Un an avant le lancement de l’appel de propositions pour le futur train à grande fréquence (TGF), Ottawa a déjà engagé près de 1 milliard de dollars (878 millions) pour ce projet qui ouvrira la porte au privé et pour lequel bien des questions demeurent toujours sans réponse.

Les nombreux points d’interrogation irritent certains spécialistes, qui déplorent un manque de transparence sur la façon dont les sommes seront dépensées.

« Il me semble que cela serait normal de savoir dans quoi seront engagés les millions, affirme Jacques Roy, professeur de gestion des transports à HEC Montréal. C’est quand même beaucoup d’argent. »

Le budget déposé jeudi dernier par la ministre des Finances Chrystia Freeland prévoit 387 millions sur deux ans pour financer la « planification » et la « conception » du projet qui doit relier Québec, Montréal et Toronto. L’an dernier, VIA Rail avait reçu 491 millions échelonnés sur six ans afin d’effectuer des investissements dans des infrastructures qui doivent, à terme, bénéficier au TGF.

Il n’a pas été possible d’obtenir des détails sur la façon dont l’argent des deux enveloppes serait dépensé.

Une source gouvernementale qui n’est pas autorisée à s’exprimer publiquement a indiqué à La Presse que VIA Rail pourrait, par exemple, ajouter des tronçons de chemin de fer à double voie afin d’avoir de plus longs corridors réservés à ses trains.

Actuellement, les trains de la société d’État doivent partager les voies ferrées avec les trains de marchandises, qui ont la priorité. Cela entraîne des retards. Le TGF circulera à plus grande vitesse – jusqu’à 200 km/h – sur des chemins de fer réservés, ce qui devrait améliorer sa ponctualité.

« Mon hypothèse, c’est [que les 491 millions] devraient servir à la mise à niveau de voies ferrées, explique M. Roy. Je ne vois pas pourquoi c’est un secret et pourquoi on n’est pas plus transparent. »

Préparer le terrain

En ce qui a trait aux 387 millions du budget de la semaine dernière, ils seront vraisemblablement destinés à la préparation de devis techniques et d’études entourant le tracé éventuel. Difficile à dire si le montant est exagéré, affirme Pierre Barrieau, expert en planification des transports à l’Université de Montréal, mais mieux vaut jouer de prudence.

« On parle de plusieurs milliers de pages de documents, souligne l’expert. Si le gouvernement dépense moins maintenant, cela augmente la marge d’erreur que les soumissionnaires devront inclure dans leurs propositions et fait grimper les chances de dépassements de coûts. »

PHOTO TIRÉE DU SITE DE VIA RAIL

Réseau prévu du train à grande fréquence

De son côté, M. Roy reconnaît que cette préparation est onéreuse, mais ajoute que 387 millions, « c’est beaucoup d’argent ». À son avis, il s’agit d’un des aspects où le gouvernement Trudeau aurait pu offrir davantage de détails.

Je suis de ceux qui croyaient que c’était un bon projet, mais je commence à m’interroger. Pas sur le projet en tant que tel, mais sur la façon dont c’est géré et présenté.

Jacques Roy, professeur de gestion des transports à HEC Montréal

La facture du chantier devrait être plus élevée que la fourchette de 6 à 12 milliards évoquée par le ministre fédéral des Transports, Omar Alghabra, l’été dernier. À Montréal le 9 mars dernier, dans le cadre d’une annonce sur le TGF, ce dernier avait refusé de réitérer sa prévision en reconnaissant qu’il n’aurait pas dû s’avancer sur cette question.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Omar Alghabra, ministre des Transports du Canada, lors d’une annonce le 9 mars dernier à Montréal

La mise en service du projet est prévue au début de la prochaine décennie. Contrairement au modèle actuel, c’est le secteur privé qui exploitera les trains de VIA Rail – une façon de faire de plus en plus répandue dans le monde – qui circuleront sur le corridor réservé entre Québec et Toronto. Ce tronçon est le plus lucratif de la société d’État.

« Je savais que le privé aurait une place dans le projet, mais pas de cette ampleur-là, explique M. Roy. J’ai été étonné d’apprendre cela. »

Dans un courriel à La Presse, Transports Canada a assuré que le partenaire privé qui sera retenu pour exploiter le TGF aura l’obligation d’avoir une antenne à Montréal, où est installée VIA Rail.

En savoir plus
  • 96 %
    Avant la pandémie, le corridor Québec-Windsor, celui que doit emprunter le TGF, représentait la quasi-totalité de l’achalandage de VIA Rail.
    Source : VIA RAIL
    2024
    L’appel de propositions sera lancé dans un an. Les entreprises auront jusqu’à l’automne 2024 pour y répondre.
    SOURCE : GOUVERNEMENT DU CANADA