(Ottawa) L’intention du gouvernement Trudeau d’imposer aux constructeurs automobiles l’obligation qu’au moins 20 % de leurs ventes de véhicules légers neufs au Canada soient des véhicules zéro émission d’ici 2026 est louable, mais peu réaliste, estime Robert Poëti, président-directeur général de la Corporation des concessionnaires automobiles du Québec.

Dans son plan climatique dévoilé le mois dernier, le gouvernement fédéral a confirmé qu’il imposerait aux constructeurs automobiles cette cible de 20 % à l’échelle du pays à compter de 2026. La cible passera ensuite à 60 % en 2030 et à 100 % de tous les véhicules légers neufs en 2035. L’électrification des transports est un des piliers importants de ce plan climatique pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). Le secteur des transports représente environ 25 % des émissions au pays.

Une source au ministère de l’Environnement et du Changement climatique a indiqué à La Presse que ces cibles seront imposées par des règlements qui seront adoptés au plus tard au début de 2023. Des consultations sont en cours à ce sujet.

Mais M. Poëti affirme que le délai accordé pour atteindre la cible de 20 % pourrait s’avérer extrêmement difficile à respecter. La chaîne d’approvisionnement, qui a été durement touchée par la pandémie de COVID-19, demeure fragile, de sorte que la production mondiale d’automobiles a été ralentie. L’accès aux pièces, notamment les semi-conducteurs, est encore problématique. Résultat : un client doit attendre en moyenne entre 12 et 24 mois avant de pouvoir mettre la main sur le volant d’un véhicule électrique, selon les modèles, et cela, après avoir effectué un dépôt. La guerre en Ukraine, où sont aussi fabriquées des pièces automobiles comme des composants électroniques, des sièges et des réseaux de câbles électriques pour le marché européen, ajoute aux perturbations qui touchent la chaîne d’approvisionnement.

Tout cela dépend de la capacité des constructeurs à fabriquer des voitures. Cela dépend aussi de la capacité des citoyens canadiens à payer le prix d’un véhicule électrique. Actuellement, c’est faux de dire que c’est équivalent d’acheter un véhicule électrique et un véhicule à essence. Car sans subvention des gouvernements, l’Ontario nous a démontré que cela ne fonctionnerait pas.

Robert Poëti, président-directeur général de la Corporation des concessionnaires automobiles du Québec

Il a souligné que plusieurs constructeurs automobiles doivent faire des modifications à leurs usines de montage. « Il faut avoir des objectifs ambitieux. Mais j’invite à la prudence. Il faut être réaliste. Est-ce que les constructeurs sont capables de livrer autant de véhicules électriques ? Cela m’apparaît très ambitieux. C’est toujours jazzé d’avancer de telles cibles, mais il faut regarder la réalité », a-t-il affirmé.

Selon des données de Statistique Canada, il s’est vendu 1,6 million de véhicules automobiles neufs de janvier à décembre 2021 à l’échelle du pays.

En appliquant les objectifs du gouvernement Trudeau, cela voudrait dire qu’au moins 321 000 de ces véhicules vendus auraient dû être des véhicules à zéro émission si la cible de 20 % avait été en vigueur l’an dernier.

« Ça prend de la réglementation »

Daniel Breton, président et directeur général de Mobilité Électrique Canada, affirme au contraire que les cibles du gouvernement Trudeau sont atteignables dans la mesure où l’on adopte une réglementation contraignante, assortie de pénalités financières. À défaut de cela, les constructeurs ne feront pas l’effort requis pour satisfaire le marché canadien.

C’est tout à fait faisable. Mais pour y arriver, ça prend de la réglementation. Les constructeurs disent que nous n’en avons pas besoin parce qu’ils s’en vont tous dans cette direction. Mais la réalité, c’est que les véhicules électriques sont livrés en priorité là où la réglementation est la plus sévère.

Daniel Breton, président et directeur général de Mobilité Électrique Canada

M. Breton a relevé que 20 % des ventes de véhicules neufs au début de l’année en Chine étaient des véhicules sans émission ou hybrides rechargeables, que ces ventes étaient de 24 % en France, de 28 % en Grande-Bretagne, de 36 % en Allemagne et de 90 % en Norvège. Au Canada, ce n’était que 5,4 % des ventes au troisième trimestre de 2021.

« Les constructeurs fournissent les marchés où la réglementation est la plus sévère. C’est la raison pour laquelle le gouvernement fédéral veut adopter une loi zéro émission, car sans cela, on n’y arrivera jamais », a dit M. Breton, qui travaille dans le secteur de l’électrification des transports depuis 20 ans.

Des incitatifs variables

Le gouvernement fédéral offre un incitatif financier de 5000 $ pour l’achat d'un véhicule sans émission, tandis que le Québec a fait passer la subvention dans son dernier budget de 8000 $ à 7000 $. La Colombie-Britannique accorde aussi une subvention de 5000 $. En Ontario, le gouvernement Ford a aboli l’aide qui pouvait atteindre 14 000 $ après son arrivée au pouvoir en 2018. Ottawa a annoncé des incitatifs après la décision de l’Ontario. L’an dernier, les provinces de l’Atlantique (Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse, Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve-et-Labrador) se sont aussi dotées d’un programme d’incitatifs pour encourager la vente de véhicules électriques.

C’est d’ailleurs en Colombie-Britannique et au Québec que les ventes de ces véhicules sont les plus élevées au pays. En plus d’offrir des incitatifs financiers, ces deux provinces ont adopté des lois établissant des objectifs au chapitre du pourcentage des ventes de véhicules électriques.

Au Québec, des règlements adoptés en janvier précisent qu’au moins 17,5 % des véhicules vendus en 2025 devront être des véhicules sans émission. Cette proposition passera à 77,5 % en 2030 et à 100 % en 2035. Des pénalités seront imposées si ces seuils ne sont pas respectés. En ce moment, les voitures zéro émission représentent 10 % des ventes.

En 2025, soit dans trois ans, on prévoit que l’on comptera 632 000 véhicules électriques au Québec, et la province vise 1,5 million de ces véhicules sur ses routes en 2030. La pente pour atteindre ces objectifs est importante : on comptait, au 28 mars 2022, 133 226 voitures électriques sur les routes au Québec, selon l’Association des véhicules électriques du Québec.

En Colombie-Britannique, la Loi sur les véhicules à émission zéro exige que les constructeurs automobiles atteignent une proportion de ventes annuelles de véhicules électriques de 10 % d’ici 2025, de 30 % d’ici 2030 et de 100 % d’ici 2040. Mais l’objectif de 2025 a récemment été dépassé (13 % des ventes).