Elle se souviendra de la date à jamais. Du choc, également. C’était en août 2018. Marianne Lemay reçoit un diagnostic de leucémie myéloïde chronique. C’était deux mois après une fausse couche, suivie d’une fatigue extrême.

À 28 ans, la mère d’un garçon d’un an et demi à l’époque a néanmoins comme premier réflexe de dire à son employeur d’alors qu’elle peut continuer de travailler. « On m’a dit non, raconte-t-elle. J’ai pris deux mois et demi de congé. »

Le repos imposé lui donne un temps de réflexion, nécessaire à la suite des choses. Elle doit revoir sa façon de concevoir la vie, surtout quand on lui dit un jour qu’il ne lui reste peut-être que deux semaines à vivre… avant de trouver un traitement ciblé et récurrent auquel elle répondra bien. « J’ai toujours dépassé mes limites, mais avec ma maladie, j’ai compris que j’en avais, que je devais en tenir compte et que la vie est courte ! »

Elle décide dans la foulée d’aborder le monde du travail différemment. Elle souhaite aider les autres et avoir du plaisir. En 2019, elle fonde ainsi Kolegz.

Le succès, sans s’épuiser

Près de quatre ans plus tard, la firme de créativité en ressources humaines compte six employées. Et les clients cognent à la porte. « J’ai vécu une croissance exponentielle, sauf au tout début de la COVID où les finances ont été catastrophiques, affirme la désormais présidente et spécialiste en expérience employé. Mais je n’ai pas lâché le morceau. On a survécu grâce à un programme gouvernemental qui permettait aux clients un paiement total de nos services. Je me suis bâti un portfolio, ce qui m’a donné de la crédibilité pour aller en chercher d’autres. »

Et ce, sans que Marianne Lemay s’épuise à outrance. Car se lancer en entrepreneuriat est venu avec des conditions qu’elle s’est dictées ! « Être un entrepreneur surhumain, ça épuise, note-t-elle. Comme directrice des ressources humaines dans le passé, j’encaissais tout le stress et je subissais. Je n’ai plus d’énergie pour ça. »

Ce que je fais me passionne, ça me garde en vie et me fait oublier la maladie. Le stress lié à la gestion d’une PME n’est rien comparativement à celui de se faire dire que tu pourrais mourir.

Marianne Lemay

Marianne Lemay dit être capable de lâcher prise, sur les délais notamment. « Je suis plus ouverte, plus patiente. Les vacances sont illimitées. Moi-même, je prends six semaines par an, énumère-t-elle. Ça me force à ne pas travailler 80 heures par semaine, à passer du temps avec ma famille, mon fils. Je prends le temps de sentir ses cheveux… Ça vaut de l’or. Je n’ai pas eu le choix, mais ça m’a donné une autre vision de la vie. »

Pour se sentir bien, elle n’a jamais caché sa maladie, ni aux employés qu’elle engage (« Tu es consciente que j’ai le cancer et qu’il peut donc arriver n’importe quoi ? ») ni à ses clients (« Parfois, il se peut qu’il y ait un délai… »).

L’entrepreneure est aussi transparente sur les réseaux sociaux. Une des raisons : « Pour signifier qu’on a le droit de parler quand ça ne va pas bien », justifie-t-elle. La semaine dernière, Marianne Lemay a notamment écrit sur LinkedIn : « Gérer une business et avoir le cancer (sous chimio), ce n’est pas de tout repos ! […] Ma maladie, c’est elle qui me force à m’arrêter, à réfléchir, à être plus sage. Mon entreprise, elle, me donne des objectifs qui m’incitent à regarder vers l’avant et à rester en vie. »

« Ce n’est pas tout le monde qui veut et peut parler d’un tel diagnostic, convient-elle. La réalité de ma business me le permet, car on travaille sur le long terme avec les clients. Je suggère aux entrepreneurs malades de se demander : quel est le pire qui puisse arriver si vous en parlez ? Afin qu’ils analysent le pour et le contre. »

En sa compagnie, on n’a pas l’impression de parler à une fille à la trentaine à peine entamée, tellement ses paroles sont empreintes de sagesse et de lucidité. « Une maturité est arrivée avec le cancer, dit-elle. La première année m’a fait vieillir de 10 ans. »

Maladie ou pas, Kolegz durera longtemps, à ses yeux. La mort n’est pas un scénario pour celle qui voit son rôle professionnel évoluer. « Mais je n’imagine pas une croissance extraordinaire, car c’est épuisant, admet-elle. Il faut y aller étape par étape. J’ai déjà refusé un mandat très payant, car on n’aurait pas eu de plaisir. Je n’hésite pas à dire non. »