La pandémie de COVID-19 et ses répercussions ont mis à mal les chaînes d’approvisionnement dans le monde entier, contribuant aux retards d’expédition, aux pénuries de produits et à l’inflation la plus forte depuis des décennies.

Mais dans un rapport publié jeudi, les économistes de la Maison-Blanche soutiennent que si la pandémie a exposé les vulnérabilités de la chaîne d’approvisionnement, elle ne les a pas créées – et ils ont averti que les problèmes ne disparaîtront pas lorsque la pandémie sera terminée.

« Bien que les chaînes d’approvisionnement modernes aient fait baisser les prix à la consommation de nombreux biens, elles peuvent aussi facilement se briser », a écrit le Council of Economic Advisers. Les changements climatiques, et la fréquence croissante des catastrophes naturelles qui les accompagnent, rendront les perturbations futures inévitables, selon le groupe.

Les économistes de la Maison-Blanche ont analysé la chaîne d’approvisionnement dans le cadre du rapport économique du président. Ce document annuel, qui compte cette année plus de 400 pages, présente généralement peu de nouvelles propositions de politique, mais il expose la pensée de l’administration sur les principaux problèmes économiques auxquels le pays est confronté et sur la manière dont le président espère les résoudre.

Consultez le rapport 2022 du Council of Economic Advisers (en anglais)

Le rapport de cette année se concentre sur le rôle de l’État dans l’économie et demande au gouvernement de faire davantage pour lutter contre le ralentissement de la croissance de la productivité, le déclin de la participation à la vie active, l’augmentation des inégalités et d’autres tendances qui ont précédé de loin la pandémie.

« Les États-Unis demeurent l’une des économies les plus fortes du monde, mais si nous examinons les tendances observées au cours des dernières décennies, certaines de ces tendances menacent de saper cette position », a déclaré Cecilia Rouse, présidente du Council of Economic Advisers, dans une interview. Le problème est en partie dû au fait que « le secteur public s’est retiré de son rôle ».

Impacts de la délocalisation

Le rapport consacre l’un de ses sept chapitres aux chaînes d’approvisionnement, notant que ce sujet autrefois ésotérique « est entré dans les conversations de tous les jours » en 2021. Selon Mme Rouse et les autres auteurs du rapport, au cours des dernières décennies, les fabricants américains se sont de plus en plus appuyés sur des pièces produites dans des pays à faible coût, notamment en Chine, une pratique connue sous le nom de délocalisation. Dans le même temps, les entreprises ont adopté des stratégies de production « juste à temps » qui réduisent au minimum les pièces et les matériaux qu’elles gardent en stock.

Il en résulte, selon les auteurs, des chaînes d’approvisionnement efficaces, mais fragiles, susceptibles de s’effondrer en cas de pandémie, de guerre ou de catastrophe naturelle.

« En raison de l’externalisation, de la délocalisation et d’investissements insuffisants dans la résilience, de nombreuses chaînes d’approvisionnement sont devenues complexes et fragiles », écrivent-ils, ajoutant : « Cette évolution a également été motivée par des hypothèses à courte vue sur la réduction des coûts qui ont ignoré des coûts importants difficiles à transformer en mesures financières, ou qui se sont répercutés sur d’autres. »

Solution plus chère

Mais certains économistes ont noté que rendre les chaînes d’approvisionnement plus résilientes pourrait entraîner ses propres coûts, en rendant les produits plus chers alors que l’inflation est déjà une préoccupation majeure.

Adam S. Posen, président du Peterson Institute for International Economics à Washington, a déclaré que la pandémie et l’invasion de l’Ukraine par la Russie pourraient inciter les entreprises à établir au moins une partie de leurs chaînes d’approvisionnement dans des endroits plus stables politiquement et moins vulnérables stratégiquement. Mais pousser les entreprises à dupliquer la production pourrait gaspiller l’argent des contribuables et introduire des manques d’efficacité, augmentant les prix pour les consommateurs et réduisant la croissance.

Au mieux, vous payez une prime d’assurance. Au pire, vous faites quelque chose pour des raisons totalement politiques qui est très inefficace sur le plan économique.

Adam S. Posen, président du Peterson Institute for International Economics

Solution décentralisée

D’autres économistes ont souligné que les chaînes d’approvisionnement mondiales ne sont pas toujours une source de fragilité – parfois, elles peuvent aussi être une source de résilience.

Ngozi Okonjo-Iweala, directrice générale de l’Organisation mondiale du commerce, a déclaré dans une interview que le monde avait observé une tendance à la décentralisation de la fabrication et de la production, dans laquelle les chaînes d’approvisionnement quittaient la Chine pour se déplacer au Viêtnam, au Laos, au Cambodge, au Bangladesh, en Éthiopie et dans d’autres pays. C’est l’occasion de diversifier les chaînes d’approvisionnement et d’intégrer les pays les plus pauvres dans le système commercial mondial, afin qu’ils puissent eux aussi profiter des avantages de la mondialisation, a-t-elle déclaré.

Plutôt que d’inverser les chaînes d’approvisionnement pour les concentrer dans les pays développés, a-t-elle ajouté, les entreprises font davantage de délocalisation vers des pays à faible coût (nearshoring) mais moins éloignés et adoptent des stratégies d’atténuation des risques, comme la constitution de stocks.

Pas de solution facile

Mme Rouse, conseillère économique de la Maison-Blanche, estime que s’il pouvait être judicieux de promouvoir une production nationale accrue de certains composants essentiels tels que les puces d’ordinateur, l’administration Biden ne cherchait pas à inverser complètement les délocalisations.

« Nous n’avons pas besoin de tout fabriquer ici, a-t-elle déclaré. Nous comprenons que cela serait excessivement coûteux et inutile. »

Mais malgré leur insistance sur le rôle du secteur public dans l’économie, les économistes de la Maison-Blanche n’ont recommandé que des mesures modestes que le gouvernement fédéral pourrait prendre pour renforcer les chaînes d’approvisionnement. Ils ont suggéré que le gouvernement contribue à l’agrégation et à la diffusion de données qui pourraient permettre aux entreprises de mieux comprendre leurs chaînes d’approvisionnement et d’en déterminer les faiblesses. Ils ont ajouté que le gouvernement pourrait encourager la production intérieure de produits essentiels à la sécurité nationale ou à d’autres intérêts fondamentaux. Des experts indépendants ont déclaré que ces mesures pourraient être utiles, mais qu’il était peu probable qu’elles résolvent les problèmes décrits dans le rapport.

« La réponse courte est qu’il n’y a pas de réponse facile », a déclaré Chad P. Bown, économiste commercial et chercheur principal à l’Institut Peterson.

Cet article a été initialement publié dans le New York Times.