnes plus âgées qui cherchent à vendre leur propriété pour vivre dans un logis moins grand, et de jeunes Lambertois qui n’ont pas les moyens d’acheter une maison, mais veulent rester dans le secteur. « La majorité de nos clients vont être des gens de Saint-Lambert, croit le coprésident Yann Lapointe. Les gens qui vont vivre dans ce projet-là vont conduire les mêmes voitures que les gens qui vivent à quelques coins de rue de là. » Le projet dessiné par la firme Huma Architecture prévoit une rue partagée, des parcs, de l’agriculture urbaine et une importante canopée, mais peu d’images officielles ont filtré jusqu’ici.