La ministre des Finances devrait injecter une part considérable des revenus supplémentaires dans son prochain budget, attendu jeudi

(Ottawa) Le gouvernement fédéral est en voie d’engranger cette année des revenus supplémentaires d’environ 12 milliards de dollars de plus que prévu il y a 6 mois à peine, en raison de la bonne tenue de l’économie, de la hausse des prix des matières premières et du prix élevé du baril de pétrole. L’inflation, qui a atteint 5,7 % en février, contribue aussi à doper les revenus qu’empoche Ottawa.

Mais tout indique que la ministre des Finances, Chrystia Freeland, se prépare à utiliser une large part de cette manne dans son prochain budget qui sera déposé jeudi à la Chambre des communes non pas pour réduire le déficit, mais pour augmenter les dépenses.

La guerre en Ukraine force en effet le gouvernement Trudeau à revoir à la hausse les dépenses militaires. L’urgence climatique, qui a été de nouveau mise en relief lundi par le plus récent rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), l’incite à financer de nouvelles mesures pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Enfin, le pacte parlementaire que Justin Trudeau a conclu avec le Nouveau Parti démocratique (NPD) de Jagmeet Singh pour assurer la survie de son gouvernement libéral minoritaire jusqu’en 2025 l’oblige à délier les cordons de la bourse pour financer de nouvelles mesures sociales telles qu’un programme de soins dentaires pour les moins bien nantis, entre autres choses.

Selon les calculs du ministère des Finances, chaque hausse d’un point de pourcentage du produit intérieur brut nominal (PIB réel plus l’inflation) procure au fisc canadien environ 4 milliards de dollars de plus de revenus dès la première année.

Dans son énoncé économique de décembre, la ministre Freeland estimait que le PIB nominal augmenterait de 6,6 % en 2022. Or, les économistes du secteur privé prévoient une hausse moyenne de 9,5 %, soit près de 3 points de pourcentage de plus.

Parallèlement, la ministre Freeland tablait sur un prix du cours du pétrole (WTI) à 73 $ US le baril dans son énoncé économique. Les économistes estiment qu’il oscillera davantage à 98 $ US le baril. Depuis 1994, le ministère des Finances s’appuie sur la moyenne des prévisions économiques du secteur privé pour élaborer le budget fédéral.

Pas d’équilibre en vue

« La forte hausse du coût de la vie, l’invasion de l’Ukraine par la Russie et le pacte conclu entre le Parti libéral et le NPD ajoutent de nouvelles priorités au chapitre des dépenses du gouvernement. Cela risque d’accaparer l’essentiel des revenus supplémentaires inattendus », estiment les économistes de la Banque Royale du Canada Cynthia Leach et Josh Nye dans une récente analyse.

Les revenus devraient aussi être plus élevés que prévu pour l’exercice financier qui a pris fin le 31 mars en raison de la performance de l’économie canadienne et des prix des matières premières. Le déficit pour 2021-2022, qui devait être de 144,5 milliards de dollars selon les projections de la ministre Freeland dans son énoncé économique de décembre, pourrait donc être inférieur. La Banque Royale estime qu’il pourrait s’établir à 120 milliards, soit 25 milliards de moins que prévu.

Selon les projections contenues dans le plus récent énoncé économique, le déficit devrait atteindre 58,4 milliards en 2022-2023, puis passer à 43,9 milliards en 2023-2024 et à 29,1 milliards en 2024-2025. Aucune date de retour à l’équilibre budgétaire n’était évoquée par les libéraux de Justin Trudeau, qui ont aussi fait des promesses totalisant 78 milliards de dollars durant la dernière campagne électorale. En 2020-2021, le gouvernement fédéral a enregistré un déficit record de 327,7 milliards à cause de la pandémie de COVID-19.

« Un budget fantasyland »

Depuis quelques mois, des économistes et les groupes représentant le monde des affaires pressent le gouvernement Trudeau de rétablir une rigueur budgétaire à Ottawa, qui accumule l’encre rouge depuis maintenant sept ans. Ils craignent qu’une hausse des dépenses de la part du gouvernement fédéral ait un effet pervers en ceci qu’elles risquent de souffler sur les braises de l’inflation. Déjà, la Banque du Canada annonce qu’elle va probablement devoir majorer plus rapidement son taux directeur d’ici la fin de l’année pour contrer les pressions inflationnistes.

« C’est pour cette raison que le prochain budget risque d’être un budget fantasyland. Car pour ramener l’inflation à 2 % dans un environnement de plein emploi, alors que l’on voit une pression à la hausse sur les salaires, ça va prendre un remède de cheval de la Banque du Canada », a analysé Robert Asselin, premier vice-président aux politiques publiques au Conseil canadien des affaires et ancien proche collaborateur de l’ex-ministre des Finances Bill Morneau.

L’offensive de la Banque [du Canada] va nécessairement créer un ralentissement majeur dans les prochaines années.

Robert Asselin, premier vice-président aux politiques publiques au Conseil canadien des affaires

La hausse attendue des dépenses dans le budget de jeudi provoque déjà de vives étincelles à la Chambre des communes. Lundi, le Parti conservateur a accusé le gouvernement Trudeau de dépenser sans compter pour se maintenir au pouvoir.

« L’inflation est à un sommet de 30 ans. Tout ce qu’on achète coûte plus cher. Quelle est la priorité du premier ministre dans le budget de jeudi ? C’est de faire plaisir aux néo-démocrates avec une longue liste de nouvelles dépenses permanentes pour assurer son poste jusqu’en 2025. Jamais Jean Chrétien, Paul Martin ou John Manley n’auraient osé sacrifier leur parti de la sorte », a pesté le chef adjoint du Parti conservateur, Luc Berthold.

« Notre programme et notre plan sont clairs. Voici les faits : notre PIB a augmenté pour le huitième mois consécutif. Nous avons récupéré 112 % des emplois perdus durant la pandémie. Il s’agit de 3,4 millions d’emplois. En 2022, le Canada a enregistré le plus grand excédent commercial annuel depuis 2008, un total de 6,6 milliards de dollars. La réalité est que l’économie est en pleine croissance et c’est un fait que les conservateurs n’aiment pas », a répliqué le ministre du Tourisme et ministre associé aux Finances, Randy Boissonnault.