L’économie mondiale ne s’est pas encore remise de la pandémie qu’elle doit affronter la crise majeure causée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ce qui force les économistes à revoir leurs prévisions de croissance pour 2022 et 2023. Quel est l’impact à prévoir pour le Canada et le Québec ? Raymond Bachand, conseiller stratégique chez Norton Rose et ancien ministre des Finances du Québec, Martin Coiteux, chef, analyse économique et stratégie globale de la Caisse de dépôt, et Jean-François Perrault, économiste en chef de la Banque Scotia, ont répondu à la question jeudi lors d’un panel organisé par le Conseil du patronat.

Une situation enviable

La guerre actuelle est d’abord et avant tout une tragédie humaine, mais l’impact qu’elle a sur le prix des matières premières a pour effet d’attiser l’inflation et de ralentir la croissance mondiale, estime Martin Coiteux. « Au Canada, on n’envisage pas de récession, mais plutôt un ralentissement », dit-il.

Pour les pays producteurs de matières premières comme le Canada, les prix élevés génèrent à court terme « des revenus supplémentaires pour des pans entiers de l’économie », observe-t-il en citant l’exemple du pétrole, des denrées alimentaires et des engrais.

Jean-François Perreault croit que l’impact de la guerre sera considérable pour les pays européens. « C’est un choc, et je ne m’étonnerais pas qu’il y ait une récession en Europe », avance l’économiste en chef de la Banque Scotia.

La position avantageuse du Canada pourrait persister un certain temps, croit Martin Coiteux. « À plus long terme, un possible cessez-le-feu ne réglera pas tout », précise-t-il. Les sanctions vont rester et la Russie ne réintégrera pas le réseau du commerce mondial. « Ça favorisera les producteurs de matières premières et les investissements dans ces secteurs. En ce sens, on est relativement bien positionnés. »

Moins de mondialisation

Si, d’un côté, l’impact de la guerre en Ukraine peut être positif pour le Canada, de l’autre, l’incertitude engendrée par le conflit et la forte inflation pourraient handicaper la croissance économique au pays, croit Jean-François Perreault.

Combattre l’inflation actuellement hors de contrôle nécessitera des hausses de taux agressives, qui vont faire mal, de la part des banques centrales. Au Canada, la Banque Scotia prévoit que le taux directeur sera à 2,5 % à la fin de cette année, ce qui implique plusieurs hausses costaudes à très court terme. Pour la Banque centrale européenne, qui doit jongler à la fois avec une inflation galopante et la menace d’une récession, « imaginez le dilemme », observe Jean-François Perreault.

Par ailleurs, un pays exportateur comme le Canada va devoir composer avec un nouvel ordre mondial, ce qu’on appelle parfois la « démondialisation », explique-t-il. Les pays vont vouloir s’assurer d’une stabilité de leur production, même si ça implique une augmentation des coûts. « On va devoir payer plus cher », résume-t-il.

Raymond Bachand a souligné qu’avec l’ALENA et l’accord de libre-échange avec l’Europe, « le Canada a encore un grand terrain de jeu, avec une population de plus d’un milliard ».

« Moins de mondialisation » ne veut pas dire « démondialisation », acquiesce Martin Coiteux. « Ça ne veut pas dire que nos entreprises ne pourront plus se développer à l’international », dit-il.

Créer des employés

Le problème persistant des économies canadienne et québécoise reste le sous-investissement, qui nuit à la productivité. Selon Raymond Bachand, les gouvernements tant fédéral que provinciaux en font beaucoup, et depuis longtemps, pour encourager les entreprises à investir, sans succès.

L’économiste de la Scotia note que le niveau d’investissement en machinerie et équipement au Canada est le même qu’il y a 20 ans, alors qu’il a doublé aux États-Unis pendant cette période.

Investir dans l’équipement est important, avance de son côté Martin Coiteux, mais investir dans la connaissance est tout aussi important. « On a été obsédés pendant des décennies par la création d’emplois alors que ce qu’il faut, aujourd’hui, c’est créer des employés. »

Selon Jean-François Perreault, la pénurie de main-d’œuvre est un frein à la croissance et l’immigration ne peut pas être la seule solution à ce problème. « On a trop misé sur l’immigration, il y a d’autres politiques pour inciter ceux qui sont déjà là à intégrer le marché du travail », estime-t-il.

Hausse du PIB de 0,2 % en janvier

L’économie canadienne a résisté à la vague du variant Omicron et au renforcement des mesures sanitaires imposées à la fin du mois de décembre. Comme si de rien n’était, le produit intérieur brut (PIB) a augmenté de 0,2 % en janvier. « Un chiffre impressionnant si l’on considère que des mesures sanitaires étaient en place dans plusieurs provinces », estime l’économiste de la Banque Nationale Jocelyn Paquet.

Les secteurs les plus affectés par les mesures sanitaires, comme les restaurants et les arts et spectacles, affichent quand même une autre baisse d’activités en janvier, qui a été compensée par des hausses importantes dans la construction, le commerce de gros et le commerce de détail. Le froid a aussi eu un impact sur le PIB de janvier, parce que les dépenses de chauffage (électricité, gaz, mazout) ont profité au secteur des services publics.

Avec les chiffres de janvier, la production de l’économie canadienne est supérieure de 0,4 % à ce qu’elle était avant la pandémie.

Selon l’estimation de Statistique Canada, le PIB aurait augmenté de 0,8 % en février et cette forte croissance renforce la probabilité d’une deuxième hausse du taux directeur de laBanque du Canada le 13 avril.

Cette prochaine hausse de taux pourrait être de 50 points, soit 1 %, prévoient les économistes de la TD et de la CIBC. Chez Desjardins, la prévision reste inchangée à 25 points de base, a indiqué Randall Bartlett, directeur principal, économie canadienne.